CALVIN RUSSELL (Portrait)

par Romain Decoret

Calvin Russell (né en 1948) nous a quittés en 2011, à l’âge de 62 ans. La France avait adopté le songwriter texan et le considérait comme une version plus country de Tom Waits. Cependant, il menait une double vie : songwriter considéré par ses pairs au Texas, protégé de Townes Van Zandt et de Kris Kristofferson, alcoolique invétéré en France, ex-taulard au visage ravagé, avec le chapeau de hobo qui était devenu sa signature. Il a enregistré de nombreux disques de haute qualité tels que Soldier, Crossroads, Le Voyageur, Unrepentant, ou Sam. Disparu mais pas oublié…

CALVERT RUSSELL KOSLER
Le succès européen de la carrière de “Calvin” Russell a son origine en 1989, lors d’une party au Continental Club d’Austin où il fut invité. Apprenant que le chanteur/ guitariste Charlie Sexton serait présent, Calvin décida d’enregistrer une bande-maquette de ses chansons. Avec l’aide de Townes Van Zandt et de Kris Kristofferson, il loua un studio, capta plusieurs titres avec le producteur Joe Gracey et se rendit à la party où il occupa une table. Il avait l’intention de donner la bande à Charlie Sexton pour qu’il choisisse une ou plusieurs chansons. En attendant Sexton, il chanta ses compositions pour un public improvisé autour de la table. Le français Patrick Mathé, du label New Rose, en visite à Austin, l’entendit et lui demanda la bande. Calvin Russell n’avait apporté qu’une seule copie…
Quatre mois plus tard, il reçut un appel de Paris. Patrick Mathé expliqua que la bande avait été pressée par New Rose sous le titre A Crack In Time et était un succès. Calvin partit directement pour Paris.

Il croyait en deux choses : l’importance du contact direct avec ses interlocuteurs et le travail infatigable qu’il considérait comme un devoir envers ses fans. Il jouait des sets de trois heures sur scène sans interruption. Après ses shows en France, il était souvent escorté par des bikers pour son retour à l’hôtel où les fans lui offraient des bouteilles de Jack Daniels. Curieusement, les Texans ignoraient son succès européen et les Français ne savaient pas qu’il faisait partie intégrante des songwriters de haute qualité comme Willie Nelson, Blaze Foley, Rich Minus, Jubal Clark, Townes Van Zandt et Kris Kristofferson. Calvin Russell choisit de laisser chaque continent penser ce qu’ils voulait et n’essaya jamais de clarifier la situation. Van Wilks, qui joua en acoustique avec lui en 2000, à la période de l’album Crossroads, dit que “Calvin avait cette aura de dur-à-cuire. Tout le monde savait qu’il avait été en prison et tout cela, mais en réalité c’était un good guy. Il prenait soin des gens”.
Il se cachait derrière son visage ridé et son chapeau. Un client lui avait offert un stetson de cow-boy dans un honky-tonk texan. Calvin ne voulait pas qu’on lui demande de jouer des chansons de Merle Haggard toute la nuit. Il découpa la couronne du Stetson pour créer une sorte de porkpie hat qui définissait son image de troubadour, à la fois dur et tendre. Ce n’était pas une pose, mais le résultat d’une vie entière. Vers la seconde moitié des années 90, il vécut uniquement en Suisse, aux Pays-Bas et en France, non pas pour profiter de son succès, mais pour échapper à une conviction judiciaire de 1995 au Texas pour laquelle il reçut huit ans de probation avant de pouvoir retourner à Austin…

