Bluegrass In La Roche 2025

par Dominique Fosse

Le festival bluegrass de La Roche-sur-Foron fêtait du 31 juillet au 3 août 2025 sa vingtième édition. Christopher Howard-Williams, Président de Bluegrass in La Roche, l’association organisatrice, avait décidé de marquer le coup en invitant, parmi les 350 groupes ayant participé au festival, certains de ceux qui en avaient particulièrement marqué l’histoire.

Kids on Bluegrass & « profs »

La programmation spéciale de cette année n’a pas empêché de respecter les traditions et le festival a donc débuté, le jeudi soir, avec les habituelles prestations des stagiaires, présents depuis trois jours à La Roche-sur-Foron. Ce fut ensuite le concert des profs (français) du stage, soit Patrick Peillon (gtr), Thierry Loyer (dob), Dorian Ricaux (mdo), Raphaël Maillet (fdl), Gilles Rézard (bjo) et Marie Clémence (cbss). Les stagiaires devaient être bons car j’ai trouvé les profs en progrès par rapport à l’an dernier. C’est Patrick Peillon qui a interprété toutes les chansons et ce n’était pas plus mal. Il n’a pas forcé sur l’accent nasillard et il a reçu un bon soutien vocal de Raphaël Maillet Thanks A Lot de IIIrd Tyme Out) et Dorian Ricaux (I Know What Tomorrow May Bring de Claire Lynch) sur les refrains. Ils ont aussi joué un titre des Punch Brothers et, comme l’an dernier, Thierry Loyer a réussi à imposer un instrumental de son collègue dobroïste Andy Hall (Last Chance Getaway) qui a inspiré tous les musiciens, Dorian en particulier.

Après cet All Star français, il y a eu un All Star européen, cinq musiciens réunis pour un soir seulement sous l’appellation La Roche Bluegrass All Star Band, soit l’Espagnol Lluis Gomez (bjo), le Néo-Zélandais établi en Allemagne Pierce Black (contrebassiste de Stereo Naked), l’Anglais Evan Davies (mandoliniste de The Often Herd), le Hollandais Joram Peeters (guitariste de Red Herring) et le Tchèque Vladimir Krizan (guitariste de G Runs’n Roses). Puisque c’est le All Star Band du festival, j’aurais bien aimé y voir Ondra Kozak qui a participé à treize éditions du festival et a gagné quatre fois le concours de groupes (avec quatre formations différentes et sur trois instruments différents !). Au début du set, ça s’est bien senti que c’était un groupe de circonstance. Les solistes étaient bons mais l’accompagnement manquait de corps et le groupe de cohésion. Joram a néanmoins bien chanté le blues Blue Trail of Sorrow (Dan Tyminski période AKUS). Pareil pour Pierce sur le swing Home Grown Meadows. Par la suite, la mise en place s’est améliorée. Indispensable quand on s’attaque à un titre d’Alison Krauss (Here Comes Goodbye interprété par Evan). Le morceau que j’ai préféré est I’d Rather Be Alone, une excellente composition pleine d’humour de Joram Peeters. Il est passé au violon sur Lonesome Fiddle Blues, avec de belles parties de fiddle et de mandoline. En revanche, j’ai trouvé que ce que jouait Lluis était trop compliqué. Il s’est rattrapé sur un de ses instrumentaux (je crois que c’était T’ho Vaig Dir). Vladimir s’est simplifié la tâche en chantant un classique (New River Train). Le set s’est conclu dans la bonne humeur, Joram faisant participer le public sur le classique Let Me Fall.

Tanasi

Si c’était la première fois que le groupe américain Tanasi (du nom du village Cherokee qui a donné son nom à l’Etat du Tennessee) se produisait à Bluegrass In La Roche, trois des quatre musiciens y avaient déjà joué avec d’autres formations : Anya Hinkle (gtr) avec Tellico, Mary Lucey (cbss, bjo) et Billy Cardine (dob) avec Lover’s Leap (Billy a aussi joué à La Roche avec Hickory Project et Rapidgrass). Ils étaient accompagnés par le fiddler Andrew Finn Magill. Ce dernier a été assez discret (je pense qu’il n’est pas membre permanent du groupe). Les voix de Mary et Anya s’accordent très bien. On s’en aperçoit dès le premier morceau, Hannes Tune, et par la suite sur On Your Way -titre entrainant qui demande de la puissance vocale, puis sur une chanson des Biscuit Burners (c’était le groupe de Mary et Billy il y a vingt ans), et un titre plus folk, We Can Be Together. En solo, Anya s’illustre dans The Hills of Swannanoa qui commence comme un fiddle tune joué au dobro (rien ne fait peur à Billy Cardine) et une surprenante reprise en version lente de Many Rivers To Cross, le tube de Jimmy Cliff, avec encore de très jolies parties en duo avec Mary. Cette dernière a notamment interprété une ballade bluesy, The Sweetest Breeze. Il y a eu de longues parties instrumentales dans plusieurs chansons. Tanasi a joué aussi plusieurs compositions instrumentales de Billy Cardine (Pickin’ In The Pines, The Fif). Mary joue le plus souvent du banjo old-time sur ces titres. J’ai trouvé que les solos de Billy Cardine étaient parfois trop longs et pas toujours intéressants mais Thierry Loyer a adoré (et c’est lui le spécialiste) !

