CHET ATKINS

COUNTRY GENTLEMAN & CERTIFIED GENIUS
Pour le centenaire de la naissance de Chet Atkins (20 juin 1924 – 30 juin 2001), ses multiples facettes ne cessent de briller : guitariste hors du commun, producteur de talent et directeur de label chez RCA Victor. Aujourd’hui encore, des instrumentistes comme Brent Mason, Brad Paisley et Jerry Douglas le reconnaissent comme leur inspiration principale…

Mr GUITAR
Chet Atkins -surnommé Mr Guitar- pouvait jouer dans tous les styles et il fut le producteur et architecte du Nashville sound de la fin des fifties. Parallèlement, il fut le directeur de label pour RCA et Columbia, mais il n’avait pas d’illusion à ce sujet : il savait que ces titres honorifiques tenaient lieu de monnaie d’échange. Il se considéra toujours comme un guitariste, travaillant incessamment son instrument. Il avait aussi des aspirations de chanteur quand RCA le signa en 1948. Avec plus de 100 disques, de la country-music à la pop-music de tous les pays (Japon, Brésil, Pakistan, France) il est devenu une influence majeure sur des guitaristes tels que Jeff Beck, George Harrison, Eric Clapton, Scotty Moore, Cliff Gallup, Brian Setzer, Albert Lee, Eric Johnson, Tommy Emmanuel et quelques milliers d’autres as de la 6-cordes comme Marcel Dadi chez nous.

CHESTER
Chester Burton Atkins est né le 20 juin 1924 à Luttrell, Tennessee, dans les Clinch Mountains au nord-ouest de Knoxville. Son père James est professeur de musique itinérant et sa mère Ida est pianiste et vocaliste. Son grand-père fabrique des violons. Son premier instrument est un ukelele, à l’âge de 5 ans. La famille est extrêmement pauvre, sans électricité, et ce n’est pas avant les forties que Chet réalisa qu’il a vécu la dépression économique de 1929 ! Ses parents divorcent en 1932 et il part vivre avec sa mère en Georgie. Il apprend le fiddle et le banjo et montre des qualités exceptionnelles de musicien.

SILVERTONE
Un jour son beau-père Willie Strevel rapporte à la maison une guitare Silvertone Sears & Roebuck. C’est une acoustique car il n’y a toujours pas d’électricité chez eux en Georgie. Chet travaille l’instrument jour et nuit en utilisant tous les endroits de la maison où il peut trouver un écho naturel. La Silvertone a un manche vrillé et une action si haute qu’il ne peut jouer que sur les premières frettes. Qu’importe ! Il apprend à jouer ainsi et finit par trouver le moyen de jouer sur les frettes hautes. Il est influencé par Jimmie Rodgers depuis son enfance, mais joue aussi du jazz et du blues. Son demi-frère, Jim Atkins, joue en trio avec Les Paul. C’est à l’école, en 1939, qu’il entend celui qui fut sa grande inspiration : Merle Travis. Il est frappé par le jeu pouce + index de Travis. Ne connaissant rien du “Travis picking”, Chet élabore sa propre version : pouce + 2 doigts (plus tard pouce + 3 doigts).

GIBSON L-10
Chet adorait son demi-frère aîné, Jim, qui jouait avec le Les Paul Trio et qui lui offrit une Gibson L-10 qu’il avait rachetée à Les Paul. De retour à Knoxville par le train, Chet ouvrit l’étui plusieurs fois juste pour regarder la guitare et la sentir. Ce passage à l’électricité est un véritable tournant. Chet installe un micro DeArmond qui lui donne le volume et le contrôle nuancé qu’il recherchait, avec une barre de Tremolo Vibrola pour que la guitare “parle”. Malheureusement la L-10 de Les Paul fut brisée pendant une émission de radio. Même réparée, elle ne fut plus jamais la même, mais elle fait toujours partie des guitares de Chet. Il la remplaça par une D’Angelico modèle Excel qu’il modifia en ajoutant un micro P-90. C’est cette guitare qu’il utilisa avec les Carter Sisters pour jouer au Grand Ol’ Opry.

RADIO
Chet obtient son premier job à 17 ans avec un orchestre sur une station de Knoxville. L’année suivante, il tourne avec Archie Campbell et Bill Carlisle. Quand Lowell Blanchard de WNOX à Knoxville entend le jeu de ce jeune guitariste aux hautes pommettes de Cherokee, il l’engage dans la barn dance journalière du Mid-Day Merry-Go-Round. Chet joue aussi du jazz le soir avec les Dixieland Swingsters. En 1943 il tourne avec Johnnie & Jack. En 1946, Red Foley quitte la National Barn Dance de Chicago pour jouer au Prince Albert Show du Grand Ol’ Opry à Nashville. Il emmène Chet avec lui. Le jeune guitariste commence sa carrière de musicien de studio : cette année 1946, il enregistre avec les Georgia Clodhoppers de Wally Fowler pour Capitol et sort son premier disque solo Guitar Blues pour le label Bullet Records de Jim Bulleit. Finalement, Steve Sholes de RCA Victor le signe comme guitariste et chanteur.