SHO-NUFF CAFE
Calvert Russell était le quatrième enfant du propriétaire et cuisinier du Show-Nuff Café, situé sur le South Lamar Boulevard à Austin. Sa mère y était serveuse. Ce qui signifie que dès son plus jeune âge, il marchait à quatre pattes derrière le comptoir et dans le café, devenant ainsi un enfant naturel des honky-tonks, observant les habitudes des cow-boys locaux. La famille vivait dans une maison située au milieu d’une impasse près de la casse automobile de Pete Pistol’s Wrecking Yard. Ils déménageaient souvent et Calvin se souvenait encore du son des roues de la voiture familiale sur le gravier quand ils partaient au milieu de la nuit pour ne pas payer le loyer…
Calvin redoubla trois fois à la McCallum High School avant d’en être exclu. Il avait déjà commencé à jouer avec plusieurs groupes locaux, tenant la guitare sur des reprises de titres du Top 20 et de blues, comme tous les musiciens d’Austin. Il vivait en suivant l’adage que lui avait enseigné son arrière-grand-mère, une indienne Comanche qui vécut 106 ans : “Tout le monde a en lui deux chiens qui se battent. Il y a un bon chien et un chien violent. Celui qui gagne est celui que tu nourris”. Ce concept le marqua tant qu’il y consacra plus tard deux albums : Dream Of The Dog et Dawg Eat Dawg.
Calvin était sans réelle éducation scolaire mais il apprit très tôt à vivre dans la rue. Dans les 60’s, Austin était à la fois cool et dangereux. Il vendit de l’herbe et du LSD qui était légal au Texas jusqu’en octobre 1966. En 1968, il utilisa une carte de crédit volée pour louer une chambre à l’hôtel Chariot Inn. Il fut arrêté pour contrefaçon et passa 15 mois de travaux forcés au pénitencier de Huntsville. Ampoules aux mains, le cou brûlé par le soleil et des gardiens sadiques attendant une excuse pour le battre ou le fouetter. Il sortit puis passa encore neuf mois dans une prison mexicaine pour trafic de drogue…

TOWNES VAN ZANDT
Le premier inspirateur de Calvin pour écrire ses propres chansons était un autre prisonnier du pénitencier de Huntsville, Shotgun McAdams, qui devait son surnom au hold-up d’un supermarché avec un fusil. Quand Calvin sortit de Huntsville, il devint l’un des habitués de Spellman’s sur la 5ème rue d’Austin et fit partie d’un conglomérat de songwriters qui comprenait Jubal Clark, Rich Minus, Pat Mears, Blaze Foley, Kimmie Rhodes et David Waddell. C’est à ce moment qu’il connut sa première véritable influence, Townes Van Zandt. Il se rendit à une séance commune dans l’ex-forge de Seymour Washington à Clarksville, Tennessee. Ce fut une découverte immédiate. La magie des textes, la guitare acoustique en harmonie, l’intelligence instinctive du style. De son côté Van Zandt respectait cet ex-prisonnier comme un vrai hors-la-loi et adopta Calvert Russell comme son protégé créatif, lui facilitant les engagements et le présentant à d’autres artistes influents. Accessoirement, il le conseillait dans les arcanes de la composition. C’est lui, par exemple qui apprit à Calvin comment écrire absolument en solitaire, ne dévoilant jamais une chanson avant qu’elle ne soit totalement finie.
Après la fermeture de Spellman’s, les songwriters déménagèrent à l’Austin Outhouse. Ils jouaient l’un pour l’autre, pas seulement pour un public à géométrie variable. C’est là que de grands noms commencèrent à participer aux soirées, Willie Nelson, Nanci Griffith, Kris Kristofferson et Leon Russell. A un certain moment, il fut même question que Calvin devienne l’un des Outlaws avec Johnny Cash, Willie Nelson & Kristofferson.

FRANCE & EUROPE
Mais arriva le succès inattendu en France : Calvin était une sensation sur le circuit indépendant, ne devant rien aux ruses de marketing des grands labels. Il est difficile d’imaginer maintenant l’ampleur et la rapidité de sa popularité auprès du public alternatif. Le premier album s’écoula à 100 000 exemplaires. Le premier show eut lieu en Suisse devant 3 000 spectateurs. Calvin jouait en première partie mais les fans lui firent un triomphe. Lorsqu’il joua à Lille, quelques mois plus tard, il y avait 7 000 spectateurs hors de contrôle. On peut dire qu’il fut l’un des premiers à jouer du country indie avec un tel succès en Europe. A Lille, il était pétrifié par l’accueil du public, qui le rendait incapable d’ajuster son ampli. Ce qui est un comble pour lui, toujours à la recherche de la qualité acoustique. Il jouait le plus souvent sur une électro-acoustique mais jouait aussi en électrique sur une James Trussart modèle Telecaster, en acier.

