Baptiste W. HAMON

Tu te présentes comme l’un des seuls chanteurs de country en français, et tu es en effet un ovni dans le paysage hexagonal. La réalité est tout autre dans l’espace francophone canadien. Quelle regard as-tu sur cette scène des cousins de la Belle Province ?

Les Québécois ont en effet un rapport beaucoup plus décomplexé avec cette musique typiquement américaine, et depuis toujours là-bas des artistes ont approché le genre avec réussite. Je pense à des chanteurs comme Willie Lamothe, Paul Brunelle ou Marcel Martel, véritables stars originelles de la country québécoise. J’avais acheté il y a une quinzaine d’année cette excellente compilation sur les pionniers de la country de la belle province à la librairie québécoise de la rue Gay Lussac à Paris, et y avais découvert de sacrées pépites. Sur la scène actuelle, j’aime la démarche d’artistes comme Alex Burger (Du country dans le ravin) ou Avec Pas d’Casque, avec leur chanson Dommage que tu sois pris, j’embrasse mieux que je parle, une de mes préférées du répertoire québécois. Enfin, dans mes longues errances sur internet j’étais tombé il y a bien longtemps sur des artistes beaucoup plus obscurs, dont on trouve très peu de trace hormis sur Youtube, et dont certaines chansons m’émeuvent profondément malgré les faibles moyens de production. Je pense à des artistes comme Guy Pépin, Denis Champoux, ou Pierre Guillemette, qui s’est autoproclamé le “Johnny Cash du Québec”. Les clips de ces artistes sont très artisanaux mais comptent des millions de vues, et les chansons répondent parfaitement au cahier des charges principal de la musique country : “three chords and the truth” (Trois accords et la vérité). C’est très kitsch et sans flonflon, très honnête, un peu à la manière de Frank Michael par chez nous.

Tu te reconnais aussi de la veine des troubadours, quel est ton rapport aux chanteurs francophones prenant comme toi des chemins de traverse, entre poésie et confidences intimistes ?

J’ai eu deux influences majeures dans ma carrière d’artiste, et qui m’accompagneront jusqu’au bout : d’abord Townes Van Zandt, l’insaisissable songwriter texan à la plume profonde et hallucinée : c’est lui qui m’a donné envie d’écrire mes propres chansons.

Et puis quelques années plus tard, alors que je m’essayais laborieusement à écrire des textes poétiques en anglais, j’ai découvert le répertoire de Jacques Bertin, chanteur français à la carrière confidentielle mais dont les fans, dont je fais partie, considèrent qu’il est l’un des plus grands de la chanson de chez nous. Ses textes sont somptueux, complexes et poétiques à la fois, tout en reprenant dans ses récitals des chansons traditionnelles du répertoire français, comme Colchique dans les prés ou le Temps des cerises. En cela, il est un chanteur de “folk” de chez nous. En plus de Bertin et de Jacques Douai dont il a suivi les traces, j’aime beaucoup Julos Beaucarne (un belge), ou Jean Vasca, et quelques autres de cette scène alternative (mais pas toujours poussiéreuse) de la grande chanson française… Cette scène a quelque peu disparu aujourd’hui, mais une nouvelle scène alternative est apparue, avec des artistes qui chérissent le maniement des mots et explorent avec singularité ou transgression le langage. Le plus visible d’entre eux est Bertrand Belin, mais d’autres comme Jean Felzine (du groupe Mustang), Stéphane Milochevitch (du groupe Thousand), Pascal Bouaziz (de Mendelson), Alma Forrer, Philémon Cimon (un québécois), Corte Réal, Lonny, Nicolas Michaux (encore un belge), Gaétan Nonchalant, proposent une chanson française décomplexée et assez éloignée des standards de l’industrie actuelle.

Avant de réaliser ton disque manifeste Country l’année dernière, la couleur générale de tes chansons était plus neutre, entre folk et chanson indé. En choisissant un support musical déterritorialisé comme la country, n’y a-il pas un risque que l’exotisme de la musique prenne le pas sur la profondeur de tes textes ?