Rapidgrass

Il ne pouvait y avoir de vingtième édition de Bluegrass In La Roche sans la présence de Rapidgrass, une des formations qui comptent le plus de participations au festival. On s’en lasse d’autant moins que le groupe du Colorado a changé depuis sa dernière venue en 2022 et qu’il avait embarqué avec lui Pete Wernick, banjoïste connu comme membre de deux groupes mythiques, Country Cooking et Hot Rize, et comme l’auteur de nombreux ouvrages sur le bluegrass et le banjo. Pour le mettre dans le bain, Rapidgrass a débuté son set par High On A Mountain, un des chevaux de bataille de Hot Rize dans ses concerts, et inclus par la suite deux autres classiques du groupe, Nellie Kane et Colleen Malone. Pete Wernick a été très discret dans ce set (il a 79 ans). Hormis les morceaux de Hot Rize, il n’a pris un solo que sur trois ou quatre chansons. Il n’était pas très bien sonorisé, c’était peut-être volontaire et de toutes façons, il n’est pas facile de se faire entendre dans un jam band comme Rapidgrass. Coleman Smith, l’excellent fiddler du groupe depuis ses débuts, est parti (il joue désormais avec Yonder Mountain String Band). Son remplaçant, Andy Reiner, est talentueux mais moins flamboyant. Cependant, le changement le plus marquant est la présence inédite pour un groupe bluegrass d’un joueur de mélodica, Jon Wirtz, qu’Alex Johnstone a d’ailleurs présenté comme leur “wild anomaly”. Il joue bien, ça sonne souvent comme un harmonica mais je n’ai jamais été fan des harmonicas dans les groupes bluegrass. Rapidgrass avait choisi de sortir officiellement son nouvel album, Valhalla, à l’occasion de Bluegrass in La Roche. Il me semble qu’ils n’en ont joué qu’un morceau, la chanson qui a donné son titre au disque. On a retrouvé les bonnes chansons de leurs albums précédents (Happy Trails, Crooked Road, Wild Apple Trees) chantées par Mark Morris dans un style proche de Willie Nelson pour les titres les plus country. Alex Johnstone a interprété High Up In The Mountains, Highway 70 Release Me et Gravity. Ils enchainent les titres en plaçant un petit bout de Another Brick In The Wall (Pink Floyd) ou Caravan (Duke Ellington) comme liaison. Les parties d’impro ne m’ont pas semblé renversantes. De ce côté, Rapidgrass a pas mal perdu avec le départ de Coleman Smith, et le contrebassiste Charlie Parker Mertens a été plus discret que lors de la prestation de 2022.

Long Way Home

La soirée du vendredi a débuté avec Long Way Home. Ce groupe a été formé par la mandoliniste américaine Kylie Kay Anderson et le dobroïste néerlandais Owen Schinkel qui se sont rencontrés lors de leurs études musicales dans le Tennessee. Ils se sont ensuite établis aux Pays-Bas et formé Long Way Home. C’est en duo qu’ils avaient joué sur la petite scène en 2022. Complété par des musiciens hollandais et allemands, Long Way Home est en fait un quintet doté de trois très bons solistes (Kylie Kay, Owen et le banjoïste Lukas Grabe qui joue un très bon style Scruggs avec un son superbe) et quatre chanteurs différents (Kylie Kay, Owen, le guitariste Paul Ahrend et la bassiste Katja Grabe). Long Way Home joue du bluegrass contemporain avec une solide base classique. Leur répertoire associe compositions et standards ou semi-classiques (Little Girl of Mine de Flatt & Scruggs, Kentucky Borderline de Rhonda Vincent, Please Search Your Heart). L’accompagnement est un peu gâché par le son de la basse électrique (et un jeu très basique, sans relances). Le fiddler hollandais Tijmen Veelenturf est venu leur prêter main forte le temps de deux titres. J’ai beaucoup aimé le début du set. Ensuite, ça s’est un peu trop calmé. Mais bien quand même.

G-Runs’n Roses

Trois anciens vainqueurs du concours de groupes étaient invités pour ce vingtième festival bluegrass à La Roche-sur-Foron. Parmi eux, G-Runs’n Roses était incontournable puisque la formation tchèque est la seule qui a gagné deux fois ce concours, en 2010 et 2016. La composition a changé au fil des années. C’est le cas de beaucoup de groupes. De la formation originelle, on retrouve Ralph Schut (au banjo, il a par moments été le guitariste du groupe) et le mandoliniste Milan Marek, désormais accompagnés de Vlado Krizan (gtr), Christopher Schut (cbss), frère de Ralph, et Peter Burza (fdl), frère de Martin, ancien fiddler de la formation. Le répertoire de G-Runs’n Roses associe chansons classiques (Handsome Molly, Troubles Around Me de Red Allen) et plus modernes (des titres de Tim Stafford et Larry Rice) ainsi que des compositions de Ralph et Christopher Schut. Ralph est le principal chanteur. Vocalement, G-Runs’n Roses tire grand bénéfice de la présence de Christopher. Grâce à lui, les harmonies vocales ont une qualité qu’elles n’avaient jamais eue jusqu’à présent et Christopher, en lead, a une excellente voix au timbre plutôt pop et à l’énergie rock, bien mise en valeur dans sa composition Without A Doubt Again. Pour bien marquer leurs préférences, Christopher abordait un T-shirt Black Sabbath alors que son frère en avait un à l’effigie de Tony Rice. De son côté, Peter Burza a interprété une bonne adaptation de Hard Rock Bottom of Your Heart de Randy Travis. G-Runs’n Roses présente toujours les mêmes qualités instrumentales, en particulier dans Handsome Molly et Crossing the Minefield, superbe compo instrumentale de Milan Marek que le groupe joue depuis quinze ans mais dont je ne me lasse pas.

Red Wine

C’est la quatrième fois que le groupe italien Red Wine jouait à La Roche-sur-Foron. Red Wine existe depuis 1978 et leur musique est pourtant toujours aussi fraiche. Partie grâce à la voix presque juvénile du mandoliniste Martino Coppo, arrivé dans le groupe peu après sa création, partie grâce à un répertoire sans cesse renouvelé. Ainsi, les sept premiers titres joués par Red Wine ce vendredi soir étaient tous tirés de leur dernier album, New Night Dawning, paru en 2024. Le répertoire est varié, du bluegrass typique (Start Sawing on the Strings) aux influences country (New Night Dawning), boogie (Rusty Old American Dream) et irlandaises (Wesport, composition instrumentale de Silvio Ferretti). Red Wine rend son set encore plus intéressant en jouant avec les arrangements. Martino Coppo interprète plusieurs morceaux à la mandole ou au mandoloncelle, Silvio Ferretti en joue un autre au banjo old time. Quand il chante Too Old to Cry, il passe à la guitare, cédant son banjo à son fils Marco. Martino, Silvio et Marco sont de très bons musiciens. Les harmonies vocales sont aussi un point fort de Red Wine avec d’excellents trios et même une belle version bluegrass de Woodstock de Joni Mitchell avec un arrangement à quatre voix inspiré de celui de Crosby, Stills, Nash & Young. Ils ont invité la violoniste Barbara Lamb -qui avait fait la couverture du Cri du Coyote n° 24 avec son groupe Ranch Romance en 1992- pour deux titres, dont une belle version de Church Steeple, magnifique composition de Tim O’Brien (Barbara Lamb a quitté les Etats-Unis suite à l’élection de Donald Trump et vit actuellement en France). Puis ce fut le tour du Hollandais Paul Van Vlodrop et des frères Quale du groupe Crying Uncle Bluegrass Band de monter sur scène pour une reprise de Dawg’s Bull de David Grisman à trois mandolines. Red Wine champion d’Europe du bluegrass.

