
Interview par Eric Supparo
Rares sont ceux qui, comme Michel Pampelune, ont tenté, au travers de l’aventure Fargo (label, boutique, promotion), de faire connaître et aimer les musiques américaines au sens le plus large (folk, country, rock, blues, soul…) depuis un quart de siècle, dans notre pays. Le Cri du Coyote a relayé autant que possible les découvertes et signatures Fargo (une liste bien trop longue pour être mentionnée ici), qui n’ont jamais versé dans la facilité ou la caricature des genres. Un nouveau rendez-vous nous est donné par Michel : un festival “americana”, qui se tiendra le samedi 7 septembre 2024 à Vancé, dans la Sarthe. L’occasion idéale pour rencontrer son créateur, passionné et passionnant.

Avant d’évoquer ce nouveau festival « Eldorado », et pour nos lecteurs distraits ou extra-terrestres, peux-tu nous parler un peu de ton parcours personnel, depuis la création du label Fargo en 2000 ?
L’aventure du label Fargo aura duré un peu plus de quinze ans : quelque 200 albums sortis, dont ceux de Neal Casal, Jesse Sykes, Ryan Adams, Richard Buckner, Clem Snide, Alela Diane – entre autres et pour citer des artistes qui risquent d’être connus de vos lecteurs. C’était l’époque du magazine No Depression et Fargo a pris part à cette scène alternative-country, qu’on appelle de nos jours “americana”. En 2010, j’ai ouvert, à Paris, Fargo Vinyl Shop, un magasin de disques, activité que je trouvais complémentaire du label, et publié à peu près à la même époque un magazine, Eldorado. En 2015, ces activités ont cessé, j’ai fait une pause personnelle et j’ai quitté Paris. Depuis, j’accompagne des artistes d’une autre manière, comme conseil ou attaché de presse. Ce que j’ai appris en pilotant un label indépendant, je le mets au service d’artistes et de leurs labels, selon leurs besoins. Et j’organise aussi des concerts à l’occasion (Steve Earle, Chuck Prophet, Jesse Malin, Israel Nash, Dylan LeBlanc…). Cette nouvelle activité me permet de travailler avec un plus grand nombre d’artistes que lorsque j’étais producteur au sein de mon label. Et j’aime ça. J’ai notamment la chance de m’occuper du label de Dan Auerbach des Black Keys, Easy Eye Sound (Robert Finley, Shannon & The Clams). Et j’ai aussi le bonheur d’accompagner des artistes qui étaient signés à l’époque chez Fargo, comme Jesse Malin ou les Great Lake Swimmers.

Plus de vingt ans de rencontres artistiques dans le milieu musical, quelles furent tes émotions les plus fortes ?
Je n’ai pas une très bonne mémoire alors piocher des émotions dans les vingt dernières années, cela m’est difficile…Il y en a tant eu. Les années Fargo, label puis disquaire, furent à la fois géniales, excitantes, parfois stressantes, mais ce sont les émotions d’aujourd’hui, voire de demain qui m’intéressent le plus… Evidemment, perdre Neal Casal en 2019, si on veut parler d’émotion, fut terrible. L’artiste pour lequel j’avais créé le label Fargo, une grande partie de la bande-son de ma vie. J’ai mis du temps à m’en remettre et il me manque. Je songe d’ailleurs à lui rendre hommage ou l’associer d’une façon ou un autre à cette nouvelle aventure de festival. Ce sont les rencontres humaines, au-delà des succès ou insuccès de mes aventures professionnelles, que je retiens. Par exemple, j’ai éprouvé une grande joie à retrouver récemment la chanteuse Jesse Sykes et le guitariste Phil Wanscher et passer du temps avec eux à Paris. Ils ont fait partie de l’aventure Fargo, dès les débuts du label, en 2002 je crois, et je me félicite de cette belle amitié qui dure. L’aventure de la boutique Fargo m’a aussi apporté aussi beaucoup de belles rencontres, des amitiés durables, qu’il s’agisse de mes collaborateurs, comme Thibault Guilhem (qui cartonne dans son job d’attaché de presse) ou des clients qui sont vite devenus des amis et que je fréquente encore aujourd’hui.
Ton métier suppose d’être toujours à l’écoute, curieux et passionné, comment fonctionnes-tu ? Tes sources et sources d’inspiration ?
Dans mon nouveau métier, ce sont le plus souvent les artistes ou leur entourage qui viennent à moi. Je démarche peu moi-même et n’ai plus besoin d’être aux aguets comme j’ai pu l’être quand j’avais un label et qu’il fallait que je signe des nouveaux artistes et tente, régulièrement, de dénicher la nouvelle “perle”. Je reste curieux et passionné, enthousiaste, en revanche. Cela ne m’a pas quitté. Mais je ne cherche plus à être au courant de tout. C’est impossible de tout suivre, surtout à l’heure des disques enregistrés à la maison.
Aujourd’hui, je n’ai pas de fonctionnement particulier et fais un peu comme tout le monde, je crois, pour découvrir de nouveaux artistes ; un peu de réseaux sociaux, Spotify, j’échange avec des amis. Il est vrai qu’étant professionnel en prise quotidienne avec un réseau constitué de managers, producteurs de concert, d’artistes et de labels, j’ai accès à une source d’information très en amont.

