Pionniers Français de la Country Music (suite)

Autour de Jean-Louis Mongin

Grâce à Alain Fournier et Gilbert Rouit, voici encore quelques clichés dont le point commun est Jean-Louis Mongin et le groupe Virginia Truckee. Merci également à Marsel Bossard, Gilles Vignal, Jean-Louis Rancurel et quelques autres que nous aimerions identifier si vous pouvez nous aider en complétant les légendes des photos.

Jean-Louis Mongin, Alain Fournier, Pontier keyboard, Gilles Chevalier, Gilbert Rouit, Riquet Séré, Dany Vriet 1983-85
Riquet Séré & Jean-Louis Mongin – Jean-Louis Mongin & Gilbert Rouit
Jean-Louis Mongin- Dany Vriet et Jean-Louis Mongin (Pantin 1982)
Rose Bonbon (Ph. Marsel Bossard) – Avec Chet Atkins (Olympia 1977) – Hommage à Mike Larie (Utopia 2017)
Avec Hugues Aufray (Phil One 1981) – Chez Hugues Aufray – Dessin : Debarbe
Jean-Louis Mongin – Virginia Truckee (1er concert, 1979) – Dany Vriet, Jean-Louis Mongin, Riquet Séré, Marc Bozonnet (Ph. Gilles Vignal)
Virginia Truckee à la Fan Fair – Remise de l’Award CMA – Tournée Marlboro

En attendant la suite, intermède sonore avec Long Distance : Routier chanté par Jean-Louis Mongin avec Jean-Marie Redon , Mike Larie, Dany Vriet, Henri Séré, Jean-Yves Lozac’h (1979).
www.youtube.com/watch?v=mVFbuWivBbc

A suivre…

Bluegrass In La Roche 2025

par Dominique Fosse

Le festival bluegrass de La Roche-sur-Foron fêtait du 31 juillet au 3 août 2025 sa vingtième édition. Christopher Howard-Williams, Président de Bluegrass in La Roche, l’association organisatrice, avait décidé de marquer le coup en invitant, parmi les 350 groupes ayant participé au festival, certains de ceux qui en avaient particulièrement marqué l’histoire.

Kids on Bluegrass & « profs »

La programmation spéciale de cette année n’a pas empêché de respecter les traditions et le festival a donc débuté, le jeudi soir, avec les habituelles prestations des stagiaires, présents depuis trois jours à La Roche-sur-Foron. Ce fut ensuite le concert des profs (français) du stage, soit Patrick Peillon (gtr), Thierry Loyer (dob), Dorian Ricaux (mdo), Raphaël Maillet (fdl), Gilles Rézard (bjo) et Marie Clémence (cbss). Les stagiaires devaient être bons car j’ai trouvé les profs en progrès par rapport à l’an dernier. C’est Patrick Peillon qui a interprété toutes les chansons et ce n’était pas plus mal. Il n’a pas forcé sur l’accent nasillard et il a reçu un bon soutien vocal de Raphaël Maillet Thanks A Lot de IIIrd Tyme Out) et Dorian Ricaux (I Know What Tomorrow May Bring de Claire Lynch) sur les refrains. Ils ont aussi joué un titre des Punch Brothers et, comme l’an dernier, Thierry Loyer a réussi à imposer un instrumental de son collègue dobroïste Andy Hall (Last Chance Getaway) qui a inspiré tous les musiciens, Dorian en particulier.

Après cet All Star français, il y a eu un All Star européen, cinq musiciens réunis pour un soir seulement sous l’appellation La Roche Bluegrass All Star Band, soit l’Espagnol Lluis Gomez (bjo), le Néo-Zélandais établi en Allemagne Pierce Black (contrebassiste de Stereo Naked), l’Anglais Evan Davies (mandoliniste de The Often Herd), le Hollandais Joram Peeters (guitariste de Red Herring) et le Tchèque Vladimir Krizan (guitariste de G Runs’n Roses). Puisque c’est le All Star Band du festival, j’aurais bien aimé y voir Ondra Kozak qui a participé à treize éditions du festival et a gagné quatre fois le concours de groupes (avec quatre formations différentes et sur trois instruments différents !). Au début du set, ça s’est bien senti que c’était un groupe de circonstance. Les solistes étaient bons mais l’accompagnement manquait de corps et le groupe de cohésion. Joram a néanmoins bien chanté le blues Blue Trail of Sorrow (Dan Tyminski période AKUS). Pareil pour Pierce sur le swing Home Grown Meadows. Par la suite, la mise en place s’est améliorée. Indispensable quand on s’attaque à un titre d’Alison Krauss (Here Comes Goodbye interprété par Evan). Le morceau que j’ai préféré est I’d Rather Be Alone, une excellente composition pleine d’humour de Joram Peeters. Il est passé au violon sur Lonesome Fiddle Blues, avec de belles parties de fiddle et de mandoline. En revanche, j’ai trouvé que ce que jouait Lluis était trop compliqué. Il s’est rattrapé sur un de ses instrumentaux (je crois que c’était T’ho Vaig Dir). Vladimir s’est simplifié la tâche en chantant un classique (New River Train). Le set s’est conclu dans la bonne humeur, Joram faisant participer le public sur le classique Let Me Fall.

Tanasi

Si c’était la première fois que le groupe américain Tanasi (du nom du village Cherokee qui a donné son nom à l’Etat du Tennessee) se produisait à Bluegrass In La Roche, trois des quatre musiciens y avaient déjà joué avec d’autres formations : Anya Hinkle (gtr) avec Tellico, Mary Lucey (cbss, bjo) et Billy Cardine (dob) avec Lover’s Leap (Billy a aussi joué à La Roche avec Hickory Project et Rapidgrass). Ils étaient accompagnés par le fiddler Andrew Finn Magill. Ce dernier a été assez discret (je pense qu’il n’est pas membre permanent du groupe). Les voix de Mary et Anya s’accordent très bien. On s’en aperçoit dès le premier morceau, Hannes Tune, et par la suite sur On Your Way -titre entrainant qui demande de la puissance vocale, puis sur une chanson des Biscuit Burners (c’était le groupe de Mary et Billy il y a vingt ans), et un titre plus folk, We Can Be Together. En solo, Anya s’illustre dans The Hills of Swannanoa qui commence comme un fiddle tune joué au dobro (rien ne fait peur à Billy Cardine) et une surprenante reprise en version lente de Many Rivers To Cross, le tube de Jimmy Cliff, avec encore de très jolies parties en duo avec Mary. Cette dernière a notamment interprété une ballade bluesy, The Sweetest Breeze. Il y a eu de longues parties instrumentales dans plusieurs chansons. Tanasi a joué aussi plusieurs compositions instrumentales de Billy Cardine (Pickin’ In The Pines, The Fif). Mary joue le plus souvent du banjo old-time sur ces titres. J’ai trouvé que les solos de Billy Cardine étaient parfois trop longs et pas toujours intéressants mais Thierry Loyer a adoré (et c’est lui le spécialiste) !

Rapidgrass

Il ne pouvait y avoir de vingtième édition de Bluegrass In La Roche sans la présence de Rapidgrass, une des formations qui comptent le plus de participations au festival. On s’en lasse d’autant moins que le groupe du Colorado a changé depuis sa dernière venue en 2022 et qu’il avait embarqué avec lui Pete Wernick, banjoïste connu comme membre de deux groupes mythiques, Country Cooking et Hot Rize, et comme l’auteur de nombreux ouvrages sur le bluegrass et le banjo. Pour le mettre dans le bain, Rapidgrass a débuté son set par High On A Mountain, un des chevaux de bataille de Hot Rize dans ses concerts, et inclus par la suite deux autres classiques du groupe, Nellie Kane et Colleen Malone. Pete Wernick a été très discret dans ce set (il a 79 ans). Hormis les morceaux de Hot Rize, il n’a pris un solo que sur trois ou quatre chansons. Il n’était pas très bien sonorisé, c’était peut-être volontaire et de toutes façons, il n’est pas facile de se faire entendre dans un jam band comme Rapidgrass. Coleman Smith, l’excellent fiddler du groupe depuis ses débuts, est parti (il joue désormais avec Yonder Mountain String Band). Son remplaçant, Andy Reiner, est talentueux mais moins flamboyant. Cependant, le changement le plus marquant est la présence inédite pour un groupe bluegrass d’un joueur de mélodica, Jon Wirtz, qu’Alex Johnstone a d’ailleurs présenté comme leur “wild anomaly”. Il joue bien, ça sonne souvent comme un harmonica mais je n’ai jamais été fan des harmonicas dans les groupes bluegrass. Rapidgrass avait choisi de sortir officiellement son nouvel album, Valhalla, à l’occasion de Bluegrass in La Roche. Il me semble qu’ils n’en ont joué qu’un morceau, la chanson qui a donné son titre au disque. On a retrouvé les bonnes chansons de leurs albums précédents (Happy Trails, Crooked Road, Wild Apple Trees) chantées par Mark Morris dans un style proche de Willie Nelson pour les titres les plus country. Alex Johnstone a interprété High Up In The Mountains, Highway 70 Release Me et Gravity. Ils enchainent les titres en plaçant un petit bout de Another Brick In The Wall (Pink Floyd) ou Caravan (Duke Ellington) comme liaison. Les parties d’impro ne m’ont pas semblé renversantes. De ce côté, Rapidgrass a pas mal perdu avec le départ de Coleman Smith, et le contrebassiste Charlie Parker Mertens a été plus discret que lors de la prestation de 2022.

Long Way Home

La soirée du vendredi a débuté avec Long Way Home. Ce groupe a été formé par la mandoliniste américaine Kylie Kay Anderson et le dobroïste néerlandais Owen Schinkel qui se sont rencontrés lors de leurs études musicales dans le Tennessee. Ils se sont ensuite établis aux Pays-Bas et formé Long Way Home. C’est en duo qu’ils avaient joué sur la petite scène en 2022. Complété par des musiciens hollandais et allemands, Long Way Home est en fait un quintet doté de trois très bons solistes (Kylie Kay, Owen et le banjoïste Lukas Grabe qui joue un très bon style Scruggs avec un son superbe) et quatre chanteurs différents (Kylie Kay, Owen, le guitariste Paul Ahrend et la bassiste Katja Grabe). Long Way Home joue du bluegrass contemporain avec une solide base classique. Leur répertoire associe compositions et standards ou semi-classiques (Little Girl of Mine de Flatt & Scruggs, Kentucky Borderline de Rhonda Vincent, Please Search Your Heart). L’accompagnement est un peu gâché par le son de la basse électrique (et un jeu très basique, sans relances). Le fiddler hollandais Tijmen Veelenturf est venu leur prêter main forte le temps de deux titres. J’ai beaucoup aimé le début du set. Ensuite, ça s’est un peu trop calmé. Mais bien quand même.

G-Runs’n Roses

Trois anciens vainqueurs du concours de groupes étaient invités pour ce vingtième festival bluegrass à La Roche-sur-Foron. Parmi eux, G-Runs’n Roses était incontournable puisque la formation tchèque est la seule qui a gagné deux fois ce concours, en 2010 et 2016. La composition a changé au fil des années. C’est le cas de beaucoup de groupes. De la formation originelle, on retrouve Ralph Schut (au banjo, il a par moments été le guitariste du groupe) et le mandoliniste Milan Marek, désormais accompagnés de Vlado Krizan (gtr), Christopher Schut (cbss), frère de Ralph, et Peter Burza (fdl), frère de Martin, ancien fiddler de la formation. Le répertoire de G-Runs’n Roses associe chansons classiques (Handsome Molly, Troubles Around Me de Red Allen) et plus modernes (des titres de Tim Stafford et Larry Rice) ainsi que des compositions de Ralph et Christopher Schut. Ralph est le principal chanteur. Vocalement, G-Runs’n Roses tire grand bénéfice de la présence de Christopher. Grâce à lui, les harmonies vocales ont une qualité qu’elles n’avaient jamais eue jusqu’à présent et Christopher, en lead, a une excellente voix au timbre plutôt pop et à l’énergie rock, bien mise en valeur dans sa composition Without A Doubt Again. Pour bien marquer leurs préférences, Christopher abordait un T-shirt Black Sabbath alors que son frère en avait un à l’effigie de Tony Rice. De son côté, Peter Burza a interprété une bonne adaptation de Hard Rock Bottom of Your Heart de Randy Travis. G-Runs’n Roses présente toujours les mêmes qualités instrumentales, en particulier dans Handsome Molly et Crossing the Minefield, superbe compo instrumentale de Milan Marek que le groupe joue depuis quinze ans mais dont je ne me lasse pas.

Red Wine

C’est la quatrième fois que le groupe italien Red Wine jouait à La Roche-sur-Foron. Red Wine existe depuis 1978 et leur musique est pourtant toujours aussi fraiche. Partie grâce à la voix presque juvénile du mandoliniste Martino Coppo, arrivé dans le groupe peu après sa création, partie grâce à un répertoire sans cesse renouvelé. Ainsi, les sept premiers titres joués par Red Wine ce vendredi soir étaient tous tirés de leur dernier album, New Night Dawning, paru en 2024. Le répertoire est varié, du bluegrass typique (Start Sawing on the Strings) aux influences country (New Night Dawning), boogie (Rusty Old American Dream) et irlandaises (Wesport, composition instrumentale de Silvio Ferretti). Red Wine rend son set encore plus intéressant en jouant avec les arrangements. Martino Coppo interprète plusieurs morceaux à la mandole ou au mandoloncelle, Silvio Ferretti en joue un autre au banjo old time. Quand il chante Too Old to Cry, il passe à la guitare, cédant son banjo à son fils Marco. Martino, Silvio et Marco sont de très bons musiciens. Les harmonies vocales sont aussi un point fort de Red Wine avec d’excellents trios et même une belle version bluegrass de Woodstock de Joni Mitchell avec un arrangement à quatre voix inspiré de celui de Crosby, Stills, Nash & Young. Ils ont invité la violoniste Barbara Lamb -qui avait fait la couverture du Cri du Coyote n° 24 avec son groupe Ranch Romance en 1992- pour deux titres, dont une belle version de Church Steeple, magnifique composition de Tim O’Brien (Barbara Lamb a quitté les Etats-Unis suite à l’élection de Donald Trump et vit actuellement en France). Puis ce fut le tour du Hollandais Paul Van Vlodrop et des frères Quale du groupe Crying Uncle Bluegrass Band de monter sur scène pour une reprise de Dawg’s Bull de David Grisman à trois mandolines. Red Wine champion d’Europe du bluegrass.

Della Mae

La composition du groupe Della Mae a bien changé depuis sa venue à Bluegrass in La Roche en 2019 puisqu’il ne reste que Celia Woodsmith (gtr) et Kimber Ludiker (fdl). Elles ont été rejointes par Avril Smith qui était la guitariste à la création du groupe en 2009 et par Vickie Vaughn qui a été élue contrebassiste de l’année en 2024 et 2025 par IBMA. Della Mae n’a plus de mandoliniste. L’arrivée de Vickie Vaughn a boosté l’énergie de Della Mae qui n’en manquait pourtant pas avec une chanteuse comme Celia Woodsmith. Vickie a une puissance vocale phénoménale. Un peu trop même pour les harmonies vocales (ce que la sono aurait pu régler puisque les chanteuses avaient chacune leur micro). En lead, elle se sert de cette puissance dans I Don’t Care et Up Around the Bend (Creedence Clearwater Revival), morceau dans lequel Kimber Ludiker montre qu’elle est une très bonne mandoliniste en plus d’être une excellente violoniste. Vickie interprète aussi des reprises de Ohio (Neil Young) et Tulsa Time (Don Williams). Pour ce dernier titre, Celia Woodsmith joue du washboard et les Della Mae sont rejointes sur scène par Jan Purat (AJ Lee & Blue Summit), ce qui nous vaut un beau dialogue de fiddles entre Jan et Kimber. Celia chante ses compositions qui sont les grands succès de Della Mae, Bourbon Hounds et Boston Town (chanson sur l’égalité salariale entre hommes et femmes -les Della Mae sont de ferventes militantes, notamment-mais pas seulement- concernant les droits des femmes). Elle interprète aussi Dry Town tiré de leur dernier album (Family Reunion) qui pourrait également devenir un classique du groupe. Côté reprises, elle pioche chez Merle Travis (Sixteen Tons dans une version blues) et Lucinda Williams (Can’t Let Go avec la participation de Kylie Kay Anderson, mandoliniste de Long Way Home). Si plusieurs amateurs se sont plaints du son trop “électro-acoustique” de certains guitaristes lors du festival, on ne peut rien reprocher à Avril Smith pour qui c’est un choix assumé. Sur plusieurs titres (Sixteen Tons, Little Birdie, Bourbon Hound), ses pédales d’effets lui permettent même d’avoir le son d’une guitare électrique -elle joue fréquemment de la guitare électrique sur les albums de Della Mae. Les Della Mae enchainent les titres sans temps mort. Celia fait l’effort de présenter quelques titres en français. Les quatre musiciennes s’étaient parées de combinaisons très colorées. Un des tout meilleurs sets de cette édition 2025 du festival.

