par Romain Decoret
Découvert par Dan Auerbach des Black Keys, le jeune songwriter Frederick James Mull est un pur produit de la scène country de Birmingham (Alabama). Une voix aux accents soul et hillbilly qui met en valeur une plume très affûtée. En fait, Early James est un grand auteur, avec un potentiel qu’il a déjà démontré sur ses deux disques pour le label Easy Eye Sound de Dan Auerbach. Ce soir, il joue en France pour la première fois à l’Archipel où il prouve qu’il est aussi un guitariste acoustique hors-pair, comme son grand aîné de l’Alabama, Jerry Reed. Touche ON, Take 1… Interview :

Votre nouveau et second disque, Strange Time To Be Alive, est bien plus électrifié que le premier, Singing For My Supper (2020). Comment est-ce arrivé ?
Pour les séances du premier je n’avais pas apporté de guitare électrique en studio. Mais après avoir tourné avec les Black Keys, j’ai trouvé le son qui me convient, à la fois acoustique et avec un rack d’effets. Je peux jouer un riff, le repasser en loop et continuer avec une suite d’accords rythmiques au-dessus. Au début, quand je jouais à Birmingham (Alabama), avec Adrian Marmolejo, mon contrebassiste attitré depuis 2016, nous étions toujours considérés comme un groupe de bluegrass, alors que j’ai toujours voulu jouer avec un son rock. Inversement, je peux aussi jouer du hillbilly acoustique sur scène et reprendre Your Cheating Heart de Hank Williams…
C’est un badge de Hank Williams que vous portez sur votre blouson en jeans ?
Oui. Une rareté fabriquée par un ami en Alabama. Le blouson et la salopette de fermier sont mes marques de fabrique sur scène. Je tourne en Europe actuellement, en duo avec mon bassiste Adrian, mais je vis toujours dans l’Alabama, même si je suis souvent à Nashville.

Comment a été enregistré ce nouveau disque, Strange Time To Be Alive ?
Dan Auerbach a produit les séances dans son studio Easy Eye Sound. Les séances n’ont pris que trois jours. J’avais un bon nombre de chansons que je jouais déjà avec Adrian. Nous avons rencontré en studio le joueur de pedal-steel Tom Bukovac (Willie Nelson, Keb’Mo), Mike Rojas au piano et le batteur Jay Bellerose qui a joué avec le regretté Allen Toussaint. On s’est immédiatement très bien entendu avec lui. Sur Harder To Blame, Jay frappait en boom-tap (grosse caisse/ caisse claire) sur sa batterie, si fort que l’ingé-son a voulu baisser son volume, mais Dan (Auerbach) a dit de ne rien changer parce que ça collait parfaitement bien avec le titre. Il y a beaucoup de terreur dans cette chanson et la batterie lourde et menaçante de Jay souligne cette ambiance sombre.
Quel est le thème général de Harder To Blame ?
Je suis né en 1992 et j’entre dans la trentaine. Quand on est jeune, il est facile de rejeter la faute sur nos proches et leur mettre sur le dos toutes les mauvaises habitudes, les mauvais choix que l’on a faits. Quand on dépasse les 27 ans, on réalise que l’on est en réalité le seul fautif, le seul responsable de l’histoire. C’est une réflexion morale qui provient de ma stricte éducation familiale à l’église baptiste de Troy, en Alabama.

A l’inverse, Straight Jacket For Two (trad. Camisole de force pour deux) est assez humoristique, malgré le thème de la démence. Vous l’avez voulu ainsi ?
Je pense que l’on peut dire que parfois on est dingo et admettre que l’on n’est pas forcément bien dans sa peau. Je voulais exposer l’absurdité sans fin qui nous entoure et rappeler aux gens que l’on peut se sentir fou à certaines occasions -une brève histoire d’amour, par exemple- ce sont des sentiments humains universels et il est sain de ne pas les taire. Les VRAIS fous sont ceux qui ne doutent jamais d’eux-mêmes. Ne me demande pas d’exemples, il y en a trop…
Racing To a Red Light évoque 90 Miles an Hour Down a Dead End Street par Hank Snow, Narvel Felts ou Bob Dylan. Comment l’avez-vous écrit ?
C’est un instantané, une photo sur un smart-phone. On était dans le van, en route pour un show et il y avait cette longue succession de feux verts qui passaient au rouge avant que l’on ait eu le temps d’arriver au bout. Et on était pressés ! J’ai sorti mon carnet et j’ai écrit le texte là, à l’arrière du van.
Vous chantez en duo avec Sierra Ferrell sur Real Low Down & Lonesome. (cf http://www.youtube.com/watch?v=oFE9Lo_oakA). Comment est-ce arrivé ?
Nous avons écrit la chanson ensemble. On s’entend vraiment bien. En fait nous avons passé de très grands moments ensemble. Yes, sir ! Et nous nous retrouverons sur la route dans d’autres occasions.