Le 7 septembre tu organises un festival sur le thème Americana, nommé « Eldorado », à Vancé, dans la Sarthe. Ce n’est pas le premier concert estampillé Fargo (plusieurs à la Flêche d’Or à Paris, etc), mais comment est née cette idée ?
Non, en effet, il y a déjà eu plusieurs petits “festivals” estampillés Fargo dans le passé. C’était à Paris, dans divers endroits. Fargo All Stars en 2008, trois soirées consécutives à la Flêche d’Or, ça reste un souvenir fort. Fargo Rock City en 2013, avec Steve Earle, Sallie Ford etc, c’était chouette aussi. Ces événements avaient toujours lieu dans des salles de concert. Cette fois, on est à la campagne et on va partir un peu d’une page blanche. Le lieu -une ancienne scierie- n’a jamais été le théatre d’un tel événement. C’est excitant.
Cette fois, la couleur musicale est affichée de façon plus claire, même si le terme americana est assez large et permet pas mal de liberté. Il n’y a pas de festival de ce genre en France, pas tel que je l’imagine, tel que je le rêve. Travaillant avec de nombreux artistes majeurs du genre et faisant la promotion de ces musiques en France depuis des décennies, cela faisant sens, qu’après ces galops d’essai parisiens, je tente l’aventure et fasse le pont entre les musiques que j’aime et l’endroit où j’habite depuis huit ans.
Le projet s’est réellement concrétisé quand j’ai rencontré l’enthousiasme du maire de Vancé, Hubert Paris. Seul, cette idée de “festival” serait restée juste une idée. Le maire et ses conseillers municipaux savent bien que le salut de nos campagnes ne peut aujourd’hui passer que par la culture, l’artisanat et le tourisme. C’est d’ailleurs un symbole fort de faire un événement culturel dans une ancienne “usine”. On est une équipe de six personnes au travail sur le projet (sans compter les bénévoles qui nous rejoindront prochainement) et les généreuses âmes qui filent des coups de main.
On utilise le mot Festival, faute de mieux, qui désigne les concerts multi-artistes, en plein air etc. Mais ce terme véhicule aussi une image de gigantisme, alors qu’on est dans quelque chose de quasiment familial, un boutique-festival ! Il y aura en outre un marché “americana” : disquaire vinyle, fringues vintage; libraire, tatoueur, produits locaux/ terroir, food trucks, bières artisanales locales (la Valennoise), vins locaux (Jasnières et Coteaux du Loir). Et enfin une capacité maximum de 1500 personnes, afin que le public, les artistes et l’équipe puissent vivre une belle expérience. Small is beautiful !

Promouvoir des musiciens aux racines américaines en France en 2024, est-ce différent de ce que tu as connu au début du label, il y a 25 ans ? En termes d’image, au-delà des clichés, etc.
Oui, les choses ont changé et se sont nettement améliorées. La différence principale est qu’aujourd’hui, les gens ont accès à tout, la musique, l’information via internet et les plateformes digitales et n’ont pas nécessairement besoin d’un magazine ou d’un disquaire à proximité. Tout est disponible à portée de clics. Le public, en général, est plus connaisseur et informé sur ces musiques, je trouve, que lorsque j’ai débuté mon label au début des années 2000. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas besoin de filtre ou de prescripteur car, parallélement l’offre musicale s’est démultipliée et il sort tant de disques qu’il est difficile, seul, de s’y retrouver. L’exposition des musiques americana dans les medias en France reste compliquée ; comme toute musique un peu spécialisée, ou qui ne soit pas la variété française ou le rap. La presse musicale reste fragile -on a la chance d’avoir avec Rolling Stone et Soul Bag des titres qui parlent bien de “nos” musiques- et la TV et la radio, c’est très difficile, mais on a aussi des oasis possibles comme les Nocturnes de Georges Lang ou le Very Good Trip de Michka Assayas sur France Inter.