Le Chat Mort

Les habitués de La Roche-sur-Foron étaient tout heureux de retrouver Le Chat Mort, un des groupes chouchous du festival. La formation suédoise n’était pas venue depuis 2018, année où elle avait été invitée en tant que vainqueur (ex aequo) du concours de la précédente édition. Camilla, la chanteuse qui joue de la caisse claire, est toujours aussi jolie mais elle n’a décidément pas la bonne couleur de peau. Sa voix m’a semblé encore plus rauque et cassée que par le passé. Elle convient à merveille à ce mélange de swing, de blues, de bluegrass et de musique de la Nouvelle Orléans. Le répertoire a peu évolué (les dix titres de Malla Walla Dalla, leur dernier album paru en 2021, figuraient tous sur le CD La Roche Edition que Le Chat Mort proposait lors du festival de 2018). Je pense que Le Chat Mort ne s’est pas beaucoup produit ces dernières années et j’ai d’ailleurs trouvé Bror David Neideman (bjo) et Peter Strömquist (gtr) moins brillants solistes que par le passé. Leur jeu privilégie de plus en plus les solos en accords au détriment du picking bluegrass. Au fur et à mesure des années, les chansons bluegrass composent d’ailleurs une part de plus en plus congrue de leur répertoire. Ils y sont quand même revenus à la fin du set avec le classique Old Time Religion (avec Raphaël Maillet au violon), Blue Moon of Kentucky (chanté par deux jeunes filles, Luna et Mila) et, en rappel, Prairie Wind, obscure (mais jolie) chanson qui a donné le goût du bluegrass à Bror David. Avec Foggy Mountain Top joué en début de set, ces titres ont équilibré le reste du répertoire essentiellement swing (dont beaucoup de très bonnes compos de Bror David) avec les toujours formidables Shoot Me Down, Dinah, Roses, Iko Iko et Bloodshot Eyes en final. De belles retrouvailles avec le public rochois que la seule averse du festival (le temps de cinq ou six chansons) n’a pas réussi à gâcher.

Uzer Trio (Ph. jean-Marc Delon)

Le samedi, sur la scène du midi, Bluegrass in La Roche nous proposait Uzer Trio, nouvelle formation composée de la jeune chanteuse et contrebassiste Marie Sheid et de deux ”vétérans” du bluegrass français, le mandoliniste Bernard Minari (Mando Duo, New Blue Quitach) et le banjoïste et guitariste Jean-Marc Delon (Bluegrass 43, Sanseverino). C’est au banjo que Jean-Marc s’est fait connaître mais il est difficile de se passer de la rythmique de la guitare dans une formation bluegrass. Pour ce set, il n’a joué du banjo que sur deux titres, l’excellente composition instrumentale de Bernard Blue Grasshopper et le classique I Ain’t Gonna Work Tomorrow. Jean-Marc joue ses solos en tenant virilement sa guitare à la verticale. J’ai particulièrement aimé ceux de San Antonio Rose et Think of What You’ve Done. Sa façon de présenter les titres sur scène semble nettement influencée par sa fréquentation prolongée de Stéphane Sanseverino. Il partage les chants lead avec Marie dans un répertoire repris à des groupes majeurs allant des Stanley Brothers (East Virginia Blues) à New Grass Revival (Callin’ Baton Rouge) en passant par Jimmy Martin (Gonna Miss Me When I’m Gone avec un superbe solo de Bernard), Del McCoury (The Bluegrass Country et I Feel The Blues Movin’ In) et les Country Gentlemen (Redwood Hill). Marie a une jolie voix, particulièrement bien mise en valeur dans Tennessee Waltz. J’ai aussi beaucoup apprécié East Virginia Blues chanté entièrement à trois voix.

Della Mae

Après Uzer Trio étaient programmés deux des groupes américains vedettes du festival. Les Della Mae n’avaient pas revêtu leurs jolies combinaisons de la veille. Elles nous ont interprété Bluebird Blackbird qui figure parmi leurs classiques, Empire (je crois) -autre classique, un swing et une chanson de Maya de Vitry. Kimber Ludiker a joué un fiddle tune sur son violon à 5 cordes et elles ont chanté le gospel Where The Soul of Man Never Dies en quartet a cappella. Ensuite, Rapidgrass a essayé de mettre Pete Wernick en vedette en jouant des titres de Hot Rize (The Old Rounder -une compo de Wernick-et Won’t You Come and Sing For Me) mais les chants (Wernick en harmonie vocale) n’étaient pas terribles. En revanche, ça m’a fait plaisir d’entendre Huckling the Berries, un instrumental original de Pete datant de l’époque Country Cooking. Mark Morris a chanté Take Me River bien arrangé avec le fiddle et la mandoline. Ils ont terminé par Rocky Road Blues chanté par Alex Johnstone avec des solos de tout le monde y compris Charlie Parker Mertens.

Olga Egorova

La mandoliniste russe Olga Egorova était la dernière à se produire sur la scène du midi (la scène du soleil dirait Gilles Assier qui filme la plupart des concerts). Elle joue seule depuis le décès de son compagnon et guitariste Roman avec qui elle formait Duo RO. Elle a joué un instrumental alambiqué avec des harmoniques, un medley folk slave, du Tchaïkovski (un extrait de Casse-Noisette qui m’a paru d’une virtuosité extrême), du Chris Thile. Quand elle chante, c’est très aigu et ça semble souvent déconnecté de l’accompagnement. Bref, pas facile à suivre à part une jolie compo intitulée The Roots. A la fin les Rapidgrass sont revenus accompagner magistralement Olga sur une épatante et décoiffante reprise de Stingray de Sam Bush (peut-être bien mélangée avec du David Grisman) et une chanson. C’était superbe.

Estacion 39

A ses débuts, le festival de La Roche-sur-Foron a pu bénéficier du soutien de l’association européenne de bluegrass EBMA. A son tour, depuis quelques années, il se sert de sa notoriété pour promouvoir des groupes issus de pays où le bluegrass est très peu connu. Après les Coréens de Country Gongbang en 2022 et les Indiens de Grassy Strings en 2023, c’est au tour des Argentins de Estacion 39 d’avoir fait un long voyage pour se produire à Bluegrass in La Roche. Estacion 39 est une formation bluegrass complète de cinq musiciens, mixte (trois hommes, deux femmes) qui joue du bluegrass traditionnel. Leur répertoire est composé de standards, à l’exception de Manana Campestre, adaptation d’une chanson de Arco Iris, groupe rock argentin des années 70. Au niveau instrumental, le groupe souffre de pas mal de faiblesses (des pains au banjo, un fiddle bien timide) mais leur envie de jouer est communicative et les chants sont plutôt bien en place, tant pour le lead (essentiellement Matt, le guitariste) que pour les harmonies vocales à 3, 4 et parfois 5 voix (Fox on the Run). Juma, le banjoïste, a joué une version personnelle de The Ballad of Jed Clampett. Le mandoliniste Dani Boy, avec sa barbe à la Jere Cherryholmes, a une voix à la fois douce et aiguë très agréable et il nous a gratifié d’un solo de cuillers rigolo à la fin de Foggy Mountain Top. Le public rochois les a immédiatement adoptés.

The Often Herd

Les Anglais de The Often Herd avaient remporté le concours de groupes en 2018 et, à ce titre, ils avaient rejoué sur la grande scène en 2019. C’est cependant la première fois en 2025 qu’ils se présentaient au grand complet à Bluegrass in La Roche puisque leur violoniste Niles Krieger était absent lors de leurs prestations précédentes (il avait été remplacé par le Français Marius Pibarot en 2018 et par un fiddler anglais en 2019). En vérité, les quatre musiciens actuels de Often Herd s’étaient déjà produits ensemble à La Roche lors du concours de 2016 mais c’était sous le nom de The Kentucky Cow Tippers et il leur manquait leur banjoïste, ce qui leur avait peut-être coûté la première place du concours. Par la suite, ils avaient décidé de changer de nom et de se passer de banjo. Ce qui leur va très bien. Dès la première chanson, interprétée d’une voix douce par le mandoliniste Evan Davies, on se rend compte que Niles Krieger est un fiddler tout simplement fantastique. Evan a chanté deux autres de ses compositions, Remember My Name et Hold On à propos du Brexit (il est contre -ne serait-ce que pour venir plus facilement à La Roche-sur-Foron). Sa voix contraste avec celle, plus énergique, du guitariste Rupert Hugues, plus rock’n’ roll avec ses lunettes style Top Gun et son sourire qui éclaire les montagnes situées face à la scène, pourtant distantes de quelques kilomètres. Rupert est un chanteur énergique et charismatique. Il interprète très bien Casablanca, une chanson relevée par un riff rythmique et Cool Summer Rain -carrément pop. Niles Krieger chante dans un registre de baryton Why You Been Gone So Long de Mickey Newberry. Très beau trio avec Evan et Rupert sur le refrain. Les harmonies vocales sont un des (nombreux) points forts du groupe. Ce sont aussi d’excellents musiciens. Evan est un mandoliniste inventif. Sur le troisième titre, Sycamore Gap, un instrumental composé par Niles, ce dernier a cassé une corde. Il a joué presque tout le set avec le fiddle de Raphaël Maillet, jusqu’au final éblouissant sur le traditionnel Sail Away, très bien arrangé tant vocalement que musicalement, avec un refrain particulièrement accrocheur. The Often Herd, champions d’Europe du bluegrass (ex aequo avec Red Wine, du coup).

Crying Uncle Bluegrass Band

Les adolescents californiens de Crying Uncle Bluegrass Band ont bien changé depuis leur premier passage en 2022. Le contrebassiste Andrew Osborne a désormais du poil au menton, Teo Quale (mdo) a pris de l’épaisseur, son frère Miles (fdl) s’est fait une coupe à la mode rasée sur les tempes, et ils ont carrément changé de guitariste avec l’arrivée de Ian Ly. Ce qui n’a pas changé, c’est leur incroyable virtuosité, que ce soit sur la bonne compo instrumentale de Teo jouée en ouverture (et dont je n’ai pas compris le nom -ils sont plus doués pour jouer de la musique que pour articuler), la chanson Reuben’s Train jouée à un train d’enfer ou EMD (Eat My Dust) de David Grisman. Teo et Miles sont particulièrement impressionnants mais Ian Ly est également un excellent musicien. Ils maîtrisent parfaitement le son de leurs instruments. Ils jouent sans branchements ni effets, en face des micros, avec un son acoustique qui ravit les puristes (et qui nous change de beaucoup de groupes qui jouent également très bien mais avec un son qui ne plait pas à tout le monde). Pour les chants, il n’y a pas beaucoup de progrès depuis trois ans. Teo écrit de bonnes chansons (Solomon’s Dream) mais il ne chante pas très bien. Les seules interprétations que j’ai trouvées réussies sont Old Man de Neil Young (déjà jouée en 2022) par Andrew avec un bon trio sur le refrain (et des solos époustouflants), et I’ve Got A Tiger By The Tail de Buck Owens par Ian. Crying Uncle a également fait une reprise épatante de Do It Again de Steely Dan, assez bien chantée mais surtout très bien arrangée. Ils ont convié Scott Gates (de Blue Summit) à chanter un titre avec eux mais les harmonies vocales n’étaient pas en place. La virtuosité instrumentale des musiciens de Crying Uncle compense largement leurs faiblesses vocales.

AJ Lee & Blue Summit

Philippe Ochin a présenté AJ Lee & Blue Summit en disant que le dernier album du groupe, City of Glass, était un des meilleurs disques bluegrass de 2024. AJ a eu un geste pour signifier qu’il en faisait trop mais Philippe m’avait dit la même chose il y a un an, sans savoir que Blue Summit serait présent cette année. Il était donc on ne peut plus sincère (et un bon vendeur de vins de Bourgogne ne saurait mentir, j’en suis certain). J’avais apprécié le groupe californien lors de sa première venue à La Roche en 2019 mais leur concert de cette année m’a paru encore bien meilleur. Blue Summit se distingue des autres groupes bluegrass par l’absence de banjo (ça, ce n’est qu’à moitié original) et la présence de deux guitaristes lead (c’est beaucoup plus rare). Sully Tuttle (frère de Molly) a formé le groupe avec AJ. Depuis 2019, Scott Gates a remplacé Jesse Fichman comme second guitariste et il a été la révélation du set de Blue Summit. Il est le principal partenaire vocal de AJ. Il a été bluffant sur les deux titres qu’il a chanté en lead, Mountain Heartache (un bluegrass rapide d’Alex Leach -banjoïste de Ralph Stanley II- interprété avec une énergie très bien dosée) et sa composition Bakersfield Clay, une valse lente bluesy où sa voix impressionne par sa puissance, sa maîtrise et le yodle final. Sa tessiture de tenor contraste avec le registre de baryton de Sullivan Tuttle, lui aussi excellent dans Seaside Town (dont le début fait penser à l’album Nebraska de Bruce Springsteen à cause du chant et de la reverb sur la guitare) et la reprise de Who Walks In When I Walk Out (Louis Armstrong & Ella Fitzgerald), prétexte également à d’excellents solos d’AJ (mdo), Jan Purat (fdl) et des deux guitaristes dans un style swing. Sur plusieurs titres, un des deux guitaristes utilise un capo pour se démarquer dans ses solos et son accompagnement. Ils jouent différemment mais difficile de leur définir un style particulier car ils ont surtout le souci de s’adapter à chaque chanson, qu’elle soit bluegrass, blues, swing ou influencée par le rock (City of Glass). La vedette du concert est tout de même la voix d’AJ. Un timbre très pur, une tessiture qui lui permet de descendre avec une douceur flûtée dans des mediums que peu de chanteuses exploitent, et l’instant d’après le chant aigu et l’énergie qui caractérisent le bluegrass, avec souvent une reverb très bien dosée. AJ a été notamment formidable dans le blues Still Love You Still tiré du dernier album, le mélancolique I Still Think of Her et d’excellentes reprises de Fishin’ In the Dark (Nitty Gritty Dirt Band) et Tear My Stillhouse Down (Gillian Welch). Elle joue aussi très bien de la mandoline. Jan Purat a été phénoménal (Weenie Dog Song dont la mélodie est quasiment un fiddle tune) et le groupe a montré tout son savoir-faire en enchainant les quatre premiers titres sans quasiment laisser le public applaudir. Le lendemain, sur la petite scène du midi, Scott Gates a volé le show avec sa composition Sollicitor Man qui sonne comme une vieille chanson country rockab’ et une reprise en mode ballade bluesy du succès des Monkees I’m A Believer entamée et achevée en yodle. De son côté, AJ a chanté une version joliment adoucie du Sugar Moon de Bob Wills.

Curly Strings

En conclusion de la soirée, le groupe estonien Curly Strings a rapidement charmé le public par son enthousiasme, sa volonté de se faire comprendre en traduisant les paroles de ses chansons en anglais et même en français (tous les titres sont en estonien). Il a fait participer le public sur plusieurs chansons. Malgré une formation typique à 80 % (pas de banjo), des rythmes et des tempos qui s’en rapprochent, la musique de Curly Strings n’est pas vraiment bluegrass. En solo, Peeter Hirtentreu (gtr) et Villu Talsi (mdo) n’ont pas une technique bluegrass. Ils chantent un morceau chacun, typiquement folk. Un instrumental est d’inspiration celtique. L’atout principal de Curly Strings est la jolie voix douce de Eeva Talsi qui est aussi une très bonne violoniste. Elle interprète surtout des ballades qui tranchent avec l’énergie des instrumentaux joués par le groupe. En plus de leur talent, les Curly Strings ont un sacré savoir-faire pour gagner l’affection du public. Ils chantent Frère Jacques a cappella au milieu d’un medley instrumental. Peeter saute dans la fosse devant la scène (deux mètres de haut quand même) pour terminer un solo sous le nez des spectateurs du premier rang, incrédules. Villu fait la publicité du merchandising du groupe sur fond musical comme dans une réclame radiophonique. Ils ont terminé en rappel sur un rock en faisant chanter en estonien un public emballé.

Table For Two (Ph. Dominique Fosse)

Le duo Table For Two était en apéritif de la journée du dimanche. Il est composé de la Danoise Signe Borch et du Belge Thierry Schoysman (également banjoïste de Rawhide et mandoliniste des feus Sons of Navarone, vainqueurs du concours de groupes en 2012). Dès que Thierry est sur scène, on est certain de passer un bon moment, ne serait-ce que pour ses présentations pleines d’humour. Table For Two interprète des instrumentaux en duo de mandolines et des chansons accompagnées guitare (Signe)-banjo (Thierry). Il y a de la variété dans les deux catégories. Côté instrumentaux, ils nous ont offert un medley de compositions, du brésilien (Tico Tico) et du Grisman (Ricochet). Presque toutes les chansons sont intégralement chantées en duo. Leur répertoire comprend plusieurs classiques du bluegrass (East Virginia Blues, On and On). J’ai préféré les titres importés d’autres genres comme Eight Days A Week des Beatles en final et de charmantes versions de Everyday (Buddy Holly) et Devoted To You (Everly Brothers).