La genèse de mon dernier disque, Country, que j’ai réfléchi comme un disque de country telle que je l’aime, et en français, s’est faite en deux temps. Elle est d’abord le fruit d’un constat. En 2023, avec quelques amis, nous avons créé le collectif Paris Lonestar Club, qui visait à aller jouer nos chansons Outlaw country préférées dans les bars et les petits clubs parisiens, la plupart du temps devant des gens (souvent jeunes) pas du tout habitués à ce genre musical. Et là, surprise, ce public parisien s’enjoue devant nos reprises de Merle Haggard ou David Allan Coe, Terry Allen ou Loretta Lynn. Chaque concert ramène de plus en plus de gens, qui pour certains nous remercient car ils “pensaient ne pas aimer la country”, qu’ils associaient souvent à la chanson Cotton Eyed Joe, qu’on a probablement trop entendue aux mariages (et qui surtout, n’est pas de la country). Constat majeur donc : quand on leur propose une country authentique, jouée avec cœur et des vrais instruments, les gens découvrent qu’ils adorent cette musique. Une fois ce constat effectué, j’ai souhaité écrire un disque entier de chanson country en français, avec mes propres chansons. Je voulais retrouver le caractère direct et décalé de chansons comme All My Exes Live in Texas (George Strait), Thanks a Lot (Ernest Tubb), Mama Tried (Merle Haggard), ou Long White Line (Sturgill Simpson), qu’on reprenait avec le Paris Lonestar Club, et dont j’avais désormais la preuve qu’il pouvait plaire. J’ai donc assumé une certaine rupture dans mon écriture en allant droit au but sur certaines paroles, tout en essayant de faire passer un message. C’est la seconde idée essentielle de ce disque : je voulais me faire plaisir dans les thèmes, en abordant des sujets qui m’interpellent depuis des années : le sentiment d’une industrie musicale de plus en plus frileuse envers les singularités, et d’une chanson française un peu lourdingue, qui ne se renouvelle pas, mais qui se prend encore très au sérieux. Pour évoquer ces thèmes concrets, il a donc fallu que j’utilise un langage plus direct, différent du registre utilisé majoritairement dans mes chansons jusque-là. Un peu plus Hank Williams Jr. que Mickey Newbury. Mais pour moi le langage direct et la poésie plus abstraite ne sont pas incompatibles : Kris Kristofferson a écrit à la fois If You Don’t Like Hank Williams et Loving Her Was Easier. Je me reconnais dans ces deux types d’écriture.

L’abréviation « W » devant ton nom, est-ce une coquetterie ou un référence aux abréviations ricaines, entre A.P Carter , k.d Lang, John D. Loudermilk, ou Tom T. Hall… ? L’un en particulier ?

Lorsque j’étais étudiant, je portais déjà des santiags et des ceintures avec boucles western, et mes camarades m’avaient surnommé Walker, en référence au personnage de Chuck Norris dans Walker Texas Ranger. J’ai embrassé ce “middle name” au moment de me lancer dans la musique, pour effectivement donner une petite connotation américaine et proposer ainsi une grille de lecture à ma musique aux personnes qui allaient la découvrir. Quant aux références que tu donnes, si je devais n’en conserver qu’une ça serait Tom T. Hall, un storyteller hors pair, dont la chanson Homecoming est un bijou de songwriting (j’ai écrit ma chanson Rabbit Pâté dans une même veine descriptive et sans morale, comme une « chanson tableau »).

Il semble que tu as trouvé dans une rythmique nonchalante et balancée (two-step) ton groove naturel, est-ce bien cela ?

Dans ce disque, Country, j’ai clairement décidé d’orienter mes morceaux vers un style et une ambiance honky tonk, genre de country qu’on entend dans les bars des quartiers bouillonnants d’East Nashville ou East Austin. Là-bas, les groupes y jouent de la country aux relents traditionnels, en hommage aux honky tonk d’antan, mais sans filtres et sans tabous au niveau des paroles et des esthétiques. Et pendant les concerts, tout le monde danse le two-step (la line dance y est proscrite) entre deux shots de mauvais whisky.

Tu chantes “je ne deviendrai jamais une superstar” sous forme d’auto-parodie, mais en réalité quelle est ta “vérité”, comme tu le chantes, ton ambition profonde ?

Cette chanson est d’Eddy Mitchell, et figure sur son disque Rockin in Nashville. Je l’ai redécouverte pendant l’écriture de Country, et j’ai tout de suite voulu l’enregistrer, tant elle semblait en phase avec les thématiques que j’abordais dans le disque. Je la vois comme une ode à la singularité, le fait d’assumer haut et fort que nous resterons nous-mêmes au mépris des modes et des courants. Mais bien évidemment, cette chanson est pleine d’ironie : Eddy Mitchell était déjà très connu à l’époque, et mon ambition à moi n’est pas “de ne jamais devenir une super star”, mais de continuer à proposer une musique singulière, sincère et authentique. J’ai foi en l’idée que la sincérité finit toujours par payer d’une façon ou d’une autre.

Les rares succès country en français ne se distinguaient pas toujours par des textes de haute volée (Faire un Pont de Dick Rivers, Hey Lovely Lady de Johnny Hallyday…). Tes vidéos sont pleines d’humour et de légerté. Comment pour autant parvenir à ne pas étouffer la subtilité de tes textes ?

