Interview par Romain Decoret
Depuis ses débuts en 1998, avec une carrière qui l’a vu enregistrer dix albums et des musiques de film pour Mystic River, Million Dollar Baby ou Lettres d’Iwo Jima, Kyle Eastwood -le fils de Clint Eastwood- a acquis la réputation d’un leader de groupe et contrebassiste au style simultanément mélodique et hard bop. Rencontre à l’occasion de sa récente tournée française et son passage au festival Jazz in St Germain.

Hi Kyle. Vous venez de jouer au Théâtre de l’Odeon pour le festival Jazz In St Germain. Qui étaient les musiciens ?
J’essaye de changer le line-up suivant l’endroit où l’on joue. J’ai trois centres principaux, Los Angeles, Londres et Paris où j’ai un appartement près de la place des Invalides. Pour le show de l’Odéon, j’ai la vocaliste Camille Bertault pour notre version des Moulins de mon coeur de Michel Legrand. Le noyau du groupe est constitué par les musiciens britanniques qui connaissent bien le répertoire et tournent avec moi partout cette année : Andy McCormack au piano, le batteur Chris Higginbottom, le trompettiste Quentin Collins et Brandon Allen au sax. J’allais oublier le chanteur londonien Hugh Coltman qui chante tous ces thèmes, comme Gran Torino que j’ai co-écrit pour le film de mon père.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, vous m’aviez dit penser enregistrer votre père au piano sur des standards, pour ajouter ensuite une section rythmique, avec vous à la basse. Cela va se faire ?
Probablement pas. C’est difficile pour mon père de revenir en arrière… il a été pianiste de jazz dans les bars, il y a longtemps, et il a ensuite enregistré un album de musique country quand il jouait dans la série télévisée Rawhide…
Comment composez-vous avec lui ?
C’est très simple : il s’assied au piano et me joue ce qu’il prévoit, la mélodie et une structure d’accords. Ensuite, c’est à moi de trouver un arrangement, quelques changements d’accords qui permettent de mettre en valeur la mélodie. Puis je suis libre de trouver les musiciens qui conviennent et d’enregistrer une première version.

Vous avez un studio spécifique ?
Il y a tout ce qu’il faut dans les bureaux de la société à Los Angeles. Mais la musique de film se divise en trois jeux de balles complètement différents. La composition se fait chez nous, dans notre salon, autour du piano. Ensuite si c’est un thème principal, il est enregistré comme un disque dans un studio. Mais pour l’illustration sonore, le film passe sur un écran et nous suivons l’action, en soulignant ou en nuançant ce qui se passe sur l’écran. Il faut être conscient du script bien avant de commencer à jouer, pour être synchronisé avec l’action. Le timing apparait sur le bas de l’écran et on suit au 10ème de seconde près.
Votre avant-dernier album, In Transit, était jazz et très influencé par l’école anglaise Dave Holland ou Steve Potter. Qu’est-ce qui a motivé Cinematic, qui est beaucoup plus diversifié ?
C’était un projet naturel pour moi parce que j’ai une relation unique avec le cinéma. J’ai choisi un mélange de titres que j’avais écrits et de bandes originales de films classiques. D’ailleurs l’album a tellement bien marché que le label Jazz Village m’a demandé de faire la suite. Nous allons donc enregistrer Cinematic 2 à l’automne.
Comment avez-vous choisi les titres ? Selon quels critères ?
Ce sont des thèmes que j’ai toujours appréciés et surtout, ils se prêtaient bien à de nouveaux arrangements. Lalo Schiffrin pour le film Bullitt avec Steve McQueen. Bernard Hermann et la musique de Taxi Driver, il était aussi l’un des compositeurs favoris de Hitchcock. Ennio Morricone a écrit Per le entiche scale pour Vertigo, un autre film de Hitchcock. J’ai tenu à inclure ce clin d’œil au compositeur de la série des westerns de Sergio Leone dans lesquels jouait mon père. C’est aussi vrai pour The Eiger Sanction de John Williams.
Vous détournez le style brit-pop dans un thème de James Bond. Pourquoi ?
Cela me paraissait naturel d’inviter Adele Adkins pour Skyfall, l’un des meilleurs récents James Bond avec Daniel Craig…
Vous avez choisi deux thèmes d’Henri Mancini…
Un très grand compositeur. Son thème pour film Charade de Stanley Donen est l’un des plus connus.
Mais le Pink Panther Theme est encore plus connu. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
C’est basiquement un morceau de jazz, avec un beat élastique comme la démarche de la panthère. As-tu remarqué que la panthère rose est un mâle ? J’ai passé des heures quand j’étais un gosse à regarder la série de dessins animés qui en a été tirée. Mon idée était de revisiter cette période datant d’avant ma naissance -je suis né en 1968- quand les 45t de jazz instrumentaux étaient classés dans les charts. Mon père avait, et à toujours, une collection de 45t que j’ai compilée sur mon iPod. Avec des classiques tels que The Sidewinder de Lee Morgan ou Blues March d’Art Blakey & The Jazz Messengers. Je pense être arrivé à intégrer ce feeling dans ma version du thème de Pink Panther.