Après Table For Two étaient programmés trois groupes s’étant déjà produits sur la grande scène. Le public a été très heureux de voir Crying Uncle et AJ Lee & Blue Summit de tout près avec des répertoires différents de la veille. Pour ce qui est de Estacion 39, on considérera que cette seconde séance était un bonus lié à la longueur du voyage qu’ils avaient fait jusqu’à nous. J’aurais préféré revoir Red Wine ou The Often Herd (ou même Curly Strings).

Manu Bertrand & Valentine Lambert

Le dernier concert de la petite scène était celui de Valentine Lambert. Les artistes chantant en français sont rares à Bluegrass in La Roche. Depuis 20 ans, je pense qu’ils se comptent sur les doigts d’une main. Il y a eu Tricyclette, Chapeau de Paille, Christian Labonne, Morgane G, je ne dois pas en oublier beaucoup. Valentine Lambert ne chante que ses compositions, toutes en français, s’accompagnant à la guitare, soutenue par Manu Bertrand (gtr, dob). Elle a une voix douce bien adaptée à cette formule en duo. Valentine écrit de jolies chansons (J’suis Comme Ça avec deux guitares en fingerpiking), volontiers nostalgiques (Je Pense A Hier -jolie mélodie). C’est carrément country quand il y a deux guitares en flatpicking (Road Movie et Polaroïds). Manu joue une merveille d’accompagnement au dobro dans Le Veilleur de Nuit et Sur Le Quai de la Gare, deux chansons bien rythmées que j’ai beaucoup aimées et que Valentine chante très bien. Manu assure aussi une bonne complémentarité vocale (Le Silence). Le set s’est terminé avec les copines de Dear John et coprésentatrices du festival Stéphanie et Lena en choristes sur Polaroïd et, bien entendu, cette folle de Lena a fait du clogging pendant les solos de guitare.

Lazy Grass

Lazy Grass est un groupe de Toulouse, ville chère aux vieux bluegrasseux français puisque c’est là qu’ont eu lieu les premiers grands festivals bluegrass. C’était il y a plus de 40 ans, les musiciens de Lazy Grass sont trop jeunes pour les avoir fréquentés et au vu de leur décontraction, je pense qu’ils s’en fichent pas mal. Lazy Grass joue un bluegrass moderne à base de compositions (la seule reprise est Tunnel of Love de Wanda Jackson dont le groupe a accentué le côté blues). C’était une des rares formations à jouer pour la première fois sur la grande scène, ce qui est forcément impressionnant et peut-être la cause du côté brouillon des deux premiers titres, l’instrumental Le Fau et la chanson Revenge of the Little Girl. Ça s’est arrangé dès le troisième titre, Far From the Sea, dédié aux marins perdus en pleine montagne (les Lazy Grass ont de l’humour). Toutes les chansons sont interprétées par Laura, la mandoliniste. Les Lazy Grass ont beaucoup d’énergie et de spontanéité, parfois à la limite du n’importe quoi (les présentations du contrebassiste Babou, certaines parties instrumentales trop longues ou trop rapides) mais il y a aussi beaucoup d’idées dans les arrangements, une bonne communication avec le public et des refrains à quatre voix qui apportent de la singularité à la musique de Lazy Grass.

Johnny & the Yooahoos

Depuis leur premier passage à La Roche-sur-Foron en 2022, Johnny & the Yooahoos a fait bien du chemin, jusqu’aux Etats-Unis dont ils revenaient tout juste, après une tournée qui les a fait passer par le Grand Ole Opry et deux des principaux festivals du début d’été, Grey Fox et ROMP. Je ne me souviens pas qu’un autre groupe européen ait connu pareil honneur. Cette année, le quatuor munichois était renforcé par le fiddler hollandais Tijmen Veelenturf. Ça a débuté fort par un bon arrangement du traditionnel Little Birdie chanté en trio par les frères Schuhlbeck (Johnny -mdo ; Bastian -bjo) et le guitariste Bernie Huber. Ensuite, Bernie a fait étalage de la puissance de sa voix sur le newgrass All My Fathers. Le groupe a montré qu’il savait allier énergie et nuances sur le blues Through the Echoes. Après Down the Line, une compo de Johnny, les Yooahoos nous ont livré une splendide interprétation de Get Back des Beatles, entièrement chantée en trio et assaisonnée de breaks furieux des quatre solistes. C’était l’apogée de leur concert. Ensuite, ils nous ont un peu perdus avec un instrumental de Bastian qu’il a joué en clawhammer (Turtle Plays the Red Ball) et que j’ai trouvé sans intérêt, un gospel sans charme et une chanson écrite par Bastian jouée trop vite et trop fort. C’est le risque pour les groupes qui ont une puissance de feu comme Johnny & the Yooahoos d’en abuser. Leur prestation s’est néanmoins terminée sur une bonne note avec The Meeting is Over dont ils ont chanté le début en trio a cappella et où ils ont retrouvé leur sens des nuances.

Sunshine in Ohio

J’avais manqué le concert du groupe grenoblois Sunshine in Ohio l’an dernier. Je les ai tout d’abord vus jouer dans la rue cette année, attirant un public nombreux, ce qui m’a décidé à ne les manquer sous aucun prétexte sur la grande scène. Sunshine in Ohio est une formation très originale de sept musiciens et chanteurs. La présence de quatre multi-instrumentistes permet des combinaisons variées. Il y a parfois un quintette à cordes avec trois violons, le violoncelle et la contrebasse. Damien joue sur une guitare à cordes en nylon, ce qui est rare (voire osé) dans ce contexte. Il y a souvent une seconde guitare et de la mandoline. Leur musique n’est pas facile à décrire. On peut sans doute considérer que c’est de l’americana acoustique. Le set débute par une espèce de parodie de chanson western, très musicale, pleine d’idées d’arrangement. Au fil des titres, cinq chanteurs se succèdent sans que la qualité s’en ressente. Ils se relaient même dans la même chanson (The Goodbye Song). Johnny Sunshine fait valoir sa tessiture très agréable de baryton dans If I Was. Aurélien dynamise Mountain Dew. Mélanie est tantôt blues, tantôt caressante dans Sweet Roses. Maxime délivre une interprétation tout en nuances de Rollin’ Train (avec un joli solo de guitare de Damien). Le groupe étant partisan de l’americana participative, Lorain Ohio fait chanter le public dans le gospel-swing Settle Down, entamé et terminé par les sept chanteurs a cappella. Il y a de très belles harmonies vocales dans Johnny, When Are You Coming Home ? et The Goodbye Song, et de jolis arrangements de cordes dans plusieurs chansons. Les Sunshine in Ohio sont aussi de bons musiciens (en particulier la violoniste Coline), chacun prenant un solo dans Settle Down, y compris Johnny à la contrebasse. Le soleil ne brille pas que dans l’Ohio.

A Murder in Mississippi

La musique americana du groupe belge A Murder in Mississippi avait fait sensation lors de l’édition 2023 de Bluegrass in La Roche. Le groupe est inchangé avec le chanteur guitariste Leander Vandereecken, ses deux choristes Mirthe (percussions) et Lore (bjo), la violoniste Alexandra, le pianiste Dieter et le contrebassiste Stijn. Leur précédent passage ne date que de deux ans mais comme A Murder in Mississippi a sorti un album depuis (Reverie), ils proposent plusieurs nouvelles chansons dont Black Train pour débuter le set et Midnight Roller dans lequel Alexandra joue un envoûtant style tsigane. En 2023, le groupe avait fait plusieurs reprises. Cette année, je pense qu’il n’y avait que des chansons originales. Presque tous les titres swinguent mais ils sont mâtinés tantôt de boogie (Mary Lou), tantôt de blues à la limite de la soul (The Bones of John Jones que Leander a conclu face au public, sans micro). Forever and A Day a une très jolie mélodie. Les arrangements sont aux petits oignons. La voix de Leander, les harmonies vocales (superbes), les chœurs (tout le monde chante -même Alexandra qui n’a pas de micro !) et le violon sont en vedette mais il y a aussi un magnifique travail de Dieter et Stijn (qui passe fréquemment du walking au slap dans le même morceau) pour lier la sauce et booster le groupe. A Murder in Mississippi a été avec AJ Lee & Blue Summit le groupe le plus professionnel du festival. Il a terminé son set avec Run Brother Run en faisant largement participer le public. Mon seul regret est qu’il n’y a eu que dans Mary Lou que les voix de Mirthe et Lore ont été (un peu) mises en valeur. On en aurait voulu davantage.

Gypsy Cattle Drive

Cette vingtième édition du festival s’est achevée avec Gypsy Cattle Drive, l’alter ego swing de Rapidgrass, sans Pete Wernick cette fois. Comme nous avions été surpris de découvrir John Wirtz au mélodica avec Rapidgrass, Alain Kempf avait parié que sa présence dans le groupe serait justifiée par les prestations swing de Gypsy Cattle Drive. Et effectivement, John Wirtz était présent au piano (avec également son mélodica mais il en a très peu joué). Gypsy Cattle Drive a logiquement commencé son set avec la chanson Gypsy Cattle Drive, carte de visite bien swing qui nous a tout de suite mis dans l’ambiance avec de bons solos de tous les musiciens. Mark Morris avait revêtu un étonnant manteau à paillettes et John Wirtz a joué les élégants en arborant une casquette assortie à sa chemise à fleurs. Ce concert a été une très belle manière de clore le festival même si tout n’a pas été parfait. La longue impro qui a suivi Highway Man (très bien chanté par Mark) ne s’imposait pas (cette reprise faisait partie du set de Rapidgrass il y a trois ans et c’était beaucoup plus logique). Elle n’était pas très intéressante à part le moment où Alex a inséré un fiddle tune à la mandoline. Même constat pour Lonesome Moonlight Waltz, un des instrumentaux de Bill Monroe que je préfère, joué avec les frères Quale. Les valses lentes ne se prêtent pas aux impros et ce titre a été définitivement gâché par le duo de fiddles (Andy Reiner et Miles Quale) qui n’étaient pas du tout ensemble. Il y a eu plusieurs autres invités lors de ce set et c’était beaucoup mieux, parfois carrément flamboyant. D’abord trois fiddlers avec Raphaël Maillet et Tijmen Veelenturf en plus de Andy Reiner sur un instrumental swing. Ils ont joué ensemble puis se sont passé le relais en prenant visiblement beaucoup de plaisir. Les autres solistes étaient au diapason. Il y a même eu une conversation entre le mélodica et la contrebasse. Ce fut ensuite le tour de la chanteuse française Anaëlle Trumka (Dear John) de rejoindre le groupe. Elle avait déjà chanté avec Gypsy Cattle Drive lors des festivals de 2018 et 2022. C’était à chaque fois des chansons en anglais. Cette année, elle a interprété La Vie en Rose (Edith Piaf) sur le tempo original puis en mode swing. Elle a ensuite chanté un autre titre en français (que je ne connais pas -genre chanson réaliste de l’entre deux guerres) sur lequel elle a introduit une partie en scat ébouriffante. Olga Egorova, également invitée pour ce titre, a joué un solo si spectaculaire qu’Alex Johnstone l’a invitée à le doubler…

Les musiciens de Gypsy Cattle Drive se débrouillent aussi très bien tout seuls. Mark Morris a chanté Bears Are Dancing in the Forest, très bonne chanson du dernier album de Rapidgrass et Alex a interprété Gang of Angels (de l’album Take Him River). John Wirtz a joué à la fin de ce titre un remarquable solo de piano qui a justifié à lui seul sa présence dans le groupe. Le concert et le festival se sont achevés par un medley de Grateful Dead, groupe fétiche des musiciens de Rapidgrass comme de Christopher Howard-Williams. Ce dernier est monté sur scène pour chanter Scarlet Begonias. Mark Morris a enchainé avec Fire on the Mountain. Il y avait bien le feu sur la montagne à La Roche-sur-Foron. Didier Philippe (Directeur de l’Office du Tourisme et grand organisateur du festival) et les deux présentatrices du soir, Lena et Stéphanie, se sont joints au groupe pour faire chanter le public. Charlie Parker-Mertens a même prêté sa contrebasse à Stéphanie le temps de quelques mesures.

Peter Wernick & Lluís Gómez – Stage avec Peter Wernick

Voilà, c’était un beau festival. Il n’y avait plus de guerre en Ukraine, de bombardement en Palestine ni de conflit au Soudan ou de guerre commerciale entre Etats. Et pourtant si. Même si c’est par petites touches, pour la première fois cette année, la politique, l’agitation de la planète ont rattrapé le petit monde de Bluegrass in La Roche. Il y a deux ans il y avait bien eu Tim O’Brien pour changer les paroles de sa chanson Nervous, déclarant qu’une réélection de Donald Trump lui faisait peur. C’était largement passé inaperçu et à l’époque, vu de France, ça paraissait bien improbable. En 2025, il y a eu la présence de Barbara Lamb qui vit en France parce qu’elle a fui l’Amérique de Trump, des allusions d’Anya Hinckle et Celia Woodsmith pour nous faire comprendre qu’elles déploraient la politique menée dans leur pays. Et le groupe Lazy Grass a dédié sa chanson Les Exilés aux migrants et aux personnes qui vivent sous les bombes au Congo, au Soudan, en Ukraine et en Palestine.

Christopher Howard-Williams & Didier Philippe – Thierry Loyer & Philippe Ochin avec Joël Herbach (montrant des souvenirs des Festivals de Toulouse)

Christopher Howard-Williams voulait que cette vingtième édition du festival soit marquante et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a réussi. Je suis reparti en me disant que c’était le meilleur festival qu’ait connu Bluegrass in La Roche. Si j’ai une (petite) doléance, c’est que ça manquait de banjo pour un festival bluegrass. Aucun des quatre groupes américains n’avait de banjoïste (désolé mais je ne compte pas Pete Wernick) et c’était le cas de la moitié des formations présentes cette année. L’organisation est toujours aussi efficace et chaleureuse avec les nombreux bénévoles.

Merci aux bénévoles !

Tous les groupes présents sur scène l’ont d’ailleurs saluée et ont remercié Christopher et Philippe de les avoir fait venir à La Roche cette année. Beaucoup se sentent chez eux à Bluegrass in La Roche. La grande innovation de 2025 était que les concerts étaient filmés sur grand écran grâce à l’équipe de Fred Glas et Christophe Flament. La réalisation s’est efforcée de montrer en gros plan les solistes, ce qui n’est pas toujours évident pour un concert bluegrass. La cerise sur le gâteau a été… un gâteau ! Le premier soir, un gâteau d’anniversaire géant (offert par le Conseil Départemental de Haute-Savoie) a été partagé entre les spectateurs pour fêter la vingtième édition. Nous étions nombreux mais, avec 3000 choux, il y en a eu pour tout le monde ! © Dominique Fosse

Plaisir des Jams et gâteau de la vingtième édition

Merci à Emmanuel Marin (Pixels.Live) auteur des photos publiées ici, dont le reportage complet est disponible sur https://pixels-live.fr
Quelques autres images ont été prises sur Facebook (Dominique Guillot, Philippe Ochin et d’autres (?) merci de nous informer pour compléter les légendes). Site du Festival : https://www.larochebluegrass.org/accueil.html

Céré : Made In Rock’n’Roll

Didier Céré l’annonce comme peut-être son dernier disque, mais la flamme du rocker aura du mal à se passer de cette vie musicale si on en juge par la vitalité affichée dans cet album. Certes on vieillit tous, mais, c’est bien connu, les « vieux rockeurs » ont plusieurs vies. La preuve : après ses prestations avec ses groupes (Rebels, Bootleggers, Abilene) et trois albums en solo ces dernières cinq années, Didier rend hommage à Johnny Hallyday (reprenant le titre d’une compilation de 2023) avec la section rythmique des Bootleggers et des invités prestigieux.

Cœur de rockeur :
Didier n’hésite pas à montrer la part sensible de sa personnalité. Au-delà de la présentation physique du « rockeur », il écrit et/ ou adapte, s’appuyant sur un univers esthétique mêlant des références du genre (voyage, pulsion musicale, vie intense, on boit, on bouge, on se marre entre potes, une forme de post-adolescence éternelle) et des préoccupations plus personnelles (dans une année marquée par les deuils d’un frère et de sa mère) qu’évoque par exemple Je suis toqué, une des chansons les plus personnelles (?) avec l’allusion à l’amour (fille, moto, un romantisme de la rue). L’album a été enregistré à Pau, épicentre de son monde ancré dans ce sud-ouest béarnais qu’il aime tant et masterisé au Texas, comme une sorte de double garantie d’efficacité et d’authenticité sonore.

