
Didier Céré l’annonce comme peut-être son dernier disque, mais la flamme du rocker aura du mal à se passer de cette vie musicale si on en juge par la vitalité affichée dans cet album. Certes on vieillit tous, mais, c’est bien connu, les « vieux rockeurs » ont plusieurs vies. La preuve : après ses prestations avec ses groupes (Rebels, Bootleggers, Abilene) et trois albums en solo ces dernières cinq années, Didier rend hommage à Johnny Hallyday (reprenant le titre d’une compilation de 2023) avec la section rythmique des Bootleggers et des invités prestigieux.
Cœur de rockeur :
Didier n’hésite pas à montrer la part sensible de sa personnalité. Au-delà de la présentation physique du « rockeur », il écrit et/ ou adapte, s’appuyant sur un univers esthétique mêlant des références du genre (voyage, pulsion musicale, vie intense, on boit, on bouge, on se marre entre potes, une forme de post-adolescence éternelle) et des préoccupations plus personnelles (dans une année marquée par les deuils d’un frère et de sa mère) qu’évoque par exemple Je suis toqué, une des chansons les plus personnelles (?) avec l’allusion à l’amour (fille, moto, un romantisme de la rue). L’album a été enregistré à Pau, épicentre de son monde ancré dans ce sud-ouest béarnais qu’il aime tant et masterisé au Texas, comme une sorte de double garantie d’efficacité et d’authenticité sonore.

Interlude :
La langue française est-elle moins « rock ‘n’ roll » que l’anglais ? Quel sceau musical approuve totalement l’authenticité de ce genre ? A côté des adaptations françaises des années 60 qui flirtaient avec la variété (génération Yéyé) il y a toujours eu des amateurs attachés aux « racines anglo-saxonnes » puisant dans le blues et la country. Si les ainés sont encore vénérés, la musique n’est vivante que part des groupes qui livrent en concert, ou sur disque, leur amour du genre. En ce sens le faux procès fait implicitement à Didier, en ignorant son disque, semble bien puéril, osons même dire « franchouillard ». Petite anecdote au passage : il a existé un groupe californien qui s’était spécialisé, avec un relatif succès, dans la bourrée auvergnate (!) sans que le public local n’ait jamais eu l’idée de lui refuser le label « fouchtra compatible » ;-). Serions-nous un peu trop sectaires chez nous ?
Un album manifeste

(Manifeste : “dont l’existence ou la nature est évidente”, comme dit le dictionnaire) :
Il propose dix titres en français et un instrumental (King’s Shuffle). On débute plein pot (boogie oblige) avec ce qui est, pour certains, une évocation de la génération « roots » des années 60 avec Blouson noir (on pense bien sûr à l’icône Vince Taylor). Le lien avec la génération suivante (une adaptation du Radiation Ranch de Brian Setzer) se concrétise dans Le rade des Zombies. Les touches annexes de Made in Rock’ n’ Roll incluent une bonne intervention de sax, un instrument bien présent ici, souvent oublié dans les combos actuels, où les trios semblent majoritaires. Cela n’empêche pas un peu de douceur relative dans ce monde agité, avec Maria, où Red Volkaert et Neal Black soutiennent activement le propos. Difficile de tout citer en détails toutes les chansons, mais Mauvaise Fille vaut aussi le détour, ainsi que l’apport de notre Jean-Yves Lozac’h national (Je Serais Là) avec un zeste de couleur country pour finir (Casey Jones Boogie). Entre temps, Je suis toqué, évoque le petit monde d’une génération « d’éternels jeunes” encore active, en donnant une nouvelle vie à I’m On Fire (Bruce Springsteen). N’oublions pas la transmission qui dément le « no future » des ultras d’antan, avec La Génération Perdue, signée par Long Chris et Johnny Hallyday, composée quand Didier… avait huit ans ! Enfin la qualité des musiciens français présents tout au long du disque, prouve, s’il le fallait encore, que notre pays tient parfaitement sa place (cf la liste sur le livret). Ainsi tout concourt au plaisir d’écoute, l’album témoignant sans peine de la vitalité de ce musicien (et ses amis) et de son engagement. En tout cas, l’hommage à Johnny Hallyday est réussi (le « taulier » aurait d’ailleurs pu chanter l’essentiel des autres titres de cet album), sans imitation, ce qui fait que Didier arrive à affirmer sa personnalité et que nous pouvons sans peine prêter attention à ce qu’il nous chante :
C’est pas le temps qui va user ma carcasse
C’est pas le vent le vent des modes qui passent
C’est pas l’argent qui me fera tenir en place
C’est écrit sur ma peau je suis made in rock’n’roll