Della Mae

La composition du groupe Della Mae a bien changé depuis sa venue à Bluegrass in La Roche en 2019 puisqu’il ne reste que Celia Woodsmith (gtr) et Kimber Ludiker (fdl). Elles ont été rejointes par Avril Smith qui était la guitariste à la création du groupe en 2009 et par Vickie Vaughn qui a été élue contrebassiste de l’année en 2024 et 2025 par IBMA. Della Mae n’a plus de mandoliniste. L’arrivée de Vickie Vaughn a boosté l’énergie de Della Mae qui n’en manquait pourtant pas avec une chanteuse comme Celia Woodsmith. Vickie a une puissance vocale phénoménale. Un peu trop même pour les harmonies vocales (ce que la sono aurait pu régler puisque les chanteuses avaient chacune leur micro). En lead, elle se sert de cette puissance dans I Don’t Care et Up Around the Bend (Creedence Clearwater Revival), morceau dans lequel Kimber Ludiker montre qu’elle est une très bonne mandoliniste en plus d’être une excellente violoniste. Vickie interprète aussi des reprises de Ohio (Neil Young) et Tulsa Time (Don Williams). Pour ce dernier titre, Celia Woodsmith joue du washboard et les Della Mae sont rejointes sur scène par Jan Purat (AJ Lee & Blue Summit), ce qui nous vaut un beau dialogue de fiddles entre Jan et Kimber. Celia chante ses compositions qui sont les grands succès de Della Mae, Bourbon Hounds et Boston Town (chanson sur l’égalité salariale entre hommes et femmes -les Della Mae sont de ferventes militantes, notamment-mais pas seulement- concernant les droits des femmes). Elle interprète aussi Dry Town tiré de leur dernier album (Family Reunion) qui pourrait également devenir un classique du groupe. Côté reprises, elle pioche chez Merle Travis (Sixteen Tons dans une version blues) et Lucinda Williams (Can’t Let Go avec la participation de Kylie Kay Anderson, mandoliniste de Long Way Home). Si plusieurs amateurs se sont plaints du son trop “électro-acoustique” de certains guitaristes lors du festival, on ne peut rien reprocher à Avril Smith pour qui c’est un choix assumé. Sur plusieurs titres (Sixteen Tons, Little Birdie, Bourbon Hound), ses pédales d’effets lui permettent même d’avoir le son d’une guitare électrique -elle joue fréquemment de la guitare électrique sur les albums de Della Mae. Les Della Mae enchainent les titres sans temps mort. Celia fait l’effort de présenter quelques titres en français. Les quatre musiciennes s’étaient parées de combinaisons très colorées. Un des tout meilleurs sets de cette édition 2025 du festival.

Le Chat Mort

Les habitués de La Roche-sur-Foron étaient tout heureux de retrouver Le Chat Mort, un des groupes chouchous du festival. La formation suédoise n’était pas venue depuis 2018, année où elle avait été invitée en tant que vainqueur (ex aequo) du concours de la précédente édition. Camilla, la chanteuse qui joue de la caisse claire, est toujours aussi jolie mais elle n’a décidément pas la bonne couleur de peau. Sa voix m’a semblé encore plus rauque et cassée que par le passé. Elle convient à merveille à ce mélange de swing, de blues, de bluegrass et de musique de la Nouvelle Orléans. Le répertoire a peu évolué (les dix titres de Malla Walla Dalla, leur dernier album paru en 2021, figuraient tous sur le CD La Roche Edition que Le Chat Mort proposait lors du festival de 2018). Je pense que Le Chat Mort ne s’est pas beaucoup produit ces dernières années et j’ai d’ailleurs trouvé Bror David Neideman (bjo) et Peter Strömquist (gtr) moins brillants solistes que par le passé. Leur jeu privilégie de plus en plus les solos en accords au détriment du picking bluegrass. Au fur et à mesure des années, les chansons bluegrass composent d’ailleurs une part de plus en plus congrue de leur répertoire. Ils y sont quand même revenus à la fin du set avec le classique Old Time Religion (avec Raphaël Maillet au violon), Blue Moon of Kentucky (chanté par deux jeunes filles, Luna et Mila) et, en rappel, Prairie Wind, obscure (mais jolie) chanson qui a donné le goût du bluegrass à Bror David. Avec Foggy Mountain Top joué en début de set, ces titres ont équilibré le reste du répertoire essentiellement swing (dont beaucoup de très bonnes compos de Bror David) avec les toujours formidables Shoot Me Down, Dinah, Roses, Iko Iko et Bloodshot Eyes en final. De belles retrouvailles avec le public rochois que la seule averse du festival (le temps de cinq ou six chansons) n’a pas réussi à gâcher.