NASHVILLE
Dès ce moment, il s’installe à Music City. Il joue avec Maybelle Carter & the Carter Sisters. Ses vocaux sont bientôt dépassés par son jeu de guitare et il est de plus en plus utilisé comme sideman en studio. Chet joue sur There Stands The Glass de Webb Pierce, When I Stop Dreaming des Louvin Brothers , Too Old To Cut The Mustard des Carlisles et de nombreux autres hits country. Avec l’aide et le support de Fred Rose, il est à la guitare lead sur les trois ultimes séances du grand Hank Williams en 1952. Le 13 juin 1952 à Castle studio, Chet est remarquable sur le honky-tonk Settin’ The Woods On Fire, dans Jambalaya (On The Bayou), Window Shopping et I’ll Never Get Out Of This World Alive. Le 11 juillet 1952 c’est You Win Again, I Won’t Be Home No More et deux titres de Luke The Drifter, incarnation gospel de Hank Williams. Finalement le 23 septembre 1952 c’est LE hit monumental : Your Cheating Heart et le proto-rockabilly Kaw-Liga ainsi que Take These Chains From My Heart et I Could Never Be Ashamed Of You. Une photo de scène montre Hank Williams et Chet avec une Gibson L-7 et un Fender Tweed. Il a élaboré ses réglages sur l’ampli : +8 pour les graves et +3 pour les aigus, ce qui lui donne le son idéal pour le rythme joué au pouce et la mélodie jouée sur trois doigts.

INSTRUMENTAUX
Ses disques deviennent uniquement instrumentaux et Steve Sholes lui apprend à superviser les séances en studio. Chet obtient son premier hit country avec Mister Sandman sous l’appellation Chet Atkins & His Gallopin’ Guitar. Ses 33t sont des succès : Finger Style Guitar, Session With Chet Atkins ou Stringin’ Along With Chet Atkins. Graduellement il change le son de la country-music qui en a besoin à ce moment-là, au milieu des fifties. Car soudainement, le hard-country d’Ernest Tubb n’est plus automatiquement gagnant. Les ventes baissent. Chet, expérimentant de nouvelles méthodes et styles, sort la country-music de l’ornière en créant le Nashville Sound. Il signe et produit Don Gibson, Hank Locklin, Jim Reeves, The Browns, mais aussi les Everly Brothers, et la séance de 1956 d’Elvis qui résulta en un hit massif : Heartbreak Hotel. Scotty Moore était un fan de Chet, de même que Cliff Gallup, premier guitariste de Gene Vincent & The Blue Caps. Pour accompagner le Nashville Sound, Chet créa le fameux A-Team de musiciens de studio avec Harold Bradley (“tic-tac” guitare), Bob Moore (basse), Buddy Harman (batterie), Floyd Cramer (piano), Grady Martin (guitare) et lui-même Chet Atkins (guitare).
Les puristes le critiquaient durement pour ses succès étrangers en singles. Des pièces telles que The Poor People Of Paris (La Goualante du Pauvre Jean par Edith Piaf), Sukiyaki (une pièce japonaise) ou plus tard de la bossa nova brésilienne, mais Chet compensait en jouant des traditionnels tels que Cannonball, Shenandoah, Yakety Axe et autres Saturday Night Shuffle. Son génie de guitariste prit toujours le pas sur son travail de producteur à diverses périodes pour Jim Reeves, Don Gibson, Bobby Bare, Dottie West , Skeeter Davis ou Waylon Jennings.

GRETSCH
En 1954, Chet Atkins jouait en studio sur un ampli combo Standell 25L15 sur 98% de ses enregistrements avec un écho à bande Echoplex d’après son ami et partenaire Paul Yandell. Sur scène il avait un ampli Echosonic de Ray Butts dont la fragilité l’éloigna bientôt. Il utilisa aussi en studio un Gretsch Nashville Amplifier et un Gretsch Piggyback sur scène. Fred Gretsch lui fabriqua une 6120, l’originale Country Gentleman, avec des micros Filtertron de Ray Butts (plus tard par TV Jones). C’est la guitare entendue sur les hits de Chet. La plus rare est une Gretsch 6122-12, une 12-cordes a double découpe florentine et repères en demi-lunes dont le prix est aujourd’hui astronomique. Il expérimentait beaucoup d’effets électriques. Citons une pédale wah-wah qu’il inventa mais ne prit jamais la peine de faire breveter. De même pour diverses pédales de volume et distorsion.