L’adaptation de chansons country en français s’est souvent faite dans le contexte de la grande variété des années 70 : on reprenait à la pelle des tubes américains, dans l’espoir que leur succès là-bas se reproduise chez nous. Effectivement, l’accent n’était pas particulièrement porté sur l’émotion poétique mais davantage sur l’efficacité musicale, et cela a peut-être contribué à l’image un peu ringarde qu’a aujourd’hui la country en France. Deux choses : d’abord je pense qu’un texte apparemment simple peut être sublimé et poétisé par un arrangement brut, et une interprétation sincère. Ensuite, j’aime l’idée qu’il puisse y avoir plusieurs grilles de lectures à une chanson, une légère une seconde plus profonde. Ma chanson J’connais des gens par exemple est a priori une critique assez banale de l’hypocrisie ambiante. Cette hypocrisie me fait rire, mais elle me peine également, c’est un regard à la fois amusé et cynique, critique sur le monde. J’ai essayé d’interpréter cette chanson en insufflant dans le chant ces deux émotions qui me traversent. Quant au ton utilisé dans mes clips, réalisés par mon amie Norma, c’était aussi une volonté de ma part de casser avec le sérieux ambiant dans la variété française -qui manque parfois d’humour.

Ton album Country, autoproduit, sans grande production, sonne pourtant tres abouti. Peux-tu évoquer sa conception, ses conditions d’enregistrement ?

J’ai d’abord écrit et composé les chansons seul chez moi, puis effectué des maquettes grossières sur Garageband dans ma chambre. Je les ai ensuite fait écouter à mes musiciens, qui sans être des spécialistes de country, écoutent comme moi des groupes americana très inspirés par la country : Wilco, Bonnie Prince Billy, Bill Callahan, Kurt Vile etc. Ça n’a pas été dur pour eux de trouver le bon ton et d’apporter leur patte, qui du coup est une patte unique et qui évite les clichés. Je suis heureux d’avoir pu bosser avec ces incroyables musiciens que sont Baptiste Dosdat (guitare électrique), Vincent Pedretti (batterie), Nils Sørensen (basse), Stew Crookes (pedal steel), Boris Boublil (claviers) et Lonny (chœurs). L’enregistrement s’est fait en deux temps : d’abord chez mes camarades de Midnight Special Records au studio Nocturnes à Noyen-sur-Seine, avec Marius Duflot à la prise de son, puis à Montreuil chez Boris Boublil chez qui j’ai enregistré tous les overdubs et qui a mixé le disque.

Quelle importance donnes tu au concert du 10 juin à Paris ?

Ça va être une grande fête, dans ma salle parisienne préférée. Nous serons huit sur scène pour l’occasion, et l’idée est de mettre un sourire sur le visage du public dès le premier morceau, de lui faire traverser toutes sortes d’émotions, et qu’il sorte de là en disant : vivement le prochain concert de country ! Il y aura toutes sortes d’invités, et la première partie sera constituée d’amis chanteurs à qui j’ai demandé chacun de venir chanter leur chanson country préférée. Ces concerts parisiens sont toujours particuliers car ils n’ont lieu que tous les deux ou trois ans et sont souvent sold out. Pour ceux qui n’auraient pas encre pris leur place : n’hésitez plus, venez !

Peut on espérer te voir cette année en province, dans les festivals ?

Tout à fait, nous serons en concert le 24 juillet en Vendée pour le festival Musiques au Logis, puis le 28 août à Auray dans le Morbihan. Mon tourneur travaille actuellement sur des dates à la rentrée et en 2026, où nous espérons pouvoir sillonner la France et le Bénélux. Je pars par ailleurs donner quelques concerts à Nashville au mois d’octobre.

Tu a un disque d’adaptations en français de titres majeurs country. Peux tu nous en dire un peu plus ?

Tout à fait ! J’adore l’exercice d’adaptations de chansons de l’anglais au français. Je travaille actuellement à l’enregistrement de quelques titres, encouragé par des amis ici et aux Etats-Unis qui apprécient le regard nouveau donné à des classiques du genre. Je reprends notamment Johnny Cash, Willie Nelson, Townes Van Zandt, John Prine, Blaze Foley, Billy Joe Shaver et bien d’autres.. Plus d’infos à venir à la rentrée ! © (Arnaud Choutet)


Baptiste et la question “Peut-on chanter la country en français ? “ :
https://www.youtube.com/watch?v=f3RXhFiBg0Y
Country & Americana, de Arnaud Choutet, à lire :
https://lecriducoyote.com/2025/04/28/country-americana

Laisser un commentaire