Votre songwriting est d’une qualité inhabituelle. Quelles sont vos influences ?
Elles sont multiples. Je pense à Hank Williams, Merle Haggard, Jerry Reed, Townes Van Zandt, Tom Waits, Fiona Apple. Au fil des années j’ai été impressionné par Kurt Cobain avec Nirvana, sa capacité de répéter la même phrase de 3 ou 4 mots et de sonner différemment à chaque fois, avec une signification différente. Et aussi Sturgill Simpson, Old Crow Medicine Show…
Des auteurs littéraires aussi ? classiques et modernes ?
Edgar Poe, Erskine Caldwell, William Faulkner, Eudora Welty. Mais je puise rarement des passages dans les livres. L’important pour moi est d’aborder un thème parallèlement, jamais de façon directe, pour laisser des courants poétiques s’exprimer et les recueillir.
Philosophiquement sentez-vous une différence entre le progrès technique et l’amélioration réelle de la vie ?
Grave question… Il semble que l’humanité avance en s’auto-détruisant à chaque génération. Mais je pense aussi que je suis encore trop jeune pour y penser sérieusement. Il faut vivre plutôt que rester dans sa tour d’ivoire…

Quelles guitares jouez-vous ?
Dan Auerbach m’a prêté sa Martin D-28 de 1935. Je la joue sur le clip internet de Tumbleweed. Le plus souvent j’ai une Gibson J-50 ou une Martin électro-acoustique sur un mini-pédalier avec un Looper et écho-delay. Je me branche direct dans la sono. En électrique, j’ai une Stratocaster et une Telecaster. Il y a deux configurations pour les tournées. Je peux jouer seul avec Adrian à la basse et ma guitare électro-acoustique. Ou bien avec mon groupe, le batteur Joey Rudeirsell, Adrian, et Ford Boswell à la pedal-steel sous le nom d’Early James & The Late. Là je sors ma guitare électrique et un ampli Fender VibroVerb.
Quel est votre style de main droite en acoustique?
J’ai un thumbpick au pouce et je joue le reste avec les doigts. D’autres fois, je joue en accords avec un mediator.
Comment Dan Auerbach vous a-t-il “découvert” ?
Il avait entendu parler de moi, de ce “cinglé en salopette” qui chantait à Birmingham. Finalement il est venu en Alabama me voir jouer dans un club. Ensuite on a sorti les guitares et on a jammé ensemble. Il a réfléchi et m’a finalement proposé de me signer sur son label Easy Eye Sound. Ça a été très vite, Dan est une personne de décision immédiate. Je me suis retrouvé à Nashville pour enregistrer mon premier disque, Singing For My Supper. Ce qui correspond exactement à ce que je faisais avant de rencontrer Dan.
Vous avez un conseil pour les songwriters en herbe qui lisent Le Cri du Coyote ?
Motivation. Si vous devez écrire, faites-le, quoiqu’il advienne. Oubliez toutes les influences et exprimez-vous. Le reste viendra tout naturellement, votre approche directe ou indirecte. Le plus important est de vouloir écrire et chanter vous-même plutôt que rester un hallebardier au service d’un chanteur, et je sais de quoi je parle…
Ce soir à l’Archipel, c’est votre premier show en France ?
Oui. Ensuite nous allons en Ecosse, Suède et Norvège, en Australie en mars et nous revenons en France en avril. Hello à tous les lecteurs du Cri du Coyote ! © (Romain Decoret)