SPECIAL CONSENSUS

par Dominique Fosse

Bien que le groupe soit déjà venu à plusieurs reprises en Europe, la venue de Special Consensus à Bluegrass In La Roche cet été sera sans doute pour beaucoup l’occasion de découvrir cette formation sur scène.
Parmi les groupes de premier plan, Special Consensus est certainement aujourd’hui la plus ancienne formation bluegrass en activité. Greg Cahill, 76 ans, l’a co-fondée en 1975. Sa passion pour le banjo, sa volonté de faire de la musique son métier pendant de longues années de vaches maigres, de maintenir son groupe malgré d’incessants changements de musiciens, son implication dans IBMA (International Bluegrass Music Association) dont il a été membre du bureau de 1998 à 2010 (et Président les cinq dernières années) en font un quasi militant du bluegrass.

Originaire de Chicago -pas tout-à-fait un haut lieu du bluegrass- Greg Cahill ne découvre cette musique (et le banjo) qu’à l’adolescence. L’apprentissage solitaire est difficile mais son service militaire (ça sert donc à ça ?) dans le Missouri et en Géorgie lui permet de fréquenter de bons banjoïstes. De retour chez lui, il réussit à trouver un professeur. Le virus l’a pris, à tel point qu’en 1974, il décide de prendre une année sabbatique pour se consacrer entièrement au banjo.
Le groupe qu’il a constitué avec des amis en 1973 devient The Special Consensus Bluegrass Band en 1975 et, en 1976, avec le bassiste Marc Edelstein, Greg décide que le groupe sera professionnel. Sa réputation grandit peu à peu et les incessantes tournées (qui lui coûteront un divorce) s’élargissent au-delà du Midwest en 1978 et à l’Europe à partir de 1991. Certaines années, le groupe qui est devenu Special Consensus à partir de 1985, s’est produit jusqu’à 250 fois. Un chiffre énorme mais une nécessité financière pour un groupe qui a mis du temps à s’imposer sur le devant de la scène. Dans un interview qu’il avait donné au Cri du Coyote en 2003, Greg Cahill confiait qu’il ne remercierait jamais assez les personnes qui l’avaient hébergé lui et son groupe après les concerts, leur permettant de dormir chez eux, même si c’était parfois sur le canapé ou le tapis du salon plutôt que dans leurs voitures. Une vie rude de musicien qui explique le turn over important dans Special Consensus.
En 48 années, Greg Cahill a vu défiler 18 mandolinistes, 18 guitaristes, 2 fiddlers et 12 bassistes. Certains d’entre eux ont ensuite fait une belle carrière. Parmi les plus anciens, membres de Special Consensus dans les années 80, Chris Jones a connu un grand succès avec son propre groupe de bluegrass, Dallas Wayne a mené une carrière country en Finlande puis aux Etats-Unis et Robbie Fulks (qui a récemment enregistré un album bluegrass) s’est fait un nom dans le milieu americana. A partir des années 2000, Special Consensus a permis de découvrir Josh Williams, auteur par la suite de plusieurs albums sous son nom, longtemps guitariste de Rhonda Vincent et élu trois fois guitariste de l’année par IBMA, Rick Faris qui mène sa propre carrière de chanteur bluegrass après avoir été membre de Special Consensus pendant douze ans, et les mandolinistes Nick Dumas et Ashby Frank qui ont chacun enregistré un album solo récemment.
La signature d’un contrat avec le label Pinecastle en 1996 et le passage dans le groupe de Josh Williams (comme chanteur et mandoliniste) de 1999 à 2004 avaient constitué une évolution importante pour Special Consensus en termes de notoriété. Le passage chez Compass, le label d’Alison Brown, a été encore plus déterminant. Certains titres du groupe ont pu être promus par des clips vidéo scénarisés. Le choix judicieux de quelques contributions extérieures a permis de booster plusieurs morceaux. Ainsi Special Consensus a reçu la récompense du meilleur instrumental de l’année 2014 par IBMA pour Thank God I’m a Country Boy qui a bénéficié de la participation d’Alison Brown, Michael Cleveland et Buddy Spicher. Même succès pour Firefall en 2016 avec Alison Brown, Rob Ickes et Trey Hensley, et en 2018 pour Squirrel Hunters avec Alison Brown et le duo de fiddlers 10 String Symphony. C’est devenu une tradition qu’Alison Brown et Greg Cahill jouent à deux banjos sur un instrumental de chaque album de Special Consensus.
Le succès de Special Consensus n’est pas dû qu’aux instrumentaux ni aux collaborateurs extérieurs puisque l’album Rivers & Roads a été élu album de l’année en 2018 et, en 2020, c’est Chicago Barn Dance qui a recueilli le plus de suffrages des membres de IBMA comme chanson de l’année.


Special Consensus vient d’enregistrer son vingt-et-unième album, Great Blue North (cf. le blog de Sam Pierre). Rick Faris, chanteur du groupe depuis 12 ans (un record) ayant décidé de mener sa propre carrière en 2021, Greg Cahill a embauché pour le remplacer Greg Blake qu’on a pu déjà apprécier à La Roche-sur-Foron il y a quelques années aux côtés de Jeff Scroggins. Le bluegrass plus classique de Special Consensus convient tout autant (sinon mieux, au moins sur disque) à la voix de Blake que le newgrass de Jeff Scroggins & Colorado. C’est aussi un bon guitariste. Il forme un duo de chanteurs complémentaires avec le nouveau mandoliniste de la formation, Mike Prewitt, un jeune musicien qui affectionne le bluegrass traditionnel. Le contrebassiste Dan Eubanks est présent dans le groupe depuis dix ans. C’est un musicien accompli qui a joué du rock, de la country et reçu une formation de contrebassiste de jazz. Depuis son arrivée dans Special Consensus, il interprète une chanson par album, ce qu’on peut trouver trop peu au regard de la formidable réussite que constitue Mighty Trucks of Midnight sur le dernier album. Ceux qui n’ont jamais entendu Greg Cahill découvriront un musicien discret, ne chantant que par nécessité (et seulement en harmonie vocale), à l’écoute des autres et maîtrisant tous les styles.
Special Consensus a connu une période newgrass au milieu des années 90 (l’album Roads & Rails) avant de revenir à un bluegrass plus classique. Greg Cahill a joué beaucoup de jazz et de swing avec le mandoliniste Don Stiernberg et il affectionne aussi la musique irlandaise. Sa technique qui allie styles Scruggs, melodic et single string lui permet d’être à l’aise dans n’importe quelle situation. A voir sur scène à Bluegrass In La Roche les 5 et 6 août prochains. © (Dominique Fosse

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