Classic Album : On The Road Again – Boogie With Canned Heat
par Romain Decoret

En janvier 1968 sort l’album Boogie With Canned Heat mais les séances datent d’octobre-novembre 1967. Le succès est énorme et mondial avec On The Road Again. Tout est étrange et très personnel dans ce blues de Floyd Jones, qui l’avait lui-même originalement adapté du Big Road Blues de Tommy Johnson. Pour commencer c’est Alan Wilson, second guitariste du groupe, qui chante avec une voix haute directement influencée par Skip James -que “Blind Owl” Wilson avait largement contribué à faire redécouvrir- et un jeu d’harmonica au son cuivré qu’il tenait de Little Walter Jacobs et Sonny Boy Williamson 2 en modifiant les lames de ses Marine Band.
Mais plus encore, l’arrangement de On The Road Again incorpore trois pistes de drone difficilement travaillées et synchronisées par Al Wilson sur un instrument indien, le tempura. L’intro commence donc avec ce drone instantanément reconnaissable, puis l’une après l’autre les harmoniques à la 12ème case de l’accordage en Vastapol, open de Mi. Les notes s’enchaînent : Mi grave, Si, Mi, Sol dièse, Si, Mi, avant de partir sur un riff de boogie primal Mi, Sol, La, Mi qui souligne chaque fin de couplet : “I’m out, on the road again, I’m on the road again”. Le résultat est envoûtant comme un “mojo spell”. D’ailleurs il n’y a pas d’autre musicien sur le titre, le Blind Owl joue absolument tout sauf la basse/ batterie qui restent hyper-minimales sans aucune digression .

FUSION SPECIALE
Ce qui reste extraordinaire est cette fusion country-blues/ musique indienne. George Harrison lui-même ne fusionnera pas vraiment le R&B et la musique orientale avant My Sweet Lord en 1971, se contentant jusque là de rester un élève appliqué et orthodoxe de Ravi Shankar. Alan Wilson avait depuis longtemps entrevu les ponts entre le jeu en slide des country bluesmen et le sitar. Depuis d’autres musiciens ont effectué ce style de fusions. Citons Derek Trucks qui mixe le boogie style Allman Brothers et la musique de Ravi Shankar. Nitin Shawney est un autre excipient du style mais il y a chez lui plus de musique pakistanaise que de blues. Jeff Beck l’a souvent cité comme une inspiration.
IN SEARCH OF…
La recherche musicale d’Alan Wilson avait commencé très tôt. Né près de Boston, Massachusetts, sa mère était pianiste mais ses parents divorcèrent alors qu’il était âgé de 3 ans et il vécut avec son père et sa belle-mère. Il commença par le trad. Jazz Traditionnel de New Orleans, avant de s’intéresser à la musique classique et la musique indienne. Le blues devint ensuite sa passion principale. Doté d’un Q.I. de 165 qui le plaçait loin au-dessus des autres condisciples, le jeune Wilson obtint une bourse pour ses études. Il choisit la musicologie et étudia les styles de Skip James, dont il adopta la voix en alto, Mississippi John Hurt, Charley Patton, Tommy Johnson, Son House, Bukka White, Robert Pete Williams, participant à leurs “redécouvertes” pendant des voyages de recherche dans le Mississippi ou devenant leur coach afin qu’ils puissent retrouver leur style de jeu. Il participa à l’album Father Of Folk-Blues de Son House et lui réapprit les chansons que ce dernier avait oubliées, comme Death Letter.

CALIFORNIA
Portant des lunettes à triple foyer, Blind Al (son premier surnom) était une cible de choix pour les arnaqueurs. Sans ses lunettes il était incapable de reconnaître les gens. Il lui arriva même, au cours d’un mariage où il jouait, de poser sa guitare sur le gâteau. C’est le guitariste John Fahey qui le persuada de venir avec lui à Los Angeles. Début 1966, Alan “Blind Owl” Wilson enregistra un disque de râgas traditionnels pour le label Takoma de John Fahey. L’album ne sortit jamais, mais plus tard quatre des râgas de Wilson furent utilisés sur Parthenogenesis, un titre du 3ème album de Canned Heat.
Le groupe fut formé par la rencontre entre Alan Wilson et Bob “The Bear” Hite. Tous deux étaient des connaisseurs profonds du blues, mais entièrement différents. Là ou The Bear était totalement extraverti, le Blind Owl était timide et fragile. Sur scène Bob Hite explosait littéralement alors qu’Alan Wilson dirigeait le décompte, aussi immobile qu’une figurine de carton. Ils furent rejoints par le guitariste Henri “Sunflower” Vestine des Mothers de Frank Zappa, et le bassiste Larry “The Mole” Taylor, musicien de studio des Monkees, Jerry Lee Lewis et bien plus tard Tom Waits.
Après un premier album produit par Johnny Otis, Canned Heat avait trouvé son style. Le nom du groupe était basé sur Canned Heat Mama de Tommy Johnson, LE vrai bluesman qui avait fait un deal avec le démon, plutôt que Robert Johnson. La chanson décrivait les alcooliques qui buvaient de l’alcool rectifié avec une cuillerée de mélasse pour faire passer le tout. Tommy Johnson mourut d’ailleurs de cette pratique insensée.
Lorsque le groupe participa en 1967 au Monterey Pop Festival, il fut l’une des découvertes du moment, avec Jimi Hendrix et Janis Joplin.

BOOGIE WITH CANNED HEAT
A la fin de l’année, avec un nouveau batteur, Fito De La Parra remplaçant Frank Cook parti jouer avec Pacific Gas & Electric, ils commencent les séances de leur second album, Boogie With Canned Heat. Avec les arrangements de cuivres de Dr John, c’est une réussite. Sunnyland Slim est au piano sur Turpentine Moan, une autre déclinaison de la combinaison alcool rectifié/ mélasse. Dr John supervise Marie Laveau, un instrumental d’Henri Vestine . Fried Hockey Boogie est le premier d’une longue série de boogies dans le style de John Lee Hooker. An Owl Song est une autre merveille d’Alan Wilson avec des cuivres arrangés par Dr John. Mais c’est sans conteste On The Road Again qui se classa dans le Top 10 partout autour du monde. Même en France, il y aura un groupe nommé Ophucius qui se référait à Canned Heat version Alan Wilson, avec une excellente chanson intitulée T’en fais pas, m’man !

27
Alan Wilson revint à cette fusion avec d’autres succès : Goin’ Up The Country de Henry Thomas et Future Blues de Willie Brown. Il fut aussi le principal participant avec John Lee Hooker pour l’album Hooker’N’Heat. Sa fragilité exacerbée finira par se fracasser sur les montagne rocheuses du music-biz et après plusieurs tentatives de suicide, malgré un séjour de traitement psychiatrique, il est retrouvé mort à 27 ans le 3 septembre 1970, d’une overdose de barbituriques, dans son sac de couchage, sur une pente herbeuse de Topanga Canyon. Chronologiquement, il est le troisième dans le club des 27 après Robert Johnson et Brian Jones, avant Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin et plus tard Kurt Cobain et Amy Winehouse. Mais le talent exceptionnel d’Alan “Blind Owl Wilson” a survécu et le redécouvrir est une plaisante surprise. © (Romain Decoret)
Images : quelques exemples de publications parmi de très nombreuses à travers le monde.
Vraiment intéressant. Je n’avais pas fait le rapprochement entre le Larry TAYLOR de CANNED HEAT et celui des disques de Tom WAITS. Ca donne envie de les réécouter.