Uzer Trio (Ph. jean-Marc Delon)

Le samedi, sur la scène du midi, Bluegrass in La Roche nous proposait Uzer Trio, nouvelle formation composée de la jeune chanteuse et contrebassiste Marie Sheid et de deux ”vétérans” du bluegrass français, le mandoliniste Bernard Minari (Mando Duo, New Blue Quitach) et le banjoïste et guitariste Jean-Marc Delon (Bluegrass 43, Sanseverino). C’est au banjo que Jean-Marc s’est fait connaître mais il est difficile de se passer de la rythmique de la guitare dans une formation bluegrass. Pour ce set, il n’a joué du banjo que sur deux titres, l’excellente composition instrumentale de Bernard Blue Grasshopper et le classique I Ain’t Gonna Work Tomorrow. Jean-Marc joue ses solos en tenant virilement sa guitare à la verticale. J’ai particulièrement aimé ceux de San Antonio Rose et Think of What You’ve Done. Sa façon de présenter les titres sur scène semble nettement influencée par sa fréquentation prolongée de Stéphane Sanseverino. Il partage les chants lead avec Marie dans un répertoire repris à des groupes majeurs allant des Stanley Brothers (East Virginia Blues) à New Grass Revival (Callin’ Baton Rouge) en passant par Jimmy Martin (Gonna Miss Me When I’m Gone avec un superbe solo de Bernard), Del McCoury (The Bluegrass Country et I Feel The Blues Movin’ In) et les Country Gentlemen (Redwood Hill). Marie a une jolie voix, particulièrement bien mise en valeur dans Tennessee Waltz. J’ai aussi beaucoup apprécié East Virginia Blues chanté entièrement à trois voix.

Della Mae

Après Uzer Trio étaient programmés deux des groupes américains vedettes du festival. Les Della Mae n’avaient pas revêtu leurs jolies combinaisons de la veille. Elles nous ont interprété Bluebird Blackbird qui figure parmi leurs classiques, Empire (je crois) -autre classique, un swing et une chanson de Maya de Vitry. Kimber Ludiker a joué un fiddle tune sur son violon à 5 cordes et elles ont chanté le gospel Where The Soul of Man Never Dies en quartet a cappella. Ensuite, Rapidgrass a essayé de mettre Pete Wernick en vedette en jouant des titres de Hot Rize (The Old Rounder -une compo de Wernick-et Won’t You Come and Sing For Me) mais les chants (Wernick en harmonie vocale) n’étaient pas terribles. En revanche, ça m’a fait plaisir d’entendre Huckling the Berries, un instrumental original de Pete datant de l’époque Country Cooking. Mark Morris a chanté Take Me River bien arrangé avec le fiddle et la mandoline. Ils ont terminé par Rocky Road Blues chanté par Alex Johnstone avec des solos de tout le monde y compris Charlie Parker Mertens.

Olga Egorova

La mandoliniste russe Olga Egorova était la dernière à se produire sur la scène du midi (la scène du soleil dirait Gilles Assier qui filme la plupart des concerts). Elle joue seule depuis le décès de son compagnon et guitariste Roman avec qui elle formait Duo RO. Elle a joué un instrumental alambiqué avec des harmoniques, un medley folk slave, du Tchaïkovski (un extrait de Casse-Noisette qui m’a paru d’une virtuosité extrême), du Chris Thile. Quand elle chante, c’est très aigu et ça semble souvent déconnecté de l’accompagnement. Bref, pas facile à suivre à part une jolie compo intitulée The Roots. A la fin les Rapidgrass sont revenus accompagner magistralement Olga sur une épatante et décoiffante reprise de Stingray de Sam Bush (peut-être bien mélangée avec du David Grisman) et une chanson. C’était superbe.

Estacion 39

A ses débuts, le festival de La Roche-sur-Foron a pu bénéficier du soutien de l’association européenne de bluegrass EBMA. A son tour, depuis quelques années, il se sert de sa notoriété pour promouvoir des groupes issus de pays où le bluegrass est très peu connu. Après les Coréens de Country Gongbang en 2022 et les Indiens de Grassy Strings en 2023, c’est au tour des Argentins de Estacion 39 d’avoir fait un long voyage pour se produire à Bluegrass in La Roche. Estacion 39 est une formation bluegrass complète de cinq musiciens, mixte (trois hommes, deux femmes) qui joue du bluegrass traditionnel. Leur répertoire est composé de standards, à l’exception de Manana Campestre, adaptation d’une chanson de Arco Iris, groupe rock argentin des années 70. Au niveau instrumental, le groupe souffre de pas mal de faiblesses (des pains au banjo, un fiddle bien timide) mais leur envie de jouer est communicative et les chants sont plutôt bien en place, tant pour le lead (essentiellement Matt, le guitariste) que pour les harmonies vocales à 3, 4 et parfois 5 voix (Fox on the Run). Juma, le banjoïste, a joué une version personnelle de The Ballad of Jed Clampett. Le mandoliniste Dani Boy, avec sa barbe à la Jere Cherryholmes, a une voix à la fois douce et aiguë très agréable et il nous a gratifié d’un solo de cuillers rigolo à la fin de Foggy Mountain Top. Le public rochois les a immédiatement adoptés.

The Often Herd

Les Anglais de The Often Herd avaient remporté le concours de groupes en 2018 et, à ce titre, ils avaient rejoué sur la grande scène en 2019. C’est cependant la première fois en 2025 qu’ils se présentaient au grand complet à Bluegrass in La Roche puisque leur violoniste Niles Krieger était absent lors de leurs prestations précédentes (il avait été remplacé par le Français Marius Pibarot en 2018 et par un fiddler anglais en 2019). En vérité, les quatre musiciens actuels de Often Herd s’étaient déjà produits ensemble à La Roche lors du concours de 2016 mais c’était sous le nom de The Kentucky Cow Tippers et il leur manquait leur banjoïste, ce qui leur avait peut-être coûté la première place du concours. Par la suite, ils avaient décidé de changer de nom et de se passer de banjo. Ce qui leur va très bien. Dès la première chanson, interprétée d’une voix douce par le mandoliniste Evan Davies, on se rend compte que Niles Krieger est un fiddler tout simplement fantastique. Evan a chanté deux autres de ses compositions, Remember My Name et Hold On à propos du Brexit (il est contre -ne serait-ce que pour venir plus facilement à La Roche-sur-Foron). Sa voix contraste avec celle, plus énergique, du guitariste Rupert Hugues, plus rock’n’ roll avec ses lunettes style Top Gun et son sourire qui éclaire les montagnes situées face à la scène, pourtant distantes de quelques kilomètres. Rupert est un chanteur énergique et charismatique. Il interprète très bien Casablanca, une chanson relevée par un riff rythmique et Cool Summer Rain -carrément pop. Niles Krieger chante dans un registre de baryton Why You Been Gone So Long de Mickey Newberry. Très beau trio avec Evan et Rupert sur le refrain. Les harmonies vocales sont un des (nombreux) points forts du groupe. Ce sont aussi d’excellents musiciens. Evan est un mandoliniste inventif. Sur le troisième titre, Sycamore Gap, un instrumental composé par Niles, ce dernier a cassé une corde. Il a joué presque tout le set avec le fiddle de Raphaël Maillet, jusqu’au final éblouissant sur le traditionnel Sail Away, très bien arrangé tant vocalement que musicalement, avec un refrain particulièrement accrocheur. The Often Herd, champions d’Europe du bluegrass (ex aequo avec Red Wine, du coup).