Interlude :
La langue française est-elle moins « rock ‘n’ roll » que l’anglais ? Quel sceau musical approuve totalement l’authenticité de ce genre ? A côté des adaptations françaises des années 60 qui flirtaient avec la variété (génération Yéyé) il y a toujours eu des amateurs attachés aux « racines anglo-saxonnes » puisant dans le blues et la country. Si les ainés sont encore vénérés, la musique n’est vivante que part des groupes qui livrent en concert, ou sur disque, leur amour du genre. En ce sens le faux procès fait implicitement à Didier, en ignorant son disque, semble bien puéril, osons même dire « franchouillard ». Petite anecdote au passage : il a existé un groupe californien qui s’était spécialisé, avec un relatif succès, dans la bourrée auvergnate (!) sans que le public local n’ait jamais eu l’idée de lui refuser le label « fouchtra compatible » ;-). Serions-nous un peu trop sectaires chez nous ?

Un album manifeste

(Manifeste : “dont l’existence ou la nature est évidente”, comme dit le dictionnaire) :
Il propose dix titres en français et un instrumental (King’s Shuffle). On débute plein pot (boogie oblige) avec ce qui est, pour certains, une évocation de la génération « roots » des années 60 avec Blouson noir (on pense bien sûr à l’icône Vince Taylor). Le lien avec la génération suivante (une adaptation du Radiation Ranch de Brian Setzer) se concrétise dans Le rade des Zombies. Les touches annexes de Made in Rock’ n’ Roll incluent une bonne intervention de sax, un instrument bien présent ici, souvent oublié dans les combos actuels, où les trios semblent majoritaires. Cela n’empêche pas un peu de douceur relative dans ce monde agité, avec Maria, où Red Volkaert et Neal Black soutiennent activement le propos. Difficile de tout citer en détails toutes les chansons, mais Mauvaise Fille vaut aussi le détour, ainsi que l’apport de notre Jean-Yves Lozac’h national (Je Serais Là) avec un zeste de couleur country pour finir (Casey Jones Boogie). Entre temps, Je suis toqué, évoque le petit monde d’une génération « d’éternels jeunes” encore active, en donnant une nouvelle vie à I’m On Fire (Bruce Springsteen). N’oublions pas la transmission qui dément le « no future » des ultras d’antan, avec La Génération Perdue, signée par Long Chris et Johnny Hallyday, composée quand Didier… avait huit ans ! Enfin la qualité des musiciens français présents tout au long du disque, prouve, s’il le fallait encore, que notre pays tient parfaitement sa place (cf la liste sur le livret). Ainsi tout concourt au plaisir d’écoute, l’album témoignant sans peine de la vitalité de ce musicien (et ses amis) et de son engagement. En tout cas, l’hommage à Johnny Hallyday est réussi (le « taulier » aurait d’ailleurs pu chanter l’essentiel des autres titres de cet album), sans imitation, ce qui fait que Didier arrive à affirmer sa personnalité et que nous pouvons sans peine prêter attention à ce qu’il nous chante :
C’est pas le temps qui va user ma carcasse
C’est pas le vent le vent des modes qui passent
C’est pas l’argent qui me fera tenir en place
C’est écrit sur ma peau je suis made in rock’n’roll

Interview pour la sortie de Made In Rock ‘n’ Roll :
Quels événements musicaux majeurs ont accompagné ta carrière depuis notre interview dans Le Cri du Coyote au printemps 2019 ? (voir ci-dessous)
Difficile de répondre car on a joué dans pas mal de concerts, même si on a eu, comme beaucoup, nos vaches maigres pendant l’épisode Covid. N’étant pas vacciné, j’étais interdit partout comme un pestiféré. Honnêtement, j’appréhende chaque concert comme majeur, comme si c’était le dernier, mais, depuis la sortie de Deep Sud en 2019, celui qui m’a le plus marqué est bien sur l’opening de Toto aux Transhumances Musicales de Laas en 2024. Ce n’est pas forcément ce que je mets sur ma platine vinyle mais la perfection du show et la qualité des harmonies vocales m’ont mis une méga-beigne. Seul regret, n’avoir pas pu discuter avec Steve Lukather, Joseph Williams ou autre car la production interdisait tout contact…

Quelles ont été les premières réactions (bonnes et/ ou mauvaises) qui t’ont marqué à la sortie de ton disque ?
Alors lequel ? (rires). Après Deep Sud en 2019, j’ai sorti Rock Rebel en 2022, qui a eu une bonne presse mais ne s’est pas vendu car Covid. Les meilleures ventes sont en concerts et pendant cette période il n’y a pas eu pas de concert. Made in Rock ’n’ Roll est sorti en juin 2025, et pour l’instant il est boudé par les médias… Je ne sais si c’est parce que quatre titres du Patron (Johnny Hallyday) y figurent. J’ai eu la chance de le fréquenter un peu dans les années 90, nous avions fait quelques jams et quelques scènes avec lui. J’ai été marqué, comme beaucoup, par l’homme, la voix et, bien sûr, par son décès. Je voulais juste lui rendre un humble hommage. Il y a aussi un titre de Dick Rivers (Mauvaise fille) que Christian Salset m’avait envoyé. Dick était aussi un Monsieur, même s’il était plus dans l’ombre d’Eddy et de Johnny, mais il est toujours resté authentique. Bref les médias français boudent quelque peu cet album, peut-être parce qu’il est en français, peut-être car je n’ai pas de label ou d’agent pour la promotion. La presse étrangère, anglaise, allemande, suédoise m’a fait de bonnes chroniques. C’est vrai que mon virage pour la défense de notre langue (même si je suis plus proche d’Audiard que de Voltaire) avec mes albums solos (très, très accompagnés par des guests et line up de rêve) ont perturbé beaucoup de membre du public qui suivait les Bootleggers. Les “gache-sauces” me taxent désormais de variétochard ou ballochard pourtant je n’ai pas trop changé je crois… Je vocifère autant en français qu’en anglais et je porte des tiagues et ‘fecto depuis mes 16 berges. J’aime bien écrire et chanter en français et, outre nos trois légendes, j’ai eu quelques prédécesseurs, comme Paul Personne, Bill Deraime , Charlelie Couture, etc.

Le choix de chanter en français n’est donc pas bien accepté par les amateurs de rock ‘n’ roll ? (avec cependant un titre d’album en anglais).
Il semble que non, malheureusement, du moins par les “intégristes” et c’est dommage mais ça bouge, faut pas lâcher l’affaire !

Est-il encore d’actualité de réaliser un CD alors que la consommation musicale est plutôt faite par titres isolés ?
Je ne sais que répondre, c’est mon côté altruiste peut être, j’aime partager, que ce soit musicalement avec des musiciens d’horizons différents ou avec le public : j’aime donner. Je n’ai pas d’agent pour me catalyser, me freiner…

Les Bootleggers sont-ils confirmés pour le festival de Mirande l’été prochain ? Avec quels musiciens ?
Yes Sir ! Marc Pleux nous a de nouveau invités en opening de mes copains Two Tons of Steel et Ricochet, énorme ! Nous y serons le samedi, il y aura un superbe plateau l’an prochain et j’espére que, step by step, Mirande retrouvera ses lettres de noblesse. Pour les musiciens, Bootleggers sera au complet, drivés par notre petite merveille à la gratte, Jeremy Mondou. Papa Mondou sera egalement de la fête au sax et peut être avec un guest surprise…

Le prochain concert mêlera-t-il les chansons en anglais et en français ?
Là ça sera Bootleggers mais il se peut que, comme en 2025, nous y ajoutions quelques titres en français : Blouson noir, Le rade des zombies fonctionnent bien sur scène et le Zack attack également

Qu’a apporté Internet à la diffusion de ta musique ?
Les connexions entre musiciens, la possibilité de travailler à distance via We Transfer ou autre, la promotion. Mes précédents albums étaient distribués par imusician mais la distribution de Rock Rebel a été loupée donc j’ai levé le pied pour l’album qui a suivi. On trouve tous nos albums sur Bandcamp mais tout va tellement vite que je me sens parfois un peu dépassé par l’évolution de tout ce bazard ! A 67 berges on n’a pas le cerveau d’un jeune qui a grandi avec les ordinateurs. Et puis j’avoue être inquiet avec leur IA, je ne suis pas sûr que ça soit un avancement, j’ai l’impression qu’on a plutôt ouvert la boite de Pandore…

Comment t’informes-tu sur l’actualité de la musique ?
Je fais toujours du booking donc je reçois pas mal d’albums, j’ai toujours beaucoup de contacts aux Etats-Unis et puis je fais aussi des recherches sur internet pour me renouveler musicalement. Enfin, j’achète pas mal de vinyles français, anglais, américains, au grand désarroi de ma compagne !

Une anecdote que tu ne te lasses pas de raconter ?
J’en ai quelques unes en 43 ans de scène… Peut être une soirée à la Lorada (villa à Ramatuelle) chez le Patron où on jouait. Il y avait un étal avec des bijoux navajos, j’adorais ça. Une bague me plaisait particulièrement mais quand j’ai vu le prix, je l’ai vite reposée ! Un peu avant d’attaquer notre set, quelqu’un est venu me taper sur l’épaule et m’a offert cette bague, je ne sais plus si c’était son garde du corps ou Hervé Lewis. Johnny avait vu mon geste et me l’avait offerte ! Il avait aussi offert ce soir-là à son pote Eddy une magnifique bague avec une grosse turquoise verte. Après le set, je l’ai remercié, il m’a juste fait un clin d’œil avec un immense sourire en me tapant sur l’épaule. Ça m’avait vraiment touché, j’ai toujours cette bague. C’était ça, Johnny, une voix phénoménale, un charisme animal mais aussi un homme généreux, abordable et simple, avec l’intelligence du cœur et c’était un sacré putain de rocker qui devait avoir aussi ses démons, mais qui n’en a pas ?

Veux-tu ajouter quelque chose ?
Je crois que j’ai été assez bavard (rires). Merci pour ton soutien Jacques et merci à la famille du Cri du Coyote. © Jacques Brémond (novembre 2025)

Best Of : Didier travaille sur un album (vinyle) qui comportera les titres suivants : 1- Blouson noir, 2- Rock Rebel, 3- Le rade des zombies, 4- Génération perdue, 5- Barrelhouse Blues, 6- Bayou Stomp, 7- Zack Attack, 8- Salut Charly, 9- Mauvaise Fille, 10- La voix d’Elvis, 11- Du moment qu’ça roule, 12- Trucker Blues, 13- Ma Jolie Sarah, 14- Made in Rock’n’Roll
On peut aider à sa réalisation en soutenant le projet :
https://fr.ulule.com/vinyle-43-ans-carriere

Compléments sonores en images :
http://www.youtube.com/watch?v=j0EdOkrznvg (Made In Rock ‘n’ Roll)
http://www.youtube.com/watch?v=7ad90ZSwGHQ (Blouson noir)
http://www.reverbnation.com/didiercere

Archive : Interview dans Le Cri du Coyote n°160 (2019) :

Pionniers Français de la Country Music

par Alain Fournier

L’article de Thierry Cordonnier me remet en tête la plupart des musiciens français fascinés par une musique acoustique venue des USA et qui n’avait pas encore -dans les Années 1960- l’appellation Country Music. On parlait des Westerners qui faisaient déjà figure d’ancêtres et des chansons de cow-boys interprétées par Tex Bernie dans le saloon de Jean Richard à la Mer de Sable !

Yves Montand chantait Dans les plaines du Far-West mais personne ne connaissait les Bluegrass Gentlemen, et encore moins Flatt & Scruggs ! Personne ? Pas tout à fait, car une bande d’audacieux musiciens français allait se lancer dans l’aventure et tenter de faire connaitre la musique américaine par le truchement du Bluegrass* d’abord et -si affinité- de la Country Music ! Vaste programme quand la vague yéyé n’allait pas tarder à envahir l’Hexagone !

Quel plaisir de saluer au passage Sheriff Dad et ses Enfants de Saloon avec Pat Winther ou encore les Ranchers où sévissaient Jean-Marie Redon et Mick Larie. Si j’oublie Long Chris, les Cowden et les Dalton, je vais me retrouver à cheval sur un rail, badigeonné de goudron et de plumes ! Si le nom de tous ces garnements n’eut pas l’honneur des gazettes, il est grand temps de les mentionner ici. Pas d’ordre alphabétique, encore moins chronologique. Marcel Dadi et ses tablatures, Christian Séguret, Dany Vriet, Jean-Marie Redon, Jean-Louis Mongin, Riquet Serre, Eric Kristy, Marc Bozonnet, Jean-Jacques Milteau, Thierry Lecocq… je prends ma respiration et je continue : Claude Langlois, Jean-Yves et Patrick Lozach, Jeff & Mick Larie, Alain Bashung, Michel Ponthieu, Eric Bouillet, Christophe Dupeu, Michel Lelong, Gilbert Caranhac, Hervé De Sainte-Foix, Olivier Andrés, Michel Blanc-Dumont, Pierre Bensusan, Lionel Wendling, Philippe Bourgeois, Jean Darbois, Christian Poidevin, Gilbert Einaudi, Luc Bertin et Jean-Claude Druot. Pas question d’oublier les différents groupes où ils ont eu le loisir de s’illustrer : Bluegrass Flingou 37 ½, Nuage Rouge, Bluegrass Connection, New Grass Connection, Long Distance, Virginia Truckee et Wolfpack pour ne citer que les plus représentatifs entre 1975 et 1985. La reproduction ci-contre des pochettes de leurs 33 tours “originaux” vous donnera sûrement l’envie de retrouver cette fine équipe sur des microsillons de légende !

Le label Chant du Monde avait une place de choix. La série Spécial instrumental étant particulièrement recherchée par les musiciens. Chacun croyait avoir son petit secret et une avance technique incomparable face à de redoutables concurrents forcément jaloux ! Rassurez-vous, la rivalité de façade n’était qu’une joyeuse complicité. ©Alain Fournier

A suivre : Histoires de France (3) Images d’archives

  • Bluegrass : on y reviendra prochainement, car la mémoire française est également riche.

Jean-Louis Mongin

par Thierry Cordonnier

Je me souviens de Jean-Louis Mongin

Au cours des années 1970 et début 80, accéder en France à la musique country américaine ou plus simplement au rock ’n’ roll d’origine était un vrai parcours du combattant. Les bacs de disquaires de ces styles étaient soit vides soit pire : inexistants. Pour les grands fanas de Johnny Cash, Merle Haggard, Waylon Jennings, Buck Owens, Hank Williams, Georges Jones, Watson (les deux, Doc & Gene), des pionniers du rock’ n’ roll et des Everly Brothers, en attendant l’arrivée des radios libres, c’était la punition maximale. Quelques rares artistes américains ont pu ponctuellement franchir ce mur franchouillard infranchissable, par exemple Emmylou Harris, Dolly Parton et Willie Nelson mais de justesse.
Autant dire que, du coté des musiciens français, à cette époque les deux styles évoqués qui deviennent trois si on y adjoint le bluegrass, n’attiraient que des très rares passionnés de ces genres. Passionnés, ils l’étaient, musicaux ils l’étaient, ils connaissaient profondément cette musique qui faisait partie d’eux mêmes, et ils la partageaient avec nous. Je pense en particulier à trois musiciens. Le premier Jean Louis Mongin, le second Christian Séguret et le troisième Eric Kristy. Chacun ayant autour de lui sa bande de copains musiciens, fabuleux et complices…

La disparition de Jean-Louis, en novembre 2019, m’a beaucoup affecté parce que dès début 1980 j’ai suivi de près son activité grâce aux concerts réguliers qu’il faisait avec le Wolfpack son très sympathique groupe de country rock. En plus de Jean-Louis, Wolfpack comprenait Henri Serré (basse) Dany Vrillet (fiddle) et Gilbert Einaudi (batterie).