Alors que le plupart de ses associés musicaux étaient de solides buveurs (comme Townes Van Zandt, qui fut emporté par une crise cardiaque à l’âge de 52 ans), Calvin a toujours prétendu qu’il ne prenait pour monter sur scène que des psychédéliques et de l’herbe. Mais pour l’avoir bien connu à Austin et en France, je sais que l’alcool lui était indispensable. Par exemple, au Rock ’n’ roll America de Disneyland Paris, je l’ai vu commencer le show et être totalement inintéressant. Ce n’est qu’après que son road manager lui eut apporté une bouteille de bourbon sur scène qu’il put commencer à jouer au niveau supérieur qui était le sien.

Après le disque A Crack In Time de 1990, il continue l’année suivante sur New Rose, le label de Patrick Mathé, avec Sounds From The Fourth World. Là, il garde la même équipe : Joe Gracey à la production, Gary Craft à la guitare et David Waddell à la base. Surtout, il compose de grandes chansons comme You’re My Baby et propose une première version de Crossroads (une composition de Saylor White). Mais c’est surtout One Meat Ball qui est remarquable. Le voila ce quart-monde du titre : l’histoire d’un homme si pauvre que la soupe populaire lui donne à choisir entre un plat de spaghetti et une boule de viande, mais pas les deux. Une expérience qu’il a vécue…
Fin 1992, c’est le superbe Soldier. Le producteur Jim Dickinson joue aussi des claviers, son fils Luther Dickinson (futur Mississippi All Stars) est à la mandoline, Gary Craft, David & Leland Waddell accompagnent des titre comme Soldier, Rats & Roaches ou I Dreamed I Saw. Disque inoubliable…

Il y en eut d’autres : Dream Of The Dog, Le VoyageurLive !, Sam (avec le superbe Texas Bop), Crossroads, Rebel Radio, Live At The Kremlin, Unrepentant, Dawg Eat Dawg, Contrabendo (un live au Trabendo de Paris) et les ultimes The Last Call, In The Heat Of A Night et Crossroads-Part 2.
Calvin Russell changeait souvent de formule, de l’électrique à l’acoustique. Par exemple en août 2000, en pleine période Crossroads, il décide de partir en tournée en France avec Van Wilks à la guitare acoustique et un pianiste. Grand succès !
Après son retour à Austin en 2003, ses ennuis légaux terminés, Calvin accepta une résidence hebdomadaire chaque lundi à la Long Branch Inn sur la 11ème rue d’Austin.
Voir un musicien du calibre de Calvin, directement et sans filet de protection, était incroyable. Accompagné par une simple section rythmique, il mixait ses compositions et des reprises. Le public attendait impatiemment sa reprise d’ Oval Room de Blaze Foley. Jouer une reprise dans un club pour une centaine de spectateurs peut sembler un grand pas en arrière pour un habitué des grandes arènes mais quand Calvin chantait l’Eastside d’Austin devenait parisien pour quelques instants et inversement le XXème arrondissement de Paris ou un village provençal devenait texan…

GARFIELD, TEXAS
Calvin Russell a enregistré de nombreuses vidéos pour ses titres principaux. Il a aussi été acteur dans les films The Lost Platoon (1990), Scary Movie (1991) et Jugement Aveugle (1991). Il vivait sur son ranch du Texas, près d’Austin. Il se savait atteint d’un cancer du foie et s’éteignit, après un parcours musical créatif et compliqué, le 3 avril 2011 à Garfield, Texas. Il avait 62 ans. © (Romain Decoret

Complément hsitorique : Interview de Calvin Russell par Yves Bongarçon, publiée dans Le Cri du Coyote (début 1991)

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