Quels sont les défis actuels pour un tel événement ? Organiser un festival est une tâche assez rude, et comment exister au-delà de l’offre existante spécialisée (festivals bluegrass, blues, rock, etc.) ?
Le premier défi, c’est évidemment le financement… le second, faire venir un public en pleine campagne, avec une affiche qui ne comporte pas de stars, propose des musiques qui peuvent sembler spécialisées… à un prix de 30€. Promouvoir des concerts à Paris, je sais faire mais là, c’est différent. Mon défi de programmateur a été de constituer une affiche homogène qui puisse balayer de façon large le spectre des musiques américaines, et puisse satisfaire les connaisseurs exigeants comme les néophytes. On n’a pas besoin de connaître la musique pour l’apprécier. Le but est le partage et la découverte. Je n’ai pas fait d’étude de marché et ne connaît pas toute l’offre spécialisée dont tu parles. Je pense que cette esthétique musicale et ce cocktail de musiques que je compte proposer, cela n’existe pas ici. C’est la partie où je suis mon instinct et mes goûts. Il va falloir venir à Vancé le 7 septembre pour s’en rendre compte !
Peux-tu nous présenter les artistes présents à ce festival ?

Dylan LeBlanc, est l’un des artistes que je préfère actuellement, un songwriter qui a grandi entre Louisiane et Alabama ; j’ai la chance de travailler avec lui depuis quelques années ; et suis fan depuis son premier disque – il a fait ses premiers concerts en Europe en première partie d’Alela Diane, le monde est petit… Son dernier album Coyote est sublime, le niveau de songwriting est incroyable ; j’aime son timbre de voix, unique ; et sur scène, il est poignant en solo, et en groupe, ça envoie façon Neil Young et Crazy Horse… Rock, country, soul, le mélange parfait pour Eldorado…

Les Lowland Brothers, c’est une chouette rencontre et la preuve qu’il est possible de faire, en France, une musique d’inspiration américaine sans sonner comme un ersatz des groupes américains ou anglais. Ces cinq faux-frères ont digéré leurs influences musicales pour faire une musique qui n’appartient qu’à eux. Les chansons sont mélodiques, très accrocheuses. On ne peut pas dire qu’ils sont les … français et c’est la marque d’un bon groupe, à mon avis. Ils ont refusé de choisir entre rock, blues, soul et country et c’est tant mieux. Leur groove est communicatif, et ils vont faire danser le public du festival.

Emily Nenni : c’est une artiste de la nouvelle scène country indépendante qui propose une musique honky- tonk un peu rétro, 70’s – les amateurs de Waylon Jennings devraient apprécier. Elle a aussi un petit côté Linda Ronstadt. Elle est accompagnée par un super-groupe de Nashville, Teddy & The Rough Riders. Elle est pétillante, solaire : je l’ai vue en mars dernier à Austin et je me suis dit qu’elle serait parfaite pour Eldorado. Emily Nenni tourne souvent avec Charley Crockett et Orville Peck, deux artistes que j’aime beaucoup.

Jackson & Levi Scribner : c’est la découverte, la pépite, le secret le mieux gardé américain dans le genre. J’ai découvert ce jeune Texan il y a trois ans avec un premier album bluffant qui m’a fait penser aux débuts de Ryan Adams. Dans ses chansons folk-rock, Jackson Scribner raconte la vie dans les petites villes paumées, les gens simples et les paysages désolés de son Texas natal. Avec son frère Levi, également chanteur et guitariste, ils font des étincelles avec leurs sublimes harmonies. C’est une exclusivité Eldorado, ils viennent tout spécialement pour nous. Si, en 2024, j’avais un label, je signerais Jackson.

Alberta Cross : Alberta Cross est un groupe rock anglo-suédois fondé par le chanteur, songwriter et guitariste Petter Ericson Stakee et le Londonien Terry Wolfers au milieu des années 2000. Je suis fan de ce groupe depuis leur album Broken Side Of Time en 2009. J’aime leurs chansons avec des refrains comme des hymnes, leur rock atmosphérique teinté d’americana. C’est drôle, et ça me plaît, mais quand Dylan LeBlanc a appris qu’Alberta Cross rejoignait l’affiche du festival, il a commenté sur Facebook : “Alberta Cross, je suis un fan énorme de ce groupe !” Petter Ericson Stakee, le chanteur du groupe a, lui aussi, un timbre de voix singulier. Leur musique peut être très rock, ou planante façon Pink Floyd. C’est une autre couleur artistique intéressante pour cette affiche. Et n’oublions pas que l’autre pays de l’americana, c’est la Suède ! © (Eric Supparo, depuis… la Suède ! 😉

Lien billetterie :
https://my.weezevent.com/eldorado-americana-festival
Bande-annonce vidéo du festival :
https://www.youtube.com/watch?v=p-EveXBmrIQ
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