Crying Uncle Bluegrass Band

Les adolescents californiens de Crying Uncle Bluegrass Band ont bien changé depuis leur premier passage en 2022. Le contrebassiste Andrew Osborne a désormais du poil au menton, Teo Quale (mdo) a pris de l’épaisseur, son frère Miles (fdl) s’est fait une coupe à la mode rasée sur les tempes, et ils ont carrément changé de guitariste avec l’arrivée de Ian Ly. Ce qui n’a pas changé, c’est leur incroyable virtuosité, que ce soit sur la bonne compo instrumentale de Teo jouée en ouverture (et dont je n’ai pas compris le nom -ils sont plus doués pour jouer de la musique que pour articuler), la chanson Reuben’s Train jouée à un train d’enfer ou EMD (Eat My Dust) de David Grisman. Teo et Miles sont particulièrement impressionnants mais Ian Ly est également un excellent musicien. Ils maîtrisent parfaitement le son de leurs instruments. Ils jouent sans branchements ni effets, en face des micros, avec un son acoustique qui ravit les puristes (et qui nous change de beaucoup de groupes qui jouent également très bien mais avec un son qui ne plait pas à tout le monde). Pour les chants, il n’y a pas beaucoup de progrès depuis trois ans. Teo écrit de bonnes chansons (Solomon’s Dream) mais il ne chante pas très bien. Les seules interprétations que j’ai trouvées réussies sont Old Man de Neil Young (déjà jouée en 2022) par Andrew avec un bon trio sur le refrain (et des solos époustouflants), et I’ve Got A Tiger By The Tail de Buck Owens par Ian. Crying Uncle a également fait une reprise épatante de Do It Again de Steely Dan, assez bien chantée mais surtout très bien arrangée. Ils ont convié Scott Gates (de Blue Summit) à chanter un titre avec eux mais les harmonies vocales n’étaient pas en place. La virtuosité instrumentale des musiciens de Crying Uncle compense largement leurs faiblesses vocales.

AJ Lee & Blue Summit

Philippe Ochin a présenté AJ Lee & Blue Summit en disant que le dernier album du groupe, City of Glass, était un des meilleurs disques bluegrass de 2024. AJ a eu un geste pour signifier qu’il en faisait trop mais Philippe m’avait dit la même chose il y a un an, sans savoir que Blue Summit serait présent cette année. Il était donc on ne peut plus sincère (et un bon vendeur de vins de Bourgogne ne saurait mentir, j’en suis certain). J’avais apprécié le groupe californien lors de sa première venue à La Roche en 2019 mais leur concert de cette année m’a paru encore bien meilleur. Blue Summit se distingue des autres groupes bluegrass par l’absence de banjo (ça, ce n’est qu’à moitié original) et la présence de deux guitaristes lead (c’est beaucoup plus rare). Sully Tuttle (frère de Molly) a formé le groupe avec AJ. Depuis 2019, Scott Gates a remplacé Jesse Fichman comme second guitariste et il a été la révélation du set de Blue Summit. Il est le principal partenaire vocal de AJ. Il a été bluffant sur les deux titres qu’il a chanté en lead, Mountain Heartache (un bluegrass rapide d’Alex Leach -banjoïste de Ralph Stanley II- interprété avec une énergie très bien dosée) et sa composition Bakersfield Clay, une valse lente bluesy où sa voix impressionne par sa puissance, sa maîtrise et le yodle final. Sa tessiture de tenor contraste avec le registre de baryton de Sullivan Tuttle, lui aussi excellent dans Seaside Town (dont le début fait penser à l’album Nebraska de Bruce Springsteen à cause du chant et de la reverb sur la guitare) et la reprise de Who Walks In When I Walk Out (Louis Armstrong & Ella Fitzgerald), prétexte également à d’excellents solos d’AJ (mdo), Jan Purat (fdl) et des deux guitaristes dans un style swing. Sur plusieurs titres, un des deux guitaristes utilise un capo pour se démarquer dans ses solos et son accompagnement. Ils jouent différemment mais difficile de leur définir un style particulier car ils ont surtout le souci de s’adapter à chaque chanson, qu’elle soit bluegrass, blues, swing ou influencée par le rock (City of Glass). La vedette du concert est tout de même la voix d’AJ. Un timbre très pur, une tessiture qui lui permet de descendre avec une douceur flûtée dans des mediums que peu de chanteuses exploitent, et l’instant d’après le chant aigu et l’énergie qui caractérisent le bluegrass, avec souvent une reverb très bien dosée. AJ a été notamment formidable dans le blues Still Love You Still tiré du dernier album, le mélancolique I Still Think of Her et d’excellentes reprises de Fishin’ In the Dark (Nitty Gritty Dirt Band) et Tear My Stillhouse Down (Gillian Welch). Elle joue aussi très bien de la mandoline. Jan Purat a été phénoménal (Weenie Dog Song dont la mélodie est quasiment un fiddle tune) et le groupe a montré tout son savoir-faire en enchainant les quatre premiers titres sans quasiment laisser le public applaudir. Le lendemain, sur la petite scène du midi, Scott Gates a volé le show avec sa composition Sollicitor Man qui sonne comme une vieille chanson country rockab’ et une reprise en mode ballade bluesy du succès des Monkees I’m A Believer entamée et achevée en yodle. De son côté, AJ a chanté une version joliment adoucie du Sugar Moon de Bob Wills.