Concert après concert, je suis devenu fan de ce groupe. Jean-Louis avait une voix éraillée, très émouvante, et on sentait qu’il vivait les paroles de ses chansons. Vous aurez peut-être du mal à me croire mais, pour moi, Jean-Louis chantait beaucoup mieux The River que ne le faisait Bruce Springsteen lui-même. J’écoute encore sa version que j’avais enregistrée à l’Auberge de la Chapelle en 1984, et elle m’émeut toujours autant quarante ans après… En plus des standards d’Eddie Cochran, à sa propre sauce, et des plus belles chansons country, Jean-Louis nous jouait très souvent de la musique cajun ce qui permettait à Danny de nous faire de superbes interventions au fiddle. C’était beau

Le groupe s’est même consacré à des soirées Beatles très percutantes, qui donnaient à Henri l’occasion de participer encore plus activement à la partie vocale. Leur cohésion, leur complicité et même leur humour étaient alors en pleine puissance. Que de belles soirées…
Mais Jean-Louis était très humble, il parlait rarement de ses nombreuses réalisations et grâce à Gibert Rouit, qui l’a mieux connu que moi et sur une période bien plus longue, j’ai pu “remonter” un historique musical dont il pouvait être fier. Je terminerai avec ces mots sincèrement émus “Bye bye Jean-Louis, you will be missed”.
© Thierry Cordonnier (alias Terry Shoemaker) Août 2025

Photos : Merci à Jean-Louis Thierry, Alain & Anne Fournier, Gilbert Rouit, Jean-Louis Rancurel, Marsel Bossard

NB : ce portrait d’un musicien majeur de notre mémoire musicale sera bientôt suivi d’autres évocations de la richesse de notre passé proche.

Chagrins d’amour et peines de cœur dans la Country Music, par Eric Allart

Une fois par jour, tous les jours, toute la journée.
 Après des années passées à traiter de sujets annexes comme la mort, la guerre, le sexe et le travail, il était temps de suivre les sentiers tortueux du mal universel : l’Amour, surtout quand il ne fonctionne pas. Car c’est avec volupté, et une pointe de perversité, qu’une branche entière de la Country Music a bâti sa réputation et son répertoire sur ce thème, à savoir celui du Honky tonk. Après 50 ans de compulsion frénétique de ce qui existe, et de ce qui a été enregistré, l’auteur de ces lignes n’a toujours pas vu le bout de la mine de cas existentiels exprimés sur le sujet…

Non seulement y coexistent une extrême candeur avec le cynisme le plus noir, mais à peu près toutes les déclinaisons ont été mises en musique et paroles. Devant la profusion, nous tentons de cadrer l’approche en nous focalisant sur les thèmes suivants : solitude, trahison, abandon, nostalgie incurable, passion secrète, mais aussi vengeance et amertume. Une fois encore, le picorage subjectif est assumé. Nous laissons nos lecteurs libres de produire leur anthologie personnelle du “pas bien” et des nuits blanches. Dans les pas de Barbara Cartland et de George Jones, nous vous invitons à vous munir de mouchoirs, ou de Bourbon, selon vos appétences. Voire les deux.
 
La musique parfaite.

Avant de parcourir les textes, il est indispensable de faire le point sur les spécificités de l’orchestration du Honky tonk. Les arrangements, le rythme, tout concourt ici à porter une emphase épaisse, dont l’abus de stéréotypes place l’auditeur dans un contexte familier. On remarquera que les caractères énoncés ici sont identiques à ceux du Rhythm and Blues, l’autre branche sœur experte dans le domaine.
Tout d’abord la voix est mixée en avant. Point de chuinteur à la Etienne Daho dans le Honky tonk. On travaille ici de façon obsessionnelle avec un maniérisme assumé dans les hyperboles. Il n’y en a jamais trop. Ça chiale, ça gémit, ça suffoque, ça feule, ça pignasse. L’accent, le timbre vous sont douloureux ? C’est voulu. On n’est pas ici dans la petite contrariété : l’artiste Honky tonk sort ses tripes et pose tout sur la table dans une totale impudeur. Ces talents vocaux existent aussi -et ce n’est pas un hasard- dans le Rockabilly qui lui est contemporain.


Quelques maitres du genre ?
Hank Williams Sr, avec quatre dauphins potentiels : George Jones, le numéro 1. Puis dans un mouchoir brodé inondé de larmes, Ray Price, Johnny Paycheck, Conway Twitty, Porter Wagoner, Buck Owens. Dans les générations plus récentes Gary Stewart pour les années 1970 et Randy Travis pour les 1980/ 90. Pensons aussi à glorifier James Hand et Johnny Bush.
Chez les dames, Kitty Wells, dont le registre a bien vieilli. Loretta Lynn, première incarnation moderne de femme libre et Patsy Cline. Je confesse une tendresse pour l’injustement traitée Norma Jean, dont l’accent rural cru s’accordait mal avec les tendances pop sophistiquées de la fin des années 60, plus compatibles avec l’exceptionnelle Dolly Parton qui la remplaça aux cotés de Porter Wagoner. Melba Montgomery et Tammy Wynette furent de parfaites partenaires artistiques de George Jones mais brillent aussi par leurs carrières solo. Profitons de cet inventaire pour aller réévaluer la gouaille de Joanie Mosby, qui, forte de sa carrière en duo avec son époux Johnny, tenta de tailler des croupières  aux modèles du genre : Carl et Pearl Butler.

Les élans du cœur se calent à merveille avec les valses. Le boom-chicka épouse et capture le rythme cardiaque. A partir des années 60, la basse électrique est mise en avant, et, si elle n’atteint pas le “mur du son” élaboré par Phil Spector, elle use et abuse des jalons inexorables qu’elle plante dans la sensibilité des auditeurs captifs.


Et puis la pedal-steel vient lier le tout. Contre-chant, véritable souffle intérieur, elle pose la syntaxe, la grammaire et l’orthographe du malheur. Sucrée au premier abord, elle sait se transformer en gémissements plaintifs et acides. Les possibilités du haut du manche vont être exploitées jusqu’à la corde, tous comme les trémolos. Le fiddle existe toujours aujourd’hui dans cet idiome, après plus d’un siècle de pratique dans la musique enregistrée, avec son lot de gimmicks et de figures de styles tellement standardisés que l’amateur sait ce qu’il va entendre avant même le début du morceau ! Toute cette mise en place élaborée sur des décennies donne le cadre prédestiné aux récits que nous allons désormais échantillonner.

Entamons avec le lot commun des esseulés, des laids, des timides, des malchanceux qui n’ont pas su trouver l’être aimé. George Jones ouvre le bal tragique avec la confession secrète de celui qui s’est consumé en vain, jamais remarqué, jamais compris, piégé dans le rôle, ô combien banal, du vieux copain. La puissance de la chose est accrue par le destin déjà tracé : le soupirant sait que seule la mort effacera son mal.

Point donc de salut pour l’imbécile qui se focalise sur une inaccessible et froide “meilleure amie”. Mais que dire alors de celui qui a entamé son ascension sous les meilleurs auspices pour ensuite se faire larguer au profit d’un autre ? Situation initiale stable, élément perturbateur, espoir naissant, coup de poignard, c’est calibré avec un ravissant classicisme littéraire, mais avec de la steel et un fiddle aux petits oignons.
https://www.youtube.com/watch?v=kVLwlRH5duA&list=RDkVLwlRH5duA&start_radio=1
 

Dans sa quête inlassable de ce qui va mal tourner, le Honky tonk ne pouvait pas passer à coté de l’institution maritale. En bonne victime s’épanchant sur son malheur, le chanteur immergé dans la cérémonie pose comme une évidence le cadre attendu pour une tragédie qui, si elle est muette, ne manquera pas de provoquer compassion et identification chez l’auditeur.
Hank Williams Sr, en matière de conjugalité contrariée, vécut des années de souffrance auprès d’Audrey avant d’épouser, à la veille de sa mort, la fascinante Billie Jean qui sera veuve deux fois de suite de chanteurs célèbres. (Elle épousa Johnny Horton, peu de temps après le décès de Hank Williams). Il livre en 1949, pour l’éternité, un jalon du genre. Invité par celle qui devrait être sienne aux noces d’icelle avec un autre, le narrateur voit tous ses rêves s’effondrer, et on devine que cette noce est une très mauvaise surprise !

Cette image surpuissante d’un destin contrarié fut reprise avec talent par Jerry Lee Lewis et Del Reeves dans les années 60. Les fidèles de nos articles thématiques verront poindre le lien naturel avec notre production dédiée à l’alcoolisme, un pendant quasi obligatoire à ce type de situation, sans issue autre que l’autodestruction sur laquelle nous reviendrons.

Une petite pépite de perversité et de dilemme absolu surgit au milieu de l’album, pourtant marqué dans sa production par une certaine sophistication lorgnant vers le crooning urbain, la littérature folk, avec un Big band à l’appui sur un album de Lyle Lovett sorti en 1986. Lyle sait exactement dans quelle filiation il s’inscrit avec ce titre, une orchestration on ne peut plus proche des Ray Price ou des George Jones de la grande époque, à savoir les années 60. Un triangle de misère et de trahison, où la déception le dispute à l’amertume. Tu aimes le dépit et les situations inextricables ? Tu es ici chez toi !

Conway Twitty (Harold Jenkins pour l’état civil), débuta comme chanteur de rockabilly, avec un beau potentiel vocal presleyen, avant de bifurquer vers le Nashville sound le plus chargé en glucose. Il reste connu pour des duos à succès avec Loretta Lynn. Leur relation resta strictement amicale et professionnelle, en dépit de toutes les horreurs étalées dans leur répertoire commun. Décédé précocement en 1993 à 59 ans, Conway incarnait un stéréotype qu’il était de bon ton de mépriser dans les années 70-80 quand on faisait partie de générations plus jeunes. Celui du daron en crise de la quarantaine puis de la cinquantaine : bariolé dans des nudies colorés à la bombe de peinture, coiffé par une version décadente de la banane fifties, avec force gel et laque, empesé par les kilos ! Difficile de croire à cette image de crooner tourmenté construites sur trois décennies. Pourtant, à l’instar des duos Tammy Wynette & George Jones, Porter Wagoner & Dolly Parton, Carl & Pearl Butler, il reflétait à merveille les états d’âmes de son auditoire.

Conway Twitty pousse le bouchon encore un peu plus loin avec Linda On My Mind, une confession à cœur ouvert du gars qui se retrouve inextricablement le cul entre deux chaises. Certes, Racine a posé dans la littérature française du XVIIème siècle la forme classique de la tragédie, avec destin fatal, dilemme insurmontable, expression en alexandrins de longs brames d’êtres d’exception rongés par la culpabilité. Toutefois, le père Twitty ne se défend pas mal dans cette évocation des tourments silencieux. Ainsi est dépeint un être fragile, jouet de ses pulsions et de ses passions.

Difficile de choisir dans la pléthore de productions qui traitent de la rupture. Une fois de plus Conway Twitty expose avec brio un splendide panaché de culpabilité assorti de nostalgie. Trop jeune, trop con, trop tard. John Hughey, le pedal steel guitariste, en fait de trop dès son introduction. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

https://www.youtube.com/watch?v=cBbDQCcpb5M&list=RDcBbDQCcpb5M&start_radio=1
Nous proposons de clôturer la trilogie Twittienne avec une évocation amère de l’adultère. Tout y est : regret, amour perdu au carré, tentative vaine de ne pas prolonger le supplice. C’est sans issue.

Lorsque le protagoniste échappe à la solitude, à la trahison au profit d’un autre, ou à l’indifférence, la suite ne devrait être que vallée de roses et tendresse. Il n’en est rien : Claude Gray pose avec un cynisme désabusé l’erreur de casting. Le narrateur sait plaire et séduire. Mais le résultat est aussi catastrophique que le râteau fatal qui frappe ses congénères piégés dans la solitude. On remarquera que l’universalité du thème permet à la chanson d’être reprise sur au moins cinq décennies par des pointures du motif ! En 1966 on est en droit de s’interroger sur ce qui définit la “good girl” et la mauvaise. La conformiste ménagère pré-1968 est-elle meilleure que la créature émancipée ou toxique ? Nous laissons à des sensibilités plus déconstruites le soin de gérer cette contradiction à la source du mal qui ronge l’interprète.

Nous savons désormais que l’amour produit de la souffrance par son absence, et par sa présence. Il est temps de contempler l’état de ceux qui en déplorent la perte. Là non plus, nous n’allons pas faire dans la demi-mesure. Dans ce registre nous ne pouvons que répéter l’indispensable consultation des œuvres de George Jones et Johnny Paycheck des années 60, où un point culminant semble avoir été atteint. La rupture et les affres qui résultent de l’impossible cicatrisation donnent à voir des êtres cabossés sur la pente fatale. Incapables de sortir du trauma.

Un motif récurrent souvent traité est celui de la peine cachée, de la tentative naturellement vaine de faire bonne figure. Peine perdue ! Norma Jean illustre une variante digne et sacrificielle. La défaite, le remplacement sont actés, sans espoir. Une version plus rare existe interprétée par Bob Morris, bassiste de Buck Owens.

Certes, la perte de la femme aimée est cause de tous les malheurs, mais on peut encore pousser le curseur en associant celle de l’enfant né de cet amour perdu. La chanson use et abuse de figures larmoyantes : le père qui tombe par hasard sur madame et le petit, le tout lors de l’achat avorté d’un chiot (!). Une surdétermination étrangement déstabilisée par une inquiétante et ambivalente référence au passé criminel ou délictueux du narrateur. Il n’y a plus rien à quoi se raccrocher.
Je confesse ici une fascination personnelle pour la version de Pat Patterson, militaire au physique improbable qui se fit plaisir en enregistrant une série de titres sans succès commercial consécutif et redécouvert par l’excellent blog radio “If that aint country”.

https://www.youtube.com/watch?v=sBpsFNSsKLs


Si la cohorte des petits êtres fragiles, qui ont enregistré du Honky tonk et quelques perles languissantes de Nashville sound tardif décadent, forme le gros des troupes en peine de cœur, nous ne remplirions pas honnêtement notre rôle pédagogique et illustratif sans conclure par trois pépites de méchanceté revancharde.
La première est un rockabilly exceptionnel qui annonce avec trois décennies le punk rock avec un fabuleux break de guitare de Link Wray. La deuxième, un joyau extrait de la poignée mythologique des premières sessions Sun de Johnny Cash, la troisième aurait pu mettre Sandrine Rousseau en coma dépassé. Heureusement pour elle, il y a peu de chance que les œuvres de Waylon Jennings accèdent un jour à sa playlist.
Il ne suffit pas aux interprètes de conter leur malheur : celui-ci réclame vengeance et réparation. On notera toutefois que dans le genre musical qu’est la Country Music, trop souvent perçu comme machiste et superficiel, les “fluctuations de la fesse et du cœur » (comme disait Michel Audiard), expriment en grande majorité une extrême sensibilité, une fragilité assumée que nous trouvons aussi à ce niveau lacrymal sans filtre dans la littérature française du XVIIIème siècle. 
https://www.youtube.com/watch?v=1ifbU-sR_go&list=RD1ifbU-sR_go&start_radio=1

https://www.youtube.com/watch?v=HXCuoYs0MSM

La conclusion impossible de ce parcours thématique sera laissée au “gentil géant” Don Williams, admirable artiste qui sut, dans les années 70, concilier succès commercial et production d’une forme très personnelle de Country Music, conjuguant les arrangements disco avec tout l’héritage dans des albums fignolés avec une grande finesse. Plaisant aussi bien aux hippies qu’aux rednecks, adulé par Eric Clapton, qui le reconnaissait comme son chanteur préféré, il connut avec ce titre une belle brèche dans les classements pop sans renier son identité.

Nous souhaitons proposer à nos lecteurs une piste de réflexion pour conclure sur cette thématique. Dans les années 40 et 50, si les affres de la passion, comme à toutes les époques, sont bien présents, ils sont concurrencés et bridés par d’autres préoccupations collectives. La misère consécutive à la crise de 1929, les guerres traitées dans un précédent article, et un puritanisme qui limite l’expression, sauf pour les régions où le Western Swing fait fi des conventions dès les années 30. Le Rockabilly se construit sur la jouissance et l’urgence juvénile de vivre le moment présent. Et c’est probablement cette génération adolescente, à la fin de la seconde guerre mondiale, celle qui lance la consommation massive de 45 tours et de divertissements industriels, qui, en vieillissant, va trouver dans l’obsession des années 60-80 pour les vicissitudes sentimentales dépeintes par la Country Music, le reflet de ses expériences de vie et crises intimes. La crise de la quarantaine se rit des festivités des teenagers, et réciproquement. Dans cette optique, les alternatives que furent le Country rock et le Rock sudiste, bien plus que le mouvement Outlaw, proposaient d’autres sensibilités aux plus jeunes. Fin 80, début 90, le néotraditionalisme va rebattre les cartes pour réactiver ces thèmes, avec naturellement l’émergence parallèle de nouvelles alternatives, Nashpop, Americana, Punktry… © Eric Allart. Août 2025

Procès, justice et sentences dans la Country Music

par Eric Allart

A la suite de notre production sur les forces de l’ordre, il était logique d’explorer le thème de l’application de la loi. Thermomètre des passions et du quotidien, la Country music depuis ses origines est le reflet du rapport des citoyens états-uniens à leur justice. Alors qu’elle est trop souvent dépeinte comme l’expression moralisante et réactionnaire des pans les plus conservateurs de la société, on découvre, dans l’échantillonnage présenté, un rapport beaucoup plus ambivalent. Si le mal et le bien sont encore à peu près bien définis, la violence et l’obsession de la chute inhérentes à cette culture protestante fait l’objet de critiques virulentes, ou à défaut d’idéologie clairement définie, et transparait une profonde humanité.