Interview pour la sortie de Made In Rock ‘n’ Roll :
Quels événements musicaux majeurs ont accompagné ta carrière depuis notre interview dans Le Cri du Coyote au printemps 2019 ? (voir ci-dessous)
Difficile de répondre car on a joué dans pas mal de concerts, même si on a eu, comme beaucoup, nos vaches maigres pendant l’épisode Covid. N’étant pas vacciné, j’étais interdit partout comme un pestiféré. Honnêtement, j’appréhende chaque concert comme majeur, comme si c’était le dernier, mais, depuis la sortie de Deep Sud en 2019, celui qui m’a le plus marqué est bien sur l’opening de Toto aux Transhumances Musicales de Laas en 2024. Ce n’est pas forcément ce que je mets sur ma platine vinyle mais la perfection du show et la qualité des harmonies vocales m’ont mis une méga-beigne. Seul regret, n’avoir pas pu discuter avec Steve Lukather, Joseph Williams ou autre car la production interdisait tout contact…

Quelles ont été les premières réactions (bonnes et/ ou mauvaises) qui t’ont marqué à la sortie de ton disque ?
Alors lequel ? (rires). Après Deep Sud en 2019, j’ai sorti Rock Rebel en 2022, qui a eu une bonne presse mais ne s’est pas vendu car Covid. Les meilleures ventes sont en concerts et pendant cette période il n’y a pas eu pas de concert. Made in Rock ’n’ Roll est sorti en juin 2025, et pour l’instant il est boudé par les médias… Je ne sais si c’est parce que quatre titres du Patron (Johnny Hallyday) y figurent. J’ai eu la chance de le fréquenter un peu dans les années 90, nous avions fait quelques jams et quelques scènes avec lui. J’ai été marqué, comme beaucoup, par l’homme, la voix et, bien sûr, par son décès. Je voulais juste lui rendre un humble hommage. Il y a aussi un titre de Dick Rivers (Mauvaise fille) que Christian Salset m’avait envoyé. Dick était aussi un Monsieur, même s’il était plus dans l’ombre d’Eddy et de Johnny, mais il est toujours resté authentique. Bref les médias français boudent quelque peu cet album, peut-être parce qu’il est en français, peut-être car je n’ai pas de label ou d’agent pour la promotion. La presse étrangère, anglaise, allemande, suédoise m’a fait de bonnes chroniques. C’est vrai que mon virage pour la défense de notre langue (même si je suis plus proche d’Audiard que de Voltaire) avec mes albums solos (très, très accompagnés par des guests et line up de rêve) ont perturbé beaucoup de membre du public qui suivait les Bootleggers. Les “gache-sauces” me taxent désormais de variétochard ou ballochard pourtant je n’ai pas trop changé je crois… Je vocifère autant en français qu’en anglais et je porte des tiagues et ‘fecto depuis mes 16 berges. J’aime bien écrire et chanter en français et, outre nos trois légendes, j’ai eu quelques prédécesseurs, comme Paul Personne, Bill Deraime , Charlelie Couture, etc.

Le choix de chanter en français n’est donc pas bien accepté par les amateurs de rock ‘n’ roll ? (avec cependant un titre d’album en anglais).
Il semble que non, malheureusement, du moins par les “intégristes” et c’est dommage mais ça bouge, faut pas lâcher l’affaire !
Est-il encore d’actualité de réaliser un CD alors que la consommation musicale est plutôt faite par titres isolés ?
Je ne sais que répondre, c’est mon côté altruiste peut être, j’aime partager, que ce soit musicalement avec des musiciens d’horizons différents ou avec le public : j’aime donner. Je n’ai pas d’agent pour me catalyser, me freiner…