Curly Strings

En conclusion de la soirée, le groupe estonien Curly Strings a rapidement charmé le public par son enthousiasme, sa volonté de se faire comprendre en traduisant les paroles de ses chansons en anglais et même en français (tous les titres sont en estonien). Il a fait participer le public sur plusieurs chansons. Malgré une formation typique à 80 % (pas de banjo), des rythmes et des tempos qui s’en rapprochent, la musique de Curly Strings n’est pas vraiment bluegrass. En solo, Peeter Hirtentreu (gtr) et Villu Talsi (mdo) n’ont pas une technique bluegrass. Ils chantent un morceau chacun, typiquement folk. Un instrumental est d’inspiration celtique. L’atout principal de Curly Strings est la jolie voix douce de Eeva Talsi qui est aussi une très bonne violoniste. Elle interprète surtout des ballades qui tranchent avec l’énergie des instrumentaux joués par le groupe. En plus de leur talent, les Curly Strings ont un sacré savoir-faire pour gagner l’affection du public. Ils chantent Frère Jacques a cappella au milieu d’un medley instrumental. Peeter saute dans la fosse devant la scène (deux mètres de haut quand même) pour terminer un solo sous le nez des spectateurs du premier rang, incrédules. Villu fait la publicité du merchandising du groupe sur fond musical comme dans une réclame radiophonique. Ils ont terminé en rappel sur un rock en faisant chanter en estonien un public emballé.

Table For Two (Ph. Dominique Fosse)

Le duo Table For Two était en apéritif de la journée du dimanche. Il est composé de la Danoise Signe Borch et du Belge Thierry Schoysman (également banjoïste de Rawhide et mandoliniste des feus Sons of Navarone, vainqueurs du concours de groupes en 2012). Dès que Thierry est sur scène, on est certain de passer un bon moment, ne serait-ce que pour ses présentations pleines d’humour. Table For Two interprète des instrumentaux en duo de mandolines et des chansons accompagnées guitare (Signe)-banjo (Thierry). Il y a de la variété dans les deux catégories. Côté instrumentaux, ils nous ont offert un medley de compositions, du brésilien (Tico Tico) et du Grisman (Ricochet). Presque toutes les chansons sont intégralement chantées en duo. Leur répertoire comprend plusieurs classiques du bluegrass (East Virginia Blues, On and On). J’ai préféré les titres importés d’autres genres comme Eight Days A Week des Beatles en final et de charmantes versions de Everyday (Buddy Holly) et Devoted To You (Everly Brothers).


Après Table For Two étaient programmés trois groupes s’étant déjà produits sur la grande scène. Le public a été très heureux de voir Crying Uncle et AJ Lee & Blue Summit de tout près avec des répertoires différents de la veille. Pour ce qui est de Estacion 39, on considérera que cette seconde séance était un bonus lié à la longueur du voyage qu’ils avaient fait jusqu’à nous. J’aurais préféré revoir Red Wine ou The Often Herd (ou même Curly Strings).

Manu Bertrand & Valentine Lambert

Le dernier concert de la petite scène était celui de Valentine Lambert. Les artistes chantant en français sont rares à Bluegrass in La Roche. Depuis 20 ans, je pense qu’ils se comptent sur les doigts d’une main. Il y a eu Tricyclette, Chapeau de Paille, Christian Labonne, Morgane G, je ne dois pas en oublier beaucoup. Valentine Lambert ne chante que ses compositions, toutes en français, s’accompagnant à la guitare, soutenue par Manu Bertrand (gtr, dob). Elle a une voix douce bien adaptée à cette formule en duo. Valentine écrit de jolies chansons (J’suis Comme Ça avec deux guitares en fingerpiking), volontiers nostalgiques (Je Pense A Hier -jolie mélodie). C’est carrément country quand il y a deux guitares en flatpicking (Road Movie et Polaroïds). Manu joue une merveille d’accompagnement au dobro dans Le Veilleur de Nuit et Sur Le Quai de la Gare, deux chansons bien rythmées que j’ai beaucoup aimées et que Valentine chante très bien. Manu assure aussi une bonne complémentarité vocale (Le Silence). Le set s’est terminé avec les copines de Dear John et coprésentatrices du festival Stéphanie et Lena en choristes sur Polaroïd et, bien entendu, cette folle de Lena a fait du clogging pendant les solos de guitare.

Lazy Grass

Lazy Grass est un groupe de Toulouse, ville chère aux vieux bluegrasseux français puisque c’est là qu’ont eu lieu les premiers grands festivals bluegrass. C’était il y a plus de 40 ans, les musiciens de Lazy Grass sont trop jeunes pour les avoir fréquentés et au vu de leur décontraction, je pense qu’ils s’en fichent pas mal. Lazy Grass joue un bluegrass moderne à base de compositions (la seule reprise est Tunnel of Love de Wanda Jackson dont le groupe a accentué le côté blues). C’était une des rares formations à jouer pour la première fois sur la grande scène, ce qui est forcément impressionnant et peut-être la cause du côté brouillon des deux premiers titres, l’instrumental Le Fau et la chanson Revenge of the Little Girl. Ça s’est arrangé dès le troisième titre, Far From the Sea, dédié aux marins perdus en pleine montagne (les Lazy Grass ont de l’humour). Toutes les chansons sont interprétées par Laura, la mandoliniste. Les Lazy Grass ont beaucoup d’énergie et de spontanéité, parfois à la limite du n’importe quoi (les présentations du contrebassiste Babou, certaines parties instrumentales trop longues ou trop rapides) mais il y a aussi beaucoup d’idées dans les arrangements, une bonne communication avec le public et des refrains à quatre voix qui apportent de la singularité à la musique de Lazy Grass.