Repris de justice, mais stars !
Si le rap et dans une moindre mesure le rock des origines aiment jouer avec des incarnations de « bad boys » réels ou simulés, force est de constater que les noms les plus fameux de notre genre brillent dans le monde réel par le tableau baroque qu’ils offrent des condamnations et crimes commis. Depuis les broutilles vénielles jusqu’au féminicide assorti de tortures…
Le romancier Kinky Friedman a usé et abusé de la figure d’un Willie Nelson adepte de la marijuana bien avant sa légalisation. Les conduites addictives, terreau d’inspiration commun au blues et au honky tonk, ont déjà été parcourues dans nos écrits, avec naturellement la place centrale de l’alcoolisme. Ont été souvent arrêtés Hank Williams Sr, dont existe une triste photo torse nu et cachexique en cellule, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, Carl Perkins, etc. Sur Youtube, on peut voir George Jones, filmé alors qu’il se faisait embarquer par une patrouille en imitant l’accent de Donald Duck : https://www.youtube.com/watch?v=kRmG2F2uEjw

Publication musicale (Jimmie Rodgers) & arrestation de Hank Williams

Le 26 mai 1982 à Franklin, au Tennessee, George Jones est repéré sur l’Interstate 65, au sud de Brentwood, après que la police routière du Tennessee eut pris en chasse sa Cadillac grise de 1982 dans le sud de Nashville, zigzaguant vers le comté de Williamson. Une bouteille de whisky à moitié vide partageant la voiture avec la légende. Cette dernière était naturellement dépourvue d’immatriculation, à l’exception d’une plaque en carton manuscrite sur laquelle était inscrit « Possum 3 » ! L’agent Tommy Campsey relate qu’il a eu à faire à un type trop ivre pour chercher à fuir, mais assez agité pour donner un coup de pied à l’aine du cadreur de télévision qui filmait l’événement. Jones fut détenu à la prison du comté de Williamson en attendant le versement d’une caution de 500 dollars. L’agent a expliqué que Jones « s’est déchaîné un moment, puis a ri un peu » avant de finalement se calmer. Il avait déjà eu des ennuis judiciaires dans le Mississippi, où il avait été arrêté pour conduite sous influence de la cocaïne et possession de cocaïne. Il avait ensuite accidenté sa voiture en rentrant chez lui à Muscle Shoals, en Alabama, et avait été hospitalisé à Birmingham le lendemain, le 29 mars de cette même année. Soigné pour alcoolisme et toxicomanie à l’hôpital de Birmingham, il avait repris ses mauvaises habitudes dès sa sortie.

Arrestations de George Jones et de Johnny Paycheck

Johnny Paycheck, familier de Jones pour lequel il joua de la basse et de la steel avant de se lancer dans une carrière solo au milieu des années 60, présentait lui aussi un bulletin scolaire gratiné. En 1956, alors qu’il sert dans la Navy, il se retrouve en cour martiale pour avoir fracturé le crâne d’un officier. Evadé deux fois, il écope d’une peine de 18 ans à la prison navale de Portsmouth (USA) avant de voir sa peine réduite à la suite d’un appel fructueux et sort en 1959.
En 1981, il est de nouveau arrêté, soupçonné de viol sur une gamine de 12 ans dans le Wyoming, mais est défendu par ses musiciens qui témoignent des diffamations intéressées qu’il subit du fait de sa notoriété. Il est relâché et continue ses tournées jusqu’en 1982 où la victime refuse de témoigner. Un arrangement est trouvé avec la famille et l’affaire n’ira pas jusqu’au procès. En décembre 1985, il est condamné à 7 ans de prison pour avoir tiré une balle dans la tête d’un homme au North Hill Lounge à Hillsboro dans l’Ohio. Plaidant l’autodéfense, il refuse la sentence jusqu’à son incarcération en 1989. Il passe 22 mois en cellule avant d’être gracié par le gouverneur Richard Celeste. Un traitement de faveur qui évoque étrangement le cas de Spade Cooley (cf plus loin). Même sans développer les ennuis consécutifs à sa banqueroute en 1990, force est de constater chez Paycheck un parcours chaotique et violent, parcours que l’on observe fréquemment chez ces adolescents issus du peuple, fracassés dans leur éthique et leurs barrières morales par le sentiment de toute puissance que leur apporte la gloire et la fortune. Johnny Paycheck le disait sans ambages : “To me, an outlaw is a man that did things his own way, whether you liked him or not. I did things my own way.” (Pour moi, un hors-la-loi est un homme qui fait les choses à sa façon, que vous l’appréciez ou pas. J’ai fait les choses selon mon idée).

Johnny Cash à St Quentin et avec Glen Sherley. Vin Bruce

Autres fléaux, les stimulants et drogues diverses, qui menèrent Johnny Cash en garde à vue. Il ne fut jamais incarcéré mais il se composa une image d’outlaw et de rebelle, issue de sa fascination pour les marges et les « convicts ». On ne compose pas Folsom Prison Blues par hasard.
Dans la rubrique Droit commun on se souvient de la jeunesse délinquante de Merle Haggard, évadé 17 fois des différents centres de redressement pour adolescents où il avait été placé, qui le 1er janvier 1958 est dans le public captif du pénitencier de Saint Quentin à applaudir Johnny Cash ! Cash prenant un malin plaisir à gagner le public électrisé en parodiant l’attitude d’un des gardiens. En ce qui concerne l’Homme en Noir et ses rapports complexes à la Justice, nous pouvons que citer l’exceptionnel numéro hors-série du Cri du Coyote, que l’on complétera avec le beau reportage diffusé sur Arte où est explorée la relation ambivalente entretenue par la star avec l’instable Glenn Sherley dont il fut mentor et modèle.

Mais la palme de l’atroce revient au fiddler et chef d’orchestre Spade Cooley, qui fut dans les années 40 le principal concurrent de Bob Wills. Personnage complexe, au succès météoritique, qui, atteint de jalousie maladive, suspecta son épouse Ella Mae Cooley d’une relation adultérine et totalement fantasmée avec le cowboy chantant Roy Rogers. Un soir de folie et d’ivresse de 1961, Cooley ligota sa femme, la taillada et la tabassa à mort sous les yeux de leur fille, lui infligeant aussi des brulures de cigarettes avant de l’achever à coup de bottes dans l’estomac.
C’est le grand chanteur de western swing Hank Penny, intime du couple, qui fut le premier informé du crime épouvantable par Cooley lui-même au téléphone, quelques minutes après le massacre.

Spade Cooley. Pub pour son orchestre féminin : 24 « beautés » (!)

Le procès qui s’ensuivit reste un exemple de justice à deux vitesses. La gloire, la popularité, les témoins permirent à Cooley d’échapper à la chaise électrique. Mieux encore, des conditions de détention privilégiées, l’ont même autorisé à faire de la musique ! Cerise sur le gâteau : il bénéficia de la grâce du gouverneur de Californie fraichement élu, Ronald Reagan, après 5 ans de taule.
Aux lecteurs anglophones nous conseillons l’écoute du formidable blog de Tyler Mahan Coe (le fils de David Allan Coe) intitulé Cocaïne and rhinestones, véritable mine d’informations et d’anecdotes sur le genre et les artistes. Un épisode est consacré à cette sordide affaire :
https://cocaineandrhinestones.com/spade-cooley-murder-ballad

Une gradation dans la délinquance
Une fois n’est pas coutume, nous commencerons avec la superbe valse cajun de Iry Lejeune (1928-1955) reprise avec talent par Vin Bruce (1932-2018), crooner injustement sous-estimé, qui fut le représentant francophone le plus convainquant dans l’hybridation avec le Nashville sound des années 60. Le lecteur de l’ouest de la France se sentira chez lui avec la forme oralisée « je m’en vas », et surtout l’acception normande de « barré« , qui signifie ici enfermé.
Le point de vue est celui du condamné, en plein examen de conscience. Si le crime reste inconnu, la douleur est crue, et l’on n’ose imaginer en effet quel destin attend celui qui devra supporter le système des peines cumulatives en vigueur aux Etats Unis. La version initiale induit une trahison et un faux témoignage, absents de celle de Vin Bruce. Nous n’avons pas réussi à dater précisément la prise, peut être en 1948.

La valse des 99 ans. Vin Bruce (1979) :
Oh, moi je m’en vas, condamné pour 99 ans, J’aurais pas du d’être comme ça, c’est de ma faute, Moi j’m’en vas pour tout le temps.
Condamné pour la vie, barré dans une chambre aussi noire
Si jamais que tu te marries, oublie moi et pense plus à moi
Oh, moi je m’en vas, condamné pour 99 ans, J’aurais pas du d’être comme ça, c’est de ma faute, Je vais passer mes années dans la prison.

Poursuivons avec le lot commun de la justice, celui des divorces, qui, s’il n’est pas des plus spectaculaires, permet ici de saisir une larmoyante affaire de manipulation par une épouse revancharde, du moins c’est ce que prétend le narrateur. La Country Music entre ici dans la modernité : un argument psychologique, une véritable exhibition de l’intime, et une belle posture victimaire d’homme trahi, bafoué, humilié. Un tableau bien sombre peu audible en ces temps contemporains où la victime est très majoritairement une femme ! Il aurait été intéressant de connaitre l’éventuelle réponse féminine qui nous aurait peut-être éclairés, avec du concret,sur quels comportements toxiques repose la cruauté mentale ici alléguée.

Issue du Western swing d’après guerre, devenue un standard du Blues et du Rock, Cocaïne Blues livre un récit cru, excessif, proprement violent et immoral, où l’on peut percevoir une ambivalence morale très nette et assez étonnante pour son époque de création. Narration à la première personne d’un meurtrier toxicomane, qui tente de se sauver par une morale plaquée à la fin de la chanson de façon plutôt artificielle, rien n’y fait : c’est une véritable apologie du crime qui est ici déroulée sous nos yeux avec jubilation. J’y vois du proto punk. En 1947.
Johnny Cash s’empara avec gourmandise de la chanson en 1968 lors de son concert à la prison de Folsom. Il y remplaça « San Quentin » par « Folsom », et l’enregistrement fut distribué par Columbia en 1968. Cette scène est reprise dans Walk The Line le biopic de James Mangold de 2005 où Joaquin Phoenix incarne un Cash tout en provocation malsaine.

Plus rares sont les textes faisant directement allusion au personnel judiciaire. En 1949 Woody Guthrie se paye un avocat adultère. L’expression est trompeuse, attestée depuis 1733, elle ne désigne pas seulement une ville mais plutôt un avocat exceptionnellement doué, aussi pointu dans sa connaissance du droit que par ses talents rhétoriques. Deux qualités qui ne l’empêchent pas de prendre un risque dont l’issue lui sera fatale, par présomption et arrogance. Deux défauts qui devaient réjouir l’auditoire populaire de Woody Guthrie dans une lecture de lutte des classes assez explicite.

Et maintenant on est en taule.
Enfer sur terre, lieu du bilan et des regrets, le bagne et la prison fournissent un cadre propice à l’introspection et à la dramatisation. On trouve aussi bien des chansons relatant l’expérience d’un point de vue externe que par la focalisation interne, c’est-à-dire que c’est le détenu qui raconte son histoire. Nous voyons que si la prison porte naturellement à la dépression et au désespoir, au fil des époques, elle a aussi été le cadre d’autres propos : un cadre de révolte pour la première génération du rockabilly et de la frustration adolescente des sixties.
Les années 30, avec l’abrogation de la prohibition et la sortie très progressive de la grande crise de 1929, offrent une image relativisée du condamné dans le succès de Jimmie Rodgers repris au cours des décennies dans à peu près tous les styles. On y décèle l’écho et la connivence avec une population assumant son goût pour l’alcool et le jeu autant que pour les arnaques ordinaires.

Un vieux standard illustre à merveille la condition du « convict » soumis au travail forcé. Compacte, réaliste, sans fioriture. Elle fonctionne aussi bien en format Bluegrass qu’en Rockabilly. Elle livre un lien avec un autre standard, John Henry, chanson dédiée à un homme qui se tue au travail sur son marteau piqueur.

Diamant noir existentiel, enregistré sous une canicule étouffante, Lonesome Whistle reste un chef d’œuvre absolu existentiel. Rythme lent, atmosphère pesante, effets de bruitage imitant le sifflet sur Lonesome, cette œuvre cardinale d’Hank Williams hanta le jeune Johnny Cash qui y trouva le motif à l’origine de Folsom Prison Blues. Nous ne traiterons pas ici du tube de l’homme en noir, nous renvoyons nos lecteurs aux archives du Cri du Coyote et au numéro spécial précité.
Cependant, il nous parait intéressant de mettre l’accent sur un titre moins connu, original dans sa forme dans la mesure où le détenu n’exprime pas de la peine, mais surtout une haine vindicative contre un système jugé inhumain. San Quentin, où Cash ne fut jamais incarcéré, mais où il donna des concerts mémorables.

Autre rébellion contre l’enfermement, le succès rockabilly de Wanda Jackson que l’on peut mettre en parallèle avec l’imagerie transgressive véhiculée par Elvis Presley dans le film Jailhouse Rock et la chanson éponyme qui le porte. Toute cette transgression ne fait plus peur : elle met en scène, dans un spectacle codifié et référencé, toute la mythologie déjà chantée depuis des décennies.
Si la version originale de Rythm and Blues de 1954 s’inspire de faits réels, avec Wanda Jackson, nous nous retrouvons dans un cadre exclusivement féminin. Pour l’adolescent en rupture de repères, la prison, le bagne, ne sont plus un enfer, mais le cadre rigide d’un contexte existentiel qu’il s’agit de subvertir. Le motif est le grand truc des années 50-60 : rien ne peut s’opposer à la pulsion vitale de la jeunesse ! Car on trouve aussi à la fin de la chanson une allusion clairement sexuelle, avec cette image curieuse de gardiens menacés par des détenues en manque ….
La commercialisation du rockabilly mais surtout du rock and roll naissant va user et abuser de ce stéréotype de la jeunesse délinquante.

Marty Robbins, Wanda Jackson

Enfin, quelques chansons parlent de la prison mais d’un point de vue externe : celui de l’être aimé qui se languit, prêt à tout pour ne serait-ce qu’entretenir un lien ténu avec l’incarcéré. Car on souffre des deux cotés du mur ! La version de Pierce est un régal de hillbilly tardif, avec twin fiddles rugueux, gros slap de contrebasse. Celle de Mel Tllis, qui jouait déjà de la guitare rythmique sur l’originale possède en plus un joli parfum rockabilly plus épuré. Une version plus tardive (probablement de la fin des années 60) accompagnée par les Wagonmasters existe également sur Youtube extraite du Porter Wagoner show.

Comment ne pas inclure dans cette exploration de la misère humaine cette perle mélodramatique où la vraisemblance le cède au larmoyant : les vieilles mères sont prêtes elles aussi à tout pour sauver leur progéniture :

Eddie Noack, Roy Hogsed

La peine de mort reste une tragédie
Si l’enfermement n’est pas spécialement une perspective folichonne, la peine de mort ajoute un cran dans la dramaturgie et l’horreur sincère exprimée par les artistes Country qui y font allusion. Pendaison, chaise électrique, la peine capitale est encore en vigueur dans de nombreux Etats. Avec un triste record pour le Texas. Il serait erroné de voir dans la production Country une apologie du fait, c’est même totalement le contraire. Voici un Marty Robbins, pourtant connu pour des positions politiques réactionnaires, qui en 1971 immerge ses auditeurs dans la peau de celui qui est exécuté :

Il est coutumier, chez les amateurs, de rabâcher que la Country music contemporaine, perdue dans le futile et la surcommercialisation, n’aurait plus grand-chose de solide à proposer. Il est temps de ressortir la bombe existentielle que constitue la dernière chanson écrite par Johnny Cash, quatre jours avant sa mort. Objet unique, extrême, d’une puissance dévastatrice rare. Et probable point culminant de cet article. La chanson fut reprise avec talent par Marty Stuart sur son indispensable album concept de 2010 Ghost Train.

Le genre n’a jamais eu peur de l’hyperbole et il est tout naturel que le thème soit exploré au-delà du raisonnable. Après le procès, la prison et la peine capitale, voici qu’après les dernières paroles des condamnés, on fait parler les morts, fantômes qui hantent encore longtemps les âmes et les souvenirs. Naturellement, brillent dans ce registre deux princes de la déglingue et du mal-être, tous les deux ayant d’ailleurs fait des séjours derrière les barreaux. Nous avons parlé de George Jones, ouvrons aussi désormais la cellule à Lefty Frizzell, embringué dans une relation inappropriée avec une admiratrice mineure qui lui couta probablement sa carrière et précipita son penchant alcoolique.