Vous jouez toujours sur des contrebasses de David Gage ?
Je n’en ai que deux qui sont mes chevaux de travail. Il y a une trois-quart facilement transportable et une full-scale que je joue en studio et dans les grands concerts.
Comment obtenez-vous ce son à la fois grave et bien défini ?
Je cherche toujours à sonner comme Ron Carter et Dave Holland. Je m’en approche avec deux étages différents d’amplification. Sur la David Gage d’abord, avec un micro DPA placé sur le chevalet. C’est mon arme secrète. Ensuite, c’est le réglage de mon Ampeg, je monte les fréquences graves et j’équilibre ensuite la définition avec suffisamment de médium pour que le son soit clean. Ce qui est variable suivant l’endroit où je joue. C’est toujours ultimement réglable à partir de la sono de façade, mais je préfère avoir le son voulu à la source.
Vous avez des basses électriques ?
J’ai une nouvelle Gibson 5-cordes Custom de couleur verte fabriquée spécialement pour moi par le Custom Shop. Elle est inspirée par la basse prototype de Bunny Brunel, que j’ai toujours chez moi. C’était une Carvin, mais fabriquée par Gibson, ils avaient déjà les plans de la Carvin originale. Le modèle que j’ai maintenant n’est pas commercialisé par Gibson mais il y une ESP Bunny Brunel qui s’en rapproche.
Comment avez-vous commencé la basse ?
J’ai d’abord joué avec des groupes dans mon lycée, du R&B, reggae, Motown. Je tenais à m’affirmer et jouer la musique de ma génération, en laissant de côté les gens que mon père m’avait présentés, comme Count Basie, Dizzy Gillespie et les disques que j’entendais dans ma famille, Thelonious Monk, Stan Kenton, Dave Brubeck, Miles Davis… Je me suis éloigné de cela, mais quand j’ai commencé à prendre des leçons avec Bunny Brunel, j’ai réalisé que lui aussi écoutait et respectait les mêmes choses et je suis revenu à ce que j’avais appris depuis mon enfance. Puis le moment est arrivé où je devais choisir ce que je voulais faire. Le cinéma ou la musique…
Le cinéma, c’était sérieux ?
J’avais joué dans les films de mon père dès l’âge de huit ans, Josey Wales, Bronco Billy, Honky Tonk Man…

Honky Tonk Man est, soit dit en passant, la meilleure biographie de Hank Williams jamais tournée, mais sans utiliser son nom. Vous avez suivi une formation d’acteur ?
Le tour complet, à 360° : comment me placer et respecter les marques devant la caméra. Mes entrées et sorties du plateau de tournage. Les cours de diction, répète après moi “The five fyfes are playing for the flying fighters of freedom”… Et aussi comment vivre un rôle de l’intérieur, mémoriser un script, etc. Mais il y avait toujours cette question que je me posais : “Pourrais-je faire aussi bien que mon père ?” et la réponse était toujours “Impossible!”. Alors je me suis décidé pour la musique, principalement parce que la musique -tout particulièrement le jazz- a toujours été importante dans ma famille. Mon père et ma mère jouent tous deux du piano et ma grand-mère aussi. Le côté musical était solidement ancré et c’est ce sur quoi j’ai commencé ma carrière de musicien. Quand je l’ai annoncé à mon père, il n’a pas été déçu, je crois qu’il savait qu’il est toujours difficile pour les enfants d’acteurs de réussir. Sauf pour Jamie Lee Curtis qui est la fille de Tony Curtis et Janet Leigh (rires).
Musicalement vous avez une vista qui aborde aussi bien la world-music que le funk ou la musique africaine…
C’est la base du jazz ! Tu mets tout dans un shaker et tu secoues. Il ya aussi une synchronicité qui te fait rencontrer les personnes qu’il faut quand tu voyages, et je passe mon temps sur la route à rechercher ces rencontres et inspirations musicales. Je pense y revenir après Cinematic…
Quels sont vos projets immédiats ?
Nous allons terminer la tournée européenne et française avec quelques shows sur la Côte d’Azur. Ensuite nous irons travailler le répertoire de Cinematic 2 et nous l’enregistrerons à l’automne.

Pour terminer quel serait votre conseil aux musiciens du Cri du Coyote ?
Le plus important est le beat, le rythme. Téléchargez sur votre smart phone une application avec un métronome électronique et utilisez-là chaque fois que vous travaillez, même si ce ne doit être que pour un quart d’heure d’échauffement. Vous constaterez assez vite un changement dans votre jeu… © (Romain Decoret)