Johnny & the Yooahoos

Depuis leur premier passage à La Roche-sur-Foron en 2022, Johnny & the Yooahoos a fait bien du chemin, jusqu’aux Etats-Unis dont ils revenaient tout juste, après une tournée qui les a fait passer par le Grand Ole Opry et deux des principaux festivals du début d’été, Grey Fox et ROMP. Je ne me souviens pas qu’un autre groupe européen ait connu pareil honneur. Cette année, le quatuor munichois était renforcé par le fiddler hollandais Tijmen Veelenturf. Ça a débuté fort par un bon arrangement du traditionnel Little Birdie chanté en trio par les frères Schuhlbeck (Johnny -mdo ; Bastian -bjo) et le guitariste Bernie Huber. Ensuite, Bernie a fait étalage de la puissance de sa voix sur le newgrass All My Fathers. Le groupe a montré qu’il savait allier énergie et nuances sur le blues Through the Echoes. Après Down the Line, une compo de Johnny, les Yooahoos nous ont livré une splendide interprétation de Get Back des Beatles, entièrement chantée en trio et assaisonnée de breaks furieux des quatre solistes. C’était l’apogée de leur concert. Ensuite, ils nous ont un peu perdus avec un instrumental de Bastian qu’il a joué en clawhammer (Turtle Plays the Red Ball) et que j’ai trouvé sans intérêt, un gospel sans charme et une chanson écrite par Bastian jouée trop vite et trop fort. C’est le risque pour les groupes qui ont une puissance de feu comme Johnny & the Yooahoos d’en abuser. Leur prestation s’est néanmoins terminée sur une bonne note avec The Meeting is Over dont ils ont chanté le début en trio a cappella et où ils ont retrouvé leur sens des nuances.

Sunshine in Ohio

J’avais manqué le concert du groupe grenoblois Sunshine in Ohio l’an dernier. Je les ai tout d’abord vus jouer dans la rue cette année, attirant un public nombreux, ce qui m’a décidé à ne les manquer sous aucun prétexte sur la grande scène. Sunshine in Ohio est une formation très originale de sept musiciens et chanteurs. La présence de quatre multi-instrumentistes permet des combinaisons variées. Il y a parfois un quintette à cordes avec trois violons, le violoncelle et la contrebasse. Damien joue sur une guitare à cordes en nylon, ce qui est rare (voire osé) dans ce contexte. Il y a souvent une seconde guitare et de la mandoline. Leur musique n’est pas facile à décrire. On peut sans doute considérer que c’est de l’americana acoustique. Le set débute par une espèce de parodie de chanson western, très musicale, pleine d’idées d’arrangement. Au fil des titres, cinq chanteurs se succèdent sans que la qualité s’en ressente. Ils se relaient même dans la même chanson (The Goodbye Song). Johnny Sunshine fait valoir sa tessiture très agréable de baryton dans If I Was. Aurélien dynamise Mountain Dew. Mélanie est tantôt blues, tantôt caressante dans Sweet Roses. Maxime délivre une interprétation tout en nuances de Rollin’ Train (avec un joli solo de guitare de Damien). Le groupe étant partisan de l’americana participative, Lorain Ohio fait chanter le public dans le gospel-swing Settle Down, entamé et terminé par les sept chanteurs a cappella. Il y a de très belles harmonies vocales dans Johnny, When Are You Coming Home ? et The Goodbye Song, et de jolis arrangements de cordes dans plusieurs chansons. Les Sunshine in Ohio sont aussi de bons musiciens (en particulier la violoniste Coline), chacun prenant un solo dans Settle Down, y compris Johnny à la contrebasse. Le soleil ne brille pas que dans l’Ohio.

A Murder in Mississippi

La musique americana du groupe belge A Murder in Mississippi avait fait sensation lors de l’édition 2023 de Bluegrass in La Roche. Le groupe est inchangé avec le chanteur guitariste Leander Vandereecken, ses deux choristes Mirthe (percussions) et Lore (bjo), la violoniste Alexandra, le pianiste Dieter et le contrebassiste Stijn. Leur précédent passage ne date que de deux ans mais comme A Murder in Mississippi a sorti un album depuis (Reverie), ils proposent plusieurs nouvelles chansons dont Black Train pour débuter le set et Midnight Roller dans lequel Alexandra joue un envoûtant style tsigane. En 2023, le groupe avait fait plusieurs reprises. Cette année, je pense qu’il n’y avait que des chansons originales. Presque tous les titres swinguent mais ils sont mâtinés tantôt de boogie (Mary Lou), tantôt de blues à la limite de la soul (The Bones of John Jones que Leander a conclu face au public, sans micro). Forever and A Day a une très jolie mélodie. Les arrangements sont aux petits oignons. La voix de Leander, les harmonies vocales (superbes), les chœurs (tout le monde chante -même Alexandra qui n’a pas de micro !) et le violon sont en vedette mais il y a aussi un magnifique travail de Dieter et Stijn (qui passe fréquemment du walking au slap dans le même morceau) pour lier la sauce et booster le groupe. A Murder in Mississippi a été avec AJ Lee & Blue Summit le groupe le plus professionnel du festival. Il a terminé son set avec Run Brother Run en faisant largement participer le public. Mon seul regret est qu’il n’y a eu que dans Mary Lou que les voix de Mirthe et Lore ont été (un peu) mises en valeur. On en aurait voulu davantage.