GIBSON
Lorsque Fred Gretsch revendit la marque, Chet Atkins opta pour Gibson qui lui fit la Country Gentleman qui devint sa guitare favorite, avec deux micros P-90 et inspira la Gibson Nashville et de nombreux autres modèles. Mais Chet n’était pas un collectionneur, il a laissé quelque 50 guitares qui sont souvent exposées : Peavey T-60, Gibson Studio Classic électro-acoustique fabriquée par le luthier Kirk Sand avec des micros piezo, Resonator DelVecchio Dinamico (Style Dobro), Fender Telecaster qu’il joua en duo avec Jerry Reed et plusieurs déclinaisons de Country Gentleman Gretsch ou Gibson. Il jouait souvent avec un onglet Herco pour le pouce, développant un son inimitable basé sur les graves et la mélodie avec des techniques éblouissantes de simplicité : accords inversés, arpèges harmoniques joués en cascade style Django Reinhardt, accordages en Do (Do-Sol-Ré-Sol-Si-Mi), “Dropped D” (Ré-Sol-Ré-Sol-Si Mi) ou Open G. Même au sommet de sa carrière, il répétait 6 heures par jour. A ce jour, il n’y a pas de guitariste comme lui. Il jouait de la guitare instinctivement comme Django, mais réfléchissait comme Les Paul. Ses doigts glissaient apparemment sans effort sur les cordes et les frettes et cela semblait facile jusqu’à ce que vous essayiez vous-même de répliquer ses mouvements. Ses variations mélodiques et harmoniques ont influencé tous les guitaristes. Il a joué et enregistré en duo avec Les Paul, Doc Watson, Jerry Reed, Merle Travis, ce qui permet d’ oublier ses albums Caribbean Guitars, Chet in Hollywood, Chet Picks On The Beatles ou Pop Goes The Country (avec le Boston Pops Orchestra). Il joua aussi au Newport Jazz Festival. Quand Paul McCartney vint à Nashville, il enregistra avec lui Walking In The Park With Eloïse et Bridge Over The River Suite.

COLUMBIA
Quand la hiérarchie changea à RCA, Chet quitta le label et signa avec Columbia en 1982. Sa carrière fut régénérée et il entra dans les Charts en 1985 avec le disque Stay Tuned.
Il enregistra en duo avec Mark Knopfler, Larry Carlton, George Benson et Earl Klugh. Il créa l’appellation CGP (Certified Guitar Player) accordée uniquement à Jerry Reed, Marcel Dadi, Tommy Emmanuel, John Knowles, Steve Wariner et Paul Yandell. La fille de Chet, Merle a annoncé que le chapitre était clos et qu’il n’y aurait plus d’autres C.G.P.
Chet a une rue à son nom dans le quartier de Music Row et une statue de lui jouant sa guitare, avec un tabouret vide près de lui. Etre reconnu comme “Mr Guitar” est un grand accomplissement, surtout à Nashville. La Chet Atkins Appreciation Society et le Country Hall Of Fame organisent régulièrement des événements. Le dernier en date est un disque pour marquer le centenaire de sa naissance. We Still Can’t Say Good Bye réunit Brent Mason, Brad Paisley, Tommy Emmanuel, Jerry Douglas, Eric Clapton, Vince Gill, Ricky Skaggs, Charlie McCoy sur des hits tels que Windy & Warm, Mr Guitar, Sleepwalk (de Santo & Johnny) ou Yakety Axe et Mr Sandman.

30 JUIN 2001
Chet Atkins s’éteignit à Nashville après deux opérations pour des tumeurs au cerveau et au colon. Le guitar maestro était country et hillbilly et respecté dans les domaines du rock ’n’ roll, folk, jazz ou musique classique. Sa personnalité était vive et spirituelle, ce qui intimidait beaucoup de gens. Par exemple, il faisait tinter des pièces de monnaie dans sa main et déclarait : “Le voila, le Nashville Sound”. Il résumait cela en quelques mots : “Je suis original et je l’admets. Je suis bon, il y a sans doute de meilleurs guitaristes que moi, mais je suis arrivé le premier”. © (Romain Decoret)

Albums recommandés : Galloping’ Guitar (box set 1993), The Essential Chet Atkins (2007), Chester & Lester (1989, avec Les Paul), Read My Licks (1994), Sneaking Around (1992, avec Jerry Reed), Neck And Neck (1991, avec Mark Knopfler), Me & Jerry (2011, avec Jerry Reed), We Still Can’t Say Good Bye (2024).

NB : les images illustrant cet article sont issues du Web. Nous ne connaissons pas leurs auteurs, mais nous les remercions cordialement.

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