Les Bootleggers sont-ils confirmés pour le festival de Mirande l’été prochain ? Avec quels musiciens ?
Yes Sir ! Marc Pleux nous a de nouveau invités en opening de mes copains Two Tons of Steel et Ricochet, énorme ! Nous y serons le samedi, il y aura un superbe plateau l’an prochain et j’espére que, step by step, Mirande retrouvera ses lettres de noblesse. Pour les musiciens, Bootleggers sera au complet, drivés par notre petite merveille à la gratte, Jeremy Mondou. Papa Mondou sera egalement de la fête au sax et peut être avec un guest surprise…
Le prochain concert mêlera-t-il les chansons en anglais et en français ?
Là ça sera Bootleggers mais il se peut que, comme en 2025, nous y ajoutions quelques titres en français : Blouson noir, Le rade des zombies fonctionnent bien sur scène et le Zack attack également
Qu’a apporté Internet à la diffusion de ta musique ?
Les connexions entre musiciens, la possibilité de travailler à distance via We Transfer ou autre, la promotion. Mes précédents albums étaient distribués par imusician mais la distribution de Rock Rebel a été loupée donc j’ai levé le pied pour l’album qui a suivi. On trouve tous nos albums sur Bandcamp mais tout va tellement vite que je me sens parfois un peu dépassé par l’évolution de tout ce bazard ! A 67 berges on n’a pas le cerveau d’un jeune qui a grandi avec les ordinateurs. Et puis j’avoue être inquiet avec leur IA, je ne suis pas sûr que ça soit un avancement, j’ai l’impression qu’on a plutôt ouvert la boite de Pandore…

Comment t’informes-tu sur l’actualité de la musique ?
Je fais toujours du booking donc je reçois pas mal d’albums, j’ai toujours beaucoup de contacts aux Etats-Unis et puis je fais aussi des recherches sur internet pour me renouveler musicalement. Enfin, j’achète pas mal de vinyles français, anglais, américains, au grand désarroi de ma compagne !
Une anecdote que tu ne te lasses pas de raconter ?
J’en ai quelques unes en 43 ans de scène… Peut être une soirée à la Lorada (villa à Ramatuelle) chez le Patron où on jouait. Il y avait un étal avec des bijoux navajos, j’adorais ça. Une bague me plaisait particulièrement mais quand j’ai vu le prix, je l’ai vite reposée ! Un peu avant d’attaquer notre set, quelqu’un est venu me taper sur l’épaule et m’a offert cette bague, je ne sais plus si c’était son garde du corps ou Hervé Lewis. Johnny avait vu mon geste et me l’avait offerte ! Il avait aussi offert ce soir-là à son pote Eddy une magnifique bague avec une grosse turquoise verte. Après le set, je l’ai remercié, il m’a juste fait un clin d’œil avec un immense sourire en me tapant sur l’épaule. Ça m’avait vraiment touché, j’ai toujours cette bague. C’était ça, Johnny, une voix phénoménale, un charisme animal mais aussi un homme généreux, abordable et simple, avec l’intelligence du cœur et c’était un sacré putain de rocker qui devait avoir aussi ses démons, mais qui n’en a pas ?
Veux-tu ajouter quelque chose ?
Je crois que j’ai été assez bavard (rires). Merci pour ton soutien Jacques et merci à la famille du Cri du Coyote. © Jacques Brémond (novembre 2025)

Best Of : Didier travaille sur un album (vinyle) qui comportera les titres suivants : 1- Blouson noir, 2- Rock Rebel, 3- Le rade des zombies, 4- Génération perdue, 5- Barrelhouse Blues, 6- Bayou Stomp, 7- Zack Attack, 8- Salut Charly, 9- Mauvaise Fille, 10- La voix d’Elvis, 11- Du moment qu’ça roule, 12- Trucker Blues, 13- Ma Jolie Sarah, 14- Made in Rock’n’Roll
On peut aider à sa réalisation en soutenant le projet :
https://fr.ulule.com/vinyle-43-ans-carriere
Compléments sonores en images :
http://www.youtube.com/watch?v=j0EdOkrznvg (Made In Rock ‘n’ Roll)
http://www.youtube.com/watch?v=7ad90ZSwGHQ (Blouson noir)
http://www.reverbnation.com/didiercere
Archive : Interview dans Le Cri du Coyote n°160 (2019) :