Gypsy Cattle Drive

Cette vingtième édition du festival s’est achevée avec Gypsy Cattle Drive, l’alter ego swing de Rapidgrass, sans Pete Wernick cette fois. Comme nous avions été surpris de découvrir John Wirtz au mélodica avec Rapidgrass, Alain Kempf avait parié que sa présence dans le groupe serait justifiée par les prestations swing de Gypsy Cattle Drive. Et effectivement, John Wirtz était présent au piano (avec également son mélodica mais il en a très peu joué). Gypsy Cattle Drive a logiquement commencé son set avec la chanson Gypsy Cattle Drive, carte de visite bien swing qui nous a tout de suite mis dans l’ambiance avec de bons solos de tous les musiciens. Mark Morris avait revêtu un étonnant manteau à paillettes et John Wirtz a joué les élégants en arborant une casquette assortie à sa chemise à fleurs. Ce concert a été une très belle manière de clore le festival même si tout n’a pas été parfait. La longue impro qui a suivi Highway Man (très bien chanté par Mark) ne s’imposait pas (cette reprise faisait partie du set de Rapidgrass il y a trois ans et c’était beaucoup plus logique). Elle n’était pas très intéressante à part le moment où Alex a inséré un fiddle tune à la mandoline. Même constat pour Lonesome Moonlight Waltz, un des instrumentaux de Bill Monroe que je préfère, joué avec les frères Quale. Les valses lentes ne se prêtent pas aux impros et ce titre a été définitivement gâché par le duo de fiddles (Andy Reiner et Miles Quale) qui n’étaient pas du tout ensemble. Il y a eu plusieurs autres invités lors de ce set et c’était beaucoup mieux, parfois carrément flamboyant. D’abord trois fiddlers avec Raphaël Maillet et Tijmen Veelenturf en plus de Andy Reiner sur un instrumental swing. Ils ont joué ensemble puis se sont passé le relais en prenant visiblement beaucoup de plaisir. Les autres solistes étaient au diapason. Il y a même eu une conversation entre le mélodica et la contrebasse. Ce fut ensuite le tour de la chanteuse française Anaëlle Trumka (Dear John) de rejoindre le groupe. Elle avait déjà chanté avec Gypsy Cattle Drive lors des festivals de 2018 et 2022. C’était à chaque fois des chansons en anglais. Cette année, elle a interprété La Vie en Rose (Edith Piaf) sur le tempo original puis en mode swing. Elle a ensuite chanté un autre titre en français (que je ne connais pas -genre chanson réaliste de l’entre deux guerres) sur lequel elle a introduit une partie en scat ébouriffante. Olga Egorova, également invitée pour ce titre, a joué un solo si spectaculaire qu’Alex Johnstone l’a invitée à le doubler…

Les musiciens de Gypsy Cattle Drive se débrouillent aussi très bien tout seuls. Mark Morris a chanté Bears Are Dancing in the Forest, très bonne chanson du dernier album de Rapidgrass et Alex a interprété Gang of Angels (de l’album Take Him River). John Wirtz a joué à la fin de ce titre un remarquable solo de piano qui a justifié à lui seul sa présence dans le groupe. Le concert et le festival se sont achevés par un medley de Grateful Dead, groupe fétiche des musiciens de Rapidgrass comme de Christopher Howard-Williams. Ce dernier est monté sur scène pour chanter Scarlet Begonias. Mark Morris a enchainé avec Fire on the Mountain. Il y avait bien le feu sur la montagne à La Roche-sur-Foron. Didier Philippe (Directeur de l’Office du Tourisme et grand organisateur du festival) et les deux présentatrices du soir, Lena et Stéphanie, se sont joints au groupe pour faire chanter le public. Charlie Parker-Mertens a même prêté sa contrebasse à Stéphanie le temps de quelques mesures.

Peter Wernick & Lluís Gómez – Stage avec Peter Wernick

Voilà, c’était un beau festival. Il n’y avait plus de guerre en Ukraine, de bombardement en Palestine ni de conflit au Soudan ou de guerre commerciale entre Etats. Et pourtant si. Même si c’est par petites touches, pour la première fois cette année, la politique, l’agitation de la planète ont rattrapé le petit monde de Bluegrass in La Roche. Il y a deux ans il y avait bien eu Tim O’Brien pour changer les paroles de sa chanson Nervous, déclarant qu’une réélection de Donald Trump lui faisait peur. C’était largement passé inaperçu et à l’époque, vu de France, ça paraissait bien improbable. En 2025, il y a eu la présence de Barbara Lamb qui vit en France parce qu’elle a fui l’Amérique de Trump, des allusions d’Anya Hinckle et Celia Woodsmith pour nous faire comprendre qu’elles déploraient la politique menée dans leur pays. Et le groupe Lazy Grass a dédié sa chanson Les Exilés aux migrants et aux personnes qui vivent sous les bombes au Congo, au Soudan, en Ukraine et en Palestine.

Christopher Howard-Williams & Didier Philippe – Thierry Loyer & Philippe Ochin avec Joël Herbach (montrant des souvenirs des Festivals de Toulouse)

Christopher Howard-Williams voulait que cette vingtième édition du festival soit marquante et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a réussi. Je suis reparti en me disant que c’était le meilleur festival qu’ait connu Bluegrass in La Roche. Si j’ai une (petite) doléance, c’est que ça manquait de banjo pour un festival bluegrass. Aucun des quatre groupes américains n’avait de banjoïste (désolé mais je ne compte pas Pete Wernick) et c’était le cas de la moitié des formations présentes cette année. L’organisation est toujours aussi efficace et chaleureuse avec les nombreux bénévoles.

Merci aux bénévoles !

Tous les groupes présents sur scène l’ont d’ailleurs saluée et ont remercié Christopher et Philippe de les avoir fait venir à La Roche cette année. Beaucoup se sentent chez eux à Bluegrass in La Roche. La grande innovation de 2025 était que les concerts étaient filmés sur grand écran grâce à l’équipe de Fred Glas et Christophe Flament. La réalisation s’est efforcée de montrer en gros plan les solistes, ce qui n’est pas toujours évident pour un concert bluegrass. La cerise sur le gâteau a été… un gâteau ! Le premier soir, un gâteau d’anniversaire géant (offert par le Conseil Départemental de Haute-Savoie) a été partagé entre les spectateurs pour fêter la vingtième édition. Nous étions nombreux mais, avec 3000 choux, il y en a eu pour tout le monde ! © Dominique Fosse

Plaisir des Jams et gâteau de la vingtième édition

Merci à Emmanuel Marin (Pixels.Live) auteur des photos publiées ici, dont le reportage complet est disponible sur https://pixels-live.fr
Quelques autres images ont été prises sur Facebook (Dominique Guillot, Philippe Ochin et d’autres (?) merci de nous informer pour compléter les légendes). Site du Festival : https://www.larochebluegrass.org/accueil.html

Une réflexion sur « Bluegrass In La Roche 2025 »

  1. Je viens de voir un reportage sur les « Ramoneurs de Menhirs » et là, à la Roche, tout le monde bien propre sur soi. Quel contraste ! En fait, j’aime les deux.

    Jean-Paul

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