SCOTTY MOORE

The Guitar that Changed The World (Epic, 1964)

par Romain Decoret

Plus qu’un collector, ce disque est une clé qui explique le parcours extraordinaire de Scott Winfield Moore. Tous les grands guitaristes que j’ai eu la chance d’interviewer le possèdent et le considèrent comme une influence : Jimmy Page y a trouvé l’association rythmique acoustique/ lead électrique ultime. Le regretté Jeff Beck a été marqué par l’utilisation des effets sur Milk Cow Blues qu’il transcrivit ensuite chez les Yardbirds avec Heart Full Of Soul et Shapes of Things. Rory Gallagher était intarissable sur son album favori. Enfin, Keith Richard (que je n’ai PAS interviewé) ne s’est jamais remis de la rythmique acoustique jouée par Elvis Presley sur une Martin D-18 dans Mystery Train, avec le solo joué par Scotty Moore sur une Gibson L5 CES blonde et un ampli Echosonic de Ray Butts. Mais la genèse du disque remonte plus haut et commence par le départ d’Elvis pour l’ US Army.

DES TRAGEDIES D’ARISTOTE DANS LE TOP 10 ET LE BILL BLACK COMBO

A la fin de 1958, les revenus totaux de Scotty étaient de 2 322 dollars et ceux de Bill Black étaient du même ordre. Le Colonel Parker, qui les détestait, assurait Elvis que ses musiciens étaient bien payés. Bill Black avait été le premier à craquer, quittant Elvis pour ne plus jamais revenir.

Scotty réussit à s’associer comme ingénieur et producteur dans les studios Fernwood de Ronald “Slim” Wallace. Il enregistra plusieurs maquettes avec Thomas Wayne Perkins, frère de Luther Perkins, guitariste de Johnny Cash. Un jour de 1958, Scotty rencontra par hasard Gerald Nelson qui lui proposa une ballade qu’il venait d’écrire avec son partenaire Fred Burch. Le titre était Tragedy, d’après un cours universitaire sur les tragédies Aristoteliennes. Sam Philiips de Sun Records et Chet Atkins de RCA avaient apprécié mais pensaient que ce slow n’était pas assez country pour eux.

Scotty Moore l’enregistra avec Thomas Wayne Perkins et un trio féminin d’étudiantes appelées les Delons, dans les studio Hi Records de Memphis. Trois prises et c’était dans la boîte. Scotty rajouta ensuite un écho Slapback de 17 millisecondes. Il choisit de sortir le disque sur le label Fernwood. Saturday Date/ Tragedy fut publié fin 1958.

Au printemps suivant, la foudre frappa finalement. Un DJ du Kentucky commença à jouer la face B, la station reçut un déluge de requêtes et ce fut un hit pour Thomas Wayne, qui n’avait que 18 ans. Avec une instrumentation discrète (Scotty Moore sur une Telecaster), un chanteur débutant et des choeurs d’étudiantes, c’était de la pure magie made in Memphis.

Le disque s’écoula à un million d’exemplaires et fut n°8 dans les charts nationaux. La chanson fut reprise par The Fleetwood, Brenda Lee, Brian Hyland, Ronnie Dove et plus tard Bette Midler et Wings sur Red Rose Speedway. Le Colonel Parker envoya un mot de congratulations, mais personne ne s’y trompait, Thomas Wayne fut blackmailé et ne trouva jamais un autre label malgré plusieurs enregistrements. Aujourd’hui les droits de Tragedy sont gérés par MPL, la maison d’édition de Paul McCartney, qui possède aussi la contrebasse Kay de Bill Black. Bill Black, de son côté, monta alors le Bill Black Combo avec les hits Smokie (Parts 1&2) et Silver Sands dans le Top 20. Le groupe tourna ensuite avec les Beatles, au Shea Stadium et dans tous les USA. 

SIXTIES

Lorsqu’Elvis Presley revint aux affaires, tout avait changé : les plus grands artistes de Memphis étaient ses deux anciens Blue Moon Boys, Scotty Moore et Bill Black. Scotty travaillait pour Sam Phillips dans ses studios de Memphis et Nashville. Il proposa à Sam Phillips d’enregistrer un album instrumental marqué du sceau de Memphis comme le Bill Black Combo, les Mar-Keys ou Booker T & The MGs. Phillips ne dit ni oui, ni non. Mais Scotty avait forgé une forte amitié avec le producteur Billy Sherill qui le présenta à Eric Records.

… THAT CHANGED THE WORLD!

Billy Sherill produisit l’album pour Epic et assembla une équipe All Stars avec Scotty à la lead, les batteurs DJ Fontana et Buddy Harmon, Bob Moore à la basse, Jerry Kennedy à la seconde guitare, Bill Purcell au piano, le sax de Boots Randolph et bien entendu, les Jordanaires.

La liste : Face A : Hound Dog, Loving You, Money Honey, My Baby Left Me, Heartbreak Hotel, That’s All Right, Mama. Face B : Milk Cow Blues, Don’t, Mystery Train, Don’t Be Cruel, Love Me Tender, Mean Woman Blues.

Chacun jouait sa partie comme sur l’original, sauf Scotty qui remplaçait la voix d’Elvis sur sa Gibson Super 400. Il demanda au Colonel Parker d’écrire les liner notes au dos du disque mais Parker refusa. Scotty déclara : “J’aurais du inclure un chèque de 5000$!”

En tous cas, le disque se vendit mal, sauf chez les guitaristes, une fraternité à part. Il semble que tous ceux qui l’achetèrent formèrent ensuite un groupe. Le vinyl original est difficile à trouver. Comme me le dit un jour le regretté Rory Gallagher : “Je suis fan d’Elvis dans ses jeunes années, quand son groupe avait deux guitares et une contrebasse Kay, si je pouvais remonter dans le temps c’est là que je serais, devant la scène attendant mon tour de dire : “Téleportation, Scotty Moore !” (Cette dernière phrase est une référence à Star Trek). © (Romain Decoret)

Chronologie des guitares de Scotty Moore :

1952- Fender Esquire et ampli Fender Tweed

1953- Gibson ES 295

1955- Gibson L5 CES Blonde (n°de série A-18195) ampli Echosonic Custom de Ray Butts

1957- Gibson Super 400 CESN (n° de série A-24762) rachetée par Chips Moman

1959- Gibson C5 classique cordes nylon

1963- Gibson Super 400 Sunburst (n°de série 62713)

1987- Gibson Super 100 CESN (n° de série 080253002)

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