Jimmie Skinner & Rusty York (banjo) Lightning Chance (basse) Opry, 1957. Kinky Friedman & Willie Nelson (Spicewood, Texas, 2006)

The Long Black Veil est une fresque fantastique qui, à la suite de sa création par Lefty Frizzell, fut reprise par des gens aussi différents que Joan Baez, les Country gentlemen, Bruce Springsteen, The Band, Dave Matthews, Johnny Cash, U2.
Il semble que le motif a été inspiré par la présence récurrente d’une mystérieuse veuve en noir sur la tombe du sex symbol hollywoodien précoce du cinéma muet Rudolph Valentino.
Je défie quiconque de nous trouver un récit qui cumule plus de tragédies que ce grand classique !

Nous concluons cette sélection avec deux titres proches qui traient de l’après-prison. La parenté des thèmes est évidente.

Le bilan globalement négatif.
Les amateurs de honky tonk savent la richesse des textes des chansons d’Eddie Noack. Journaliste autant que chanteur, Noack nous donne une belle conclusion ouverte sur l’après-prison. La réinsertion sociale problématique des ex-détenus est ici traitée avec sobriété de façon magistrale, et évoque dans le domaine cinématographique le film Les évadés avec Tom Hanks. L’homme est à jamais marqué par son uniforme de détenu, victime des préjugés d’une société soupçonneuse qui ne laisse pas de seconde chance à celui qui a purgé sa peine. Le constat est aussi triste qu’accablant avec ces « Rayures invisibles »

Nous avons déjà évoqué la jeunesse tourmentée de Merle Haggard, enfermé à Bakersfield pour une tentative ratée de vol puis transféré à San Quentin après une tentative d’évasion en 1958 avant d’être relâché en 1960. L’expérience carcérale irrigue toute son œuvre. Que ce soit par l’échec de l’éducation reçue (Mama Tried) ou la condition romantique de l’évadé (Lonesome Fugitive) en 1967. Le début de sa carrière est
donc inspiré et marqué par sa propre vie, avec le risque d’être stigmatisé comme le chante Eddie Noack. Il n’en fut rien, à l’instar de Spade Cooley, pour des délits naturellement d’une autre nature : il est gracié par Ronald Reagan, gouverneur de Californie, en 1971. Branded Man est une autre pierre ajoutée à l’édifice de la stigmatisation.

Merle Haggard & Ronald Reagan

© Eric Allart

La Folk Music Américaine

Régis Meyran

Compte rendu de lecture : Jacques Brémond

Le sous-titre (De la contre-culture à l’entertainment) donne la direction historique générale de cet ouvrage. Il s’agit d’illustrer l’évolution d’une forme de patrimoine (folklore musical composite d’une groupe humain spécifique, qualifié de folk) utilisé comme élément de contestation sociale. Ainsi la musique est grandement considérée comme l’incarnation sonore d’un message politique, sans oublier l’aspect commercial en devenir au cours du XXème siècle : nous sommes au pays du show-business (USA).


D’emblée il faut corriger l’idée que la (le?) folk est seulement liée aux années 1960. Car le creuset musical américain est vaste et a une longue histoire : les ethnologues ont analysé les expressions musicales des campagnes (noires et blanches) puis des artistes liés aux syndicalistes (anarchistes, communistes, etc.) et enfin de la convergence entre le « petit peuple des pauvres » et les intellectuels des villes et des universités. Tout cela a brodé une histoire dont l’auteur nous indique les étapes essentielles. Cette anthropologie s’appuie sur une longue série de collectes puis dans la prolifération des enregistrements.

Le creuset initial est évidemment celui des Amérindiens et des populations diverses importées et/ ou immigrées sur le continent (colonisation et commerce des esclaves africains) qui fondent une expression fortement liée aux réalités sociales . Ainsi s’expriment les échos des champs de travail, des usines, avec peu à peu la création de la syndicalisation et des associations de défense des droits et les partis politiques. L’auteur évoque longuement le rôle institutionnel (ex. le Smithsonian Institute) celui des pionniers (comme John et Alan Lomax) puis la définition progressive des genres parallèles (blues essentiel et fondamental, country, etc.) avec des analyses précises et argumentées (ex : Leadbelly ou la chanson John Henry).

Leadbelly

Régis Meyran étant aussi anthropologue, il définit un champ de recherche spécifique et le cœur du livre s’attache à l’importance des musiques noires (un chapitre est même consacré à la contestation en rapport avec l’engagement politique). L’analyse est particulièrement pertinente sur la convergence du christianisme et des traditions issues d’Afrique. Ainsi ces pratiques ont-elles une valeur « infrapolitique » nous dit l’auteur : « ce domaine caché » du discours et des pratiques des classes subalternes, qui permet de décrire l’activité des personnes à mi-chemin entre la passivité et la révolte, pratiquement un ensemble de « résistances dissimulées, discrètes ou déguisées », telles qu’un conte populaire de vengeance, un rituel de carnaval, une assemblée informelle de voisins… c’est-à-dire des pratiques annonciatrices de l’acte politique visible et public » (p 41).
Dès les années 1920, les enregistrements permettent de témoigner d’une identité spécifique, d’une affirmation culturelle et bien sûr d’une diffusion par les radios et le disque. Peu à peu sont évoqués des moments “charnières”, du mélange des genres (jazz/ blues/ swing) du rôle du parti communiste, de certains musicologues, comme l’oublié mais important Lawrence Gellert.

Régis Meyran – Lawrence Gellert – John et Alan Lomax

Paradoxalement, du moins en apparence, c’est le substrat d’un renouveau du folk (folk revival) qui donne naissance à une redéfinition des éléments fondamentaux dès l’après-guerre. Deux moments sont distingués par l’auteur :

  • Les années 1940-53, où, globalement, l’activisme politique est soutenu par des chansons de militants, symbolisées par la figure de Pete Seeger. Une expression revendicatrice multiple, qui englobe souvent plusieurs thèmes : la défense des travailleurs, les droits civiques (les années 50 auront beaucoup de peine à aboutir à la fin de la ségrégation raciale) et une proclamation générale faisant appel à la liberté, un des principes fondamentaux de la constitution américaine.
    Puis, en miroir au contexte de la guerre froide et du maccarthysme, la jeunesse prend le relais des grands ainés (Woodie Guthrie) et petit à petit, l’affirmation des luttes sera convergente aussi bien pour les minorités pauvres que les universitaires des villes, avec enfin la lutte contre la guerre qui culminera à l’époque du Vietnam.
  • Les années 1959-65, beaucoup plus « médiatiques » et qui perdent majoritairement leur sens politique revendicatif, même si une persistance de certains artistes met en valeur les « protest songs ». A côté des stars Bob Dylan, Joan Baez, des orientations intellectuelles (le magazine Sing Out face à la guerre au Vietnam) et d’un immense développement du « divertissement » (avec les festivals), l’auteur insiste sur des figures moins connues chez nous, mais qui portent haut le flambeau de leur engagement. Ainsi sont précisés les rôles de Karen Dalton, Izzy Young, Dave Van Ronk, Barbara Dane (la plus injustement oubliée ?) ou encore Phil Ochs. Bientôt cette « mode du folk » se manifesta aussi en Europe et un peu partout par les tournées et festivals de plus en plus grands (et consensuels).
Barbara Dane – Dave Van Ronk – Izzy Young – Karen Dalton – Phil Ochs

Régis Meyran arrive à un constat qui est présenté (presque) comme un regret, l’abandon d’une forme d’authenticité. Le succès et l’existence des « stars » obligent à une forme de dérive selon l’auteur : « un artiste financé par une grande maison de disques, en tant qu’individualité et marchandise, pouvait difficilement concilier une carrière artistique avec un engagement véritablement militant, sans parler de son manque de disponibilité temporelle. Enfin, la vague rock touchait un public bien plus large que le petit monde de la folk. Tout cela contribua à la dépolitisation en même temps qu’elle s’électrifiait pour s’inscrire dans le grand courant du rock, dont les thèmes de prédilection avaient plus à voir avec l’amour ou les effets psychédéliques de la drogue qu’avec la lutte sociale. » (p 111-112)
Tout au long de son récit, il évite la fausse objectivité et assume son affirmation sous-jacente de convictions personnelles : antiracisme, souci de démocratie, etc. C’est pourquoi il est d’autant plus sensible quand il constate l’abandon de l’aspect globalement « politique » au bénéfice actuel d’une exploitation commerciale. Cet aspect propose plusieurs centres d’intérêt : il revisite l’histoire avec le choix d’éléments souvent moins connus chez nous, et incite le lecteur à se poser bien des questions sur les clichés souvent dominants dans les médias (radios, télévisions, et maintenant sites Web).
Si l’on accepte ce parti pris qui évite heureusement l’anti-américanisme d’une certaine époque chez nous, on profite en fait du rétablissement d’une vérité historique appropriée, cette lecture étant alors propice à une vivifiante émulation. On ne redira jamais assez l’importance des musiques “ethniques”, amérindiennes et surtout noires, dont l’influence sur tous les “genres nord-américains” est fondamentale jusqu’aux dérivées issues des mêmes traditions (country, gospel, jazz, swing, etc. la liste est presque sans fin).
Par ses aspects érudits sur des faits et des personnes souvent mal connus, par les références à des ouvrages conséquents (dont ceux de l’ami Gérard Herzhaft) et par cette lente démonstration fort bien argumentée, ce livre est un bon moyen de revoir notre histoire commune, ou simplement d’en apprendre les grands axes, dans laquelle l’influence de cette “folk music” n’a pas fini de porter ses fruits sur une bonne partie de notre univers sonore.
© (Jacques Brémond) Ed. Le Mot et le Reste (144 pages, 17 €)

Note de l’éditeur : Régis Meyran est journaliste (Alternatives Economiques, Sciences Humaines, Le Courrier de l’Unesco) et anthropologue associé à l’Ecole pratique des hautes études. Auteur d’études et d’ouvrages sur les question de racisme des d’identité, il anime avec Michel Wieviorka et Philippe Portier la plateforme internationale sur le racisme et l’antisémitisme

Baptiste W. HAMON

Tu te présentes comme l’un des seuls chanteurs de country en français, et tu es en effet un ovni dans le paysage hexagonal. La réalité est tout autre dans l’espace francophone canadien. Quelle regard as-tu sur cette scène des cousins de la Belle Province ?

Les Québécois ont en effet un rapport beaucoup plus décomplexé avec cette musique typiquement américaine, et depuis toujours là-bas des artistes ont approché le genre avec réussite. Je pense à des chanteurs comme Willie Lamothe, Paul Brunelle ou Marcel Martel, véritables stars originelles de la country québécoise. J’avais acheté il y a une quinzaine d’année cette excellente compilation sur les pionniers de la country de la belle province à la librairie québécoise de la rue Gay Lussac à Paris, et y avais découvert de sacrées pépites. Sur la scène actuelle, j’aime la démarche d’artistes comme Alex Burger (Du country dans le ravin) ou Avec Pas d’Casque, avec leur chanson Dommage que tu sois pris, j’embrasse mieux que je parle, une de mes préférées du répertoire québécois. Enfin, dans mes longues errances sur internet j’étais tombé il y a bien longtemps sur des artistes beaucoup plus obscurs, dont on trouve très peu de trace hormis sur Youtube, et dont certaines chansons m’émeuvent profondément malgré les faibles moyens de production. Je pense à des artistes comme Guy Pépin, Denis Champoux, ou Pierre Guillemette, qui s’est autoproclamé le “Johnny Cash du Québec”. Les clips de ces artistes sont très artisanaux mais comptent des millions de vues, et les chansons répondent parfaitement au cahier des charges principal de la musique country : “three chords and the truth” (Trois accords et la vérité). C’est très kitsch et sans flonflon, très honnête, un peu à la manière de Frank Michael par chez nous.

Tu te reconnais aussi de la veine des troubadours, quel est ton rapport aux chanteurs francophones prenant comme toi des chemins de traverse, entre poésie et confidences intimistes ?

J’ai eu deux influences majeures dans ma carrière d’artiste, et qui m’accompagneront jusqu’au bout : d’abord Townes Van Zandt, l’insaisissable songwriter texan à la plume profonde et hallucinée : c’est lui qui m’a donné envie d’écrire mes propres chansons.

Et puis quelques années plus tard, alors que je m’essayais laborieusement à écrire des textes poétiques en anglais, j’ai découvert le répertoire de Jacques Bertin, chanteur français à la carrière confidentielle mais dont les fans, dont je fais partie, considèrent qu’il est l’un des plus grands de la chanson de chez nous. Ses textes sont somptueux, complexes et poétiques à la fois, tout en reprenant dans ses récitals des chansons traditionnelles du répertoire français, comme Colchique dans les prés ou le Temps des cerises. En cela, il est un chanteur de “folk” de chez nous. En plus de Bertin et de Jacques Douai dont il a suivi les traces, j’aime beaucoup Julos Beaucarne (un belge), ou Jean Vasca, et quelques autres de cette scène alternative (mais pas toujours poussiéreuse) de la grande chanson française… Cette scène a quelque peu disparu aujourd’hui, mais une nouvelle scène alternative est apparue, avec des artistes qui chérissent le maniement des mots et explorent avec singularité ou transgression le langage. Le plus visible d’entre eux est Bertrand Belin, mais d’autres comme Jean Felzine (du groupe Mustang), Stéphane Milochevitch (du groupe Thousand), Pascal Bouaziz (de Mendelson), Alma Forrer, Philémon Cimon (un québécois), Corte Réal, Lonny, Nicolas Michaux (encore un belge), Gaétan Nonchalant, proposent une chanson française décomplexée et assez éloignée des standards de l’industrie actuelle.

Avant de réaliser ton disque manifeste Country l’année dernière, la couleur générale de tes chansons était plus neutre, entre folk et chanson indé. En choisissant un support musical déterritorialisé comme la country, n’y a-il pas un risque que l’exotisme de la musique prenne le pas sur la profondeur de tes textes ?

La genèse de mon dernier disque, Country, que j’ai réfléchi comme un disque de country telle que je l’aime, et en français, s’est faite en deux temps. Elle est d’abord le fruit d’un constat. En 2023, avec quelques amis, nous avons créé le collectif Paris Lonestar Club, qui visait à aller jouer nos chansons Outlaw country préférées dans les bars et les petits clubs parisiens, la plupart du temps devant des gens (souvent jeunes) pas du tout habitués à ce genre musical. Et là, surprise, ce public parisien s’enjoue devant nos reprises de Merle Haggard ou David Allan Coe, Terry Allen ou Loretta Lynn. Chaque concert ramène de plus en plus de gens, qui pour certains nous remercient car ils “pensaient ne pas aimer la country”, qu’ils associaient souvent à la chanson Cotton Eyed Joe, qu’on a probablement trop entendue aux mariages (et qui surtout, n’est pas de la country). Constat majeur donc : quand on leur propose une country authentique, jouée avec cœur et des vrais instruments, les gens découvrent qu’ils adorent cette musique. Une fois ce constat effectué, j’ai souhaité écrire un disque entier de chanson country en français, avec mes propres chansons. Je voulais retrouver le caractère direct et décalé de chansons comme All My Exes Live in Texas (George Strait), Thanks a Lot (Ernest Tubb), Mama Tried (Merle Haggard), ou Long White Line (Sturgill Simpson), qu’on reprenait avec le Paris Lonestar Club, et dont j’avais désormais la preuve qu’il pouvait plaire. J’ai donc assumé une certaine rupture dans mon écriture en allant droit au but sur certaines paroles, tout en essayant de faire passer un message. C’est la seconde idée essentielle de ce disque : je voulais me faire plaisir dans les thèmes, en abordant des sujets qui m’interpellent depuis des années : le sentiment d’une industrie musicale de plus en plus frileuse envers les singularités, et d’une chanson française un peu lourdingue, qui ne se renouvelle pas, mais qui se prend encore très au sérieux. Pour évoquer ces thèmes concrets, il a donc fallu que j’utilise un langage plus direct, différent du registre utilisé majoritairement dans mes chansons jusque-là. Un peu plus Hank Williams Jr. que Mickey Newbury. Mais pour moi le langage direct et la poésie plus abstraite ne sont pas incompatibles : Kris Kristofferson a écrit à la fois If You Don’t Like Hank Williams et Loving Her Was Easier. Je me reconnais dans ces deux types d’écriture.

L’abréviation « W » devant ton nom, est-ce une coquetterie ou un référence aux abréviations ricaines, entre A.P Carter , k.d Lang, John D. Loudermilk, ou Tom T. Hall… ? L’un en particulier ?

Lorsque j’étais étudiant, je portais déjà des santiags et des ceintures avec boucles western, et mes camarades m’avaient surnommé Walker, en référence au personnage de Chuck Norris dans Walker Texas Ranger. J’ai embrassé ce “middle name” au moment de me lancer dans la musique, pour effectivement donner une petite connotation américaine et proposer ainsi une grille de lecture à ma musique aux personnes qui allaient la découvrir. Quant aux références que tu donnes, si je devais n’en conserver qu’une ça serait Tom T. Hall, un storyteller hors pair, dont la chanson Homecoming est un bijou de songwriting (j’ai écrit ma chanson Rabbit Pâté dans une même veine descriptive et sans morale, comme une « chanson tableau »).

Il semble que tu as trouvé dans une rythmique nonchalante et balancée (two-step) ton groove naturel, est-ce bien cela ?

Dans ce disque, Country, j’ai clairement décidé d’orienter mes morceaux vers un style et une ambiance honky tonk, genre de country qu’on entend dans les bars des quartiers bouillonnants d’East Nashville ou East Austin. Là-bas, les groupes y jouent de la country aux relents traditionnels, en hommage aux honky tonk d’antan, mais sans filtres et sans tabous au niveau des paroles et des esthétiques. Et pendant les concerts, tout le monde danse le two-step (la line dance y est proscrite) entre deux shots de mauvais whisky.

Tu chantes “je ne deviendrai jamais une superstar” sous forme d’auto-parodie, mais en réalité quelle est ta “vérité”, comme tu le chantes, ton ambition profonde ?

Cette chanson est d’Eddy Mitchell, et figure sur son disque Rockin in Nashville. Je l’ai redécouverte pendant l’écriture de Country, et j’ai tout de suite voulu l’enregistrer, tant elle semblait en phase avec les thématiques que j’abordais dans le disque. Je la vois comme une ode à la singularité, le fait d’assumer haut et fort que nous resterons nous-mêmes au mépris des modes et des courants. Mais bien évidemment, cette chanson est pleine d’ironie : Eddy Mitchell était déjà très connu à l’époque, et mon ambition à moi n’est pas “de ne jamais devenir une super star”, mais de continuer à proposer une musique singulière, sincère et authentique. J’ai foi en l’idée que la sincérité finit toujours par payer d’une façon ou d’une autre.

Les rares succès country en français ne se distinguaient pas toujours par des textes de haute volée (Faire un Pont de Dick Rivers, Hey Lovely Lady de Johnny Hallyday…). Tes vidéos sont pleines d’humour et de légerté. Comment pour autant parvenir à ne pas étouffer la subtilité de tes textes ?

L’adaptation de chansons country en français s’est souvent faite dans le contexte de la grande variété des années 70 : on reprenait à la pelle des tubes américains, dans l’espoir que leur succès là-bas se reproduise chez nous. Effectivement, l’accent n’était pas particulièrement porté sur l’émotion poétique mais davantage sur l’efficacité musicale, et cela a peut-être contribué à l’image un peu ringarde qu’a aujourd’hui la country en France. Deux choses : d’abord je pense qu’un texte apparemment simple peut être sublimé et poétisé par un arrangement brut, et une interprétation sincère. Ensuite, j’aime l’idée qu’il puisse y avoir plusieurs grilles de lectures à une chanson, une légère une seconde plus profonde. Ma chanson J’connais des gens par exemple est a priori une critique assez banale de l’hypocrisie ambiante. Cette hypocrisie me fait rire, mais elle me peine également, c’est un regard à la fois amusé et cynique, critique sur le monde. J’ai essayé d’interpréter cette chanson en insufflant dans le chant ces deux émotions qui me traversent. Quant au ton utilisé dans mes clips, réalisés par mon amie Norma, c’était aussi une volonté de ma part de casser avec le sérieux ambiant dans la variété française -qui manque parfois d’humour.

Ton album Country, autoproduit, sans grande production, sonne pourtant tres abouti. Peux-tu évoquer sa conception, ses conditions d’enregistrement ?

J’ai d’abord écrit et composé les chansons seul chez moi, puis effectué des maquettes grossières sur Garageband dans ma chambre. Je les ai ensuite fait écouter à mes musiciens, qui sans être des spécialistes de country, écoutent comme moi des groupes americana très inspirés par la country : Wilco, Bonnie Prince Billy, Bill Callahan, Kurt Vile etc. Ça n’a pas été dur pour eux de trouver le bon ton et d’apporter leur patte, qui du coup est une patte unique et qui évite les clichés. Je suis heureux d’avoir pu bosser avec ces incroyables musiciens que sont Baptiste Dosdat (guitare électrique), Vincent Pedretti (batterie), Nils Sørensen (basse), Stew Crookes (pedal steel), Boris Boublil (claviers) et Lonny (chœurs). L’enregistrement s’est fait en deux temps : d’abord chez mes camarades de Midnight Special Records au studio Nocturnes à Noyen-sur-Seine, avec Marius Duflot à la prise de son, puis à Montreuil chez Boris Boublil chez qui j’ai enregistré tous les overdubs et qui a mixé le disque.

Quelle importance donnes tu au concert du 10 juin à Paris ?

Ça va être une grande fête, dans ma salle parisienne préférée. Nous serons huit sur scène pour l’occasion, et l’idée est de mettre un sourire sur le visage du public dès le premier morceau, de lui faire traverser toutes sortes d’émotions, et qu’il sorte de là en disant : vivement le prochain concert de country ! Il y aura toutes sortes d’invités, et la première partie sera constituée d’amis chanteurs à qui j’ai demandé chacun de venir chanter leur chanson country préférée. Ces concerts parisiens sont toujours particuliers car ils n’ont lieu que tous les deux ou trois ans et sont souvent sold out. Pour ceux qui n’auraient pas encre pris leur place : n’hésitez plus, venez !

Peut on espérer te voir cette année en province, dans les festivals ?

Tout à fait, nous serons en concert le 24 juillet en Vendée pour le festival Musiques au Logis, puis le 28 août à Auray dans le Morbihan. Mon tourneur travaille actuellement sur des dates à la rentrée et en 2026, où nous espérons pouvoir sillonner la France et le Bénélux. Je pars par ailleurs donner quelques concerts à Nashville au mois d’octobre.

Tu a un disque d’adaptations en français de titres majeurs country. Peux tu nous en dire un peu plus ?

Tout à fait ! J’adore l’exercice d’adaptations de chansons de l’anglais au français. Je travaille actuellement à l’enregistrement de quelques titres, encouragé par des amis ici et aux Etats-Unis qui apprécient le regard nouveau donné à des classiques du genre. Je reprends notamment Johnny Cash, Willie Nelson, Townes Van Zandt, John Prine, Blaze Foley, Billy Joe Shaver et bien d’autres.. Plus d’infos à venir à la rentrée ! © (Arnaud Choutet)


Baptiste et la question “Peut-on chanter la country en français ? “ :
https://www.youtube.com/watch?v=f3RXhFiBg0Y
Country & Americana, de Arnaud Choutet, à lire :
https://lecriducoyote.com/2025/04/28/country-americana

Police et Country Music

Recoupant certaines de nos productions thématiques sur “Quelques enfers de la Country music” et l’alcool (cf Archives), la présence des forces de l’ordre irrigue les narratifs de la country music dès les origines. Dans le monde rural, ce sont les Sheriffs et les Rangers, popularisés au-delà de la musique par Hollywood, qui incarnent la loi et l’ordre. Figures exemplaires, en principe, nous verrons qu’ils sont aussi parfois moqués et ridiculisés. En plus d’un siècle d’existence, le répertoire Country évolue jusqu’à inclure une dimension intime et existentielle parfois des plus tragiques. En fonction des genres, des époques et des publics visés, l’approche se révèle souvent très contrastée. 

Company F, Texas Rangers (1885)

La police vous parle :
Ouvrons avec un titre empreint de rockabilly attribué à Johnny Paycheck et popularisé par George Jones, dont les parcours de vie personnels penchaient nettement plus du coté de l’excès de picole que de promotion des vertus de la sobriété ! Curieusement, ce titre de 1953, où le gouvernement fédéral fait encore la chasse aux bouilleurs de crus clandestins, évoque de façon un peu anachronique l’âge d’or de la prohibition des années 20-30 où gangsters et policiers usaient de tous les moyens pour arriver à leurs fins. On sent, par le ton plus léger, que l’époque est à une forme de détente : illégalité certes, mais jeu de cache-cache dans un contexte rural profond où la forêt prend des allures mystérieuses de paysage de conte.

Johnny Paycheck & George Jones. Junior Brown (à Equiblues).

Un artiste s’est spécialisé dès les années 60 dans l’incarnation du “state trooper”, du sheriff, du patrouilleur routier : Red Simpson (1934-2016). A l’instar des albums conceptuels de Porter Wagoner sur la déchéance alcoolique, ou de Johnny Cash sur les trains, il sort en 1966 pour Capitol un bijou d’immersion intitulé The Man Behind the Badge. A l’origine le projet est proposé à Merle Haggard qui décline l’offre. Red, qui alors écrit pour Buck Owens, saisit l’occasion.
Ce n’est pas tant par un vocal identifiable que Red pose ici un jalon, si la musique appartient à la veine électrique et dépouillée du “truck drivin’ song”, les autres forçats de la route, l’intérêt réside dans les textes basiques, crus, réalistes, d’un naturalisme social parfois brutal. Red explore à peu près toutes les configurations du métier : patrouilleurs d’autoroutes, agents en ronde sur les trottoirs, sheriff du comté.
Les textes sont dépourvus de naïveté ou d’idéalisme, une réelle empathie s’en dégage, inspirée par la solitude, les risques du métier, la peur, mais aussi la compassion abrasive exprimée par des fonctionnaires en première ligne pour constater la banalité du mal et les tragiques faits divers du quotidien. L’album sort en 1966. C’est l’époque où la contestation étudiante et les émeutes raciales envahissent l’actualité médiatique d’un pays qui commence son enlisement au Viet Nam : ces thèmes sont absents des textes de Simpson. Est-ce pour autant la marque d’un conservatisme ou d’un biais réactionnaire ? Je ne le pense pas, son propos est autre. Il se contente de raconter l’expérience à hauteur d’homme, une des vertus communes aux grands textes de la Country Music.

Red Simpson. Brad Paisley
Fin de la prohibition de l’alcool. Jouet. Johnny Cash. « Stop au bruit inutile »

La chanson Highway Patrol fut tirée de l’oubli par le génial Junior Brown en 1993, qui rendit hommage à Red Simpson en 1995 avec l’album Semi Crazy centré sur le « truck drivin’ song ». Le contexte routier étant l’espace de prédilection des expériences policières de la Country Music.

Kenny Price. Rusty & Doug Kershaw

Le récit à la première personne, où le chanteur incarne un sheriff, est également bien illustré par Kenny Price (1931-1987), crooner dans la veine de Jim Reeves ou Nat Stuckey, desservi par un physique ingrat (140 kilos !), mais avec une belle production caractéristique du Nashville sound des années 1960-70. Le ton est familier, et exprime même une bonhommie cool, tempérée par une menace sous-jacente pour qui sortirait du cadre. La conception de la loi et de l’ordre semble presque féodale : le sheriff est maitre absolu sur son territoire.

Tu dois être mon copain : points de vue d’usagers.
Après ces quelques exemples vus de l’intérieur de la voiture de patrouille, intéressons-nous au regard des usagers. Là aussi, la perception est plurielle. Le sheriff est un allié dans ce tube rockabilly tardif des frères Kershaw, où l’on sort du cajun-bop qui les a fait connaitre pour emprunter les voies plus commerciales du teenage song.



Plus banale est la bête arrestation pour conduite en état d’ivresse. Je tiens à ce propos Party Lights de Junior Brown comme un petit bijou ironique du genre. Nous garderons à l’esprit qu’il constituera une parfaite transition vers notre futur article thématique consacré à la prison. La force du morceau réside dans son shuffle entrainant dont la légèreté contraste avec la fin de la parenthèse festive. Le même motif existe depuis longtemps dans le tube cajun de D. L. Ménard de 1962 La porte en arrière : “J’étais dans le village et je m’ai mis dans le tracas, la loi m’a ramassé et m’a jeté dans la prison”.

Smoky & The Bandit. Jerry Reed & Burt Reynolds

Parodie et clichés :
En 1977 sort sur les écrans Smokey and the Bandit, une comédie routière avec Burt Reynolds et Jerry Reed, auquel on doit la chanson titre du film. Le scénario (ah ah ah) tient sur une demi-boite d’allumettes : à la suite de paris au fort enjeu financier, un chauffeur casse-cou doit traverser et rapporter du Texas (3 000 km aller et retour en 28 heures) 400 cartons de bière. Je retiens de l’œuvre plusieurs motifs intéressants. Dans la continuité culturelle sudiste et rurale, les héros sont des bandits au grand cœur, rusés, séducteurs, joueurs et provocateurs. Pour autant ils n’appartiennent pas à la contre-culture des années 60, en reflux à cette époque à la veille des années Reagan : Jerry Reed défonce avec son poids lourd les Harley Davidson d’un gang de Bikers. Les forces de l’ordre sont constituées d’imbéciles et d’incapables. Cet “anarchisme de droite” serait-il un précurseur du mouvement libertarien ?
Après le cinéma, c’est la télévision qui exploitera jusqu’à la corde le thème du shérif idiot ridiculisé par de sympathiques rednecks dans la série Dukes of Hazzard, traduite en France par Shérif fais-moi peur. Le générique original est interprété par Waylon Jennings : The Good Old Boys.

The Dukes Of Hazard. La « General Lee » (Dodge Charger de 1969)

Au fil des épisodes, de 1979 à 1985, l’amateur de musique y croise Loretta Lynn (saison 2, épisode 18, “Loretta Lynn a disparu”), Tammy Wynette (saison 3, épisode 4, “Epouvante à la carte”), Hoyt Axton (saison 3, épisode 11, “Bon voisinage”), The Oak Ridge Boys (saison 3, épisode 12, “Rencontre de Hazzard”). La page Wikipédia consacrée à la série nous apprend qu’elle fut, avec Dallas, la seconde la plus suivie lors de sa diffusion.

Trente ans plus tard, Brad Paisley reprend, presque trait pour trait, les motifs de Jerry Reed en 2007. Même la musique semble décalquée avec un tempo rapide, l’ajout d’un picking rapide de banjo bluegrass. Le policier se nomme également Smokey, mais à la différence du film de 1977, le jeune con finit en cabane.

Existentialisme en contexte périurbain :
Si le filon commercial et futile de la course du chat et de la souris en contexte rural agrémenté de gags épais trouve son public, il n’en reste pas moins que la condition de policier aux Etats-Unis reste plus que précaire. Ils sont socialement dévalorisés, contrairement à ce que montrent les séries télévisées, en permanence exposés à une mort violente du fait de la législation sur les armes et aux ravages sociaux des narcotrafics, et la mort plane avec une permanence en général étrangère au vécu de leurs collègues européens.
Nous concluons avec deux exemples plus graves où des artistes mainstream contemporains explorent avec justesse la pression psychologique touchant d’une part les policiers, et d’autre part leurs proches. Deux idées fortes en émergent : un sens civique du devoir envers la communauté, à des années lumières des brutalités racistes qui ont abouti à la mort de Georges Floyd, et l’expression, si ce n’est la reconnaissance, d’une forme de stress post-traumatique.
Dans ces deux derniers exemples, on constatera aussi que la Country Music traite aujourd’hui de sujets de société à portée universelle et n’est plus uniquement centrée sur les stéréotypes ruraux. Le pli avait déjà été entamé en 1966 par Red Simpson. Me revient alors la réplique de Jim Malone joué par Sean Connery dans Les Incorruptibles : “Le premier devoir d’un policier c’est de renter chez lui tous les soirs”.

Le poids du badge

© Eric Allart. Janvier 2025
Cet article est la première partie d’une trilogie “Police, Justice, Prison”.
Shérif, fais-moi peur (The Dukes of Hazzard) est une série télévisée américaine en 147 épisodes de 50 minutes, créée par Gy Waldron et diffusée entre le 14 septembre 1979 et le 8 février 1985 sur le réseau CBS. En France, la série a été diffusée à partir du 18 septembre 1980 sur Antenne 2, puis sur La Cinq à partir du 7 septembre 1986, qui rediffuse la série et programme la suite inédite. Rediffusions sur TMC, RTL9, Comédie, NRJ 12 en 2008 et sur Virgin 17 du 15 mars au 8 juin 2010. Au Québec, elle a été diffusée à partir du 18 janvier 1984 sur le réseau TVA1.

Pour compléter en images et musiques :

https://www.youtube.com/watch?v=JgGfXjvwSl0
https://www.youtube.com/watch?v=PpvQAGsbLFc
https://www.youtube.com/watch?v=fnerbERcbS8
https://www.youtube.com/watch?v=oek1V8bvJZI
https://www.youtube.com/watch?v=1ZfyyYYHUSo