Un panorama en 100 disques essentiels par Arnaud Choutet
La bibliographie française accessible au grand public sur nos musiques se résume à une poignée de jalons déjà forts anciens. Rockabilly Fever (1983) et L’Encyclopédie de la Country et du Rockabilly de Michel Rose (1986), puis le Que Sais-je ?La country music de Gérard Herzhaft en 1984, sans omettre le monumental Guide de la Country Music et du Folk de Gérard Herzhaft et Jacques Brémond (1999) qui représente jusqu’à ce jour la somme plus aboutie en matière de typologie, arborescence et biographies. Si des passionnés comme François Ducray ont approché le genre sous une forme monographique Bob Dylan, le country-rock et autres amériques (2011) ou le beau Country, les Incontournables (1995) coordonné par Serge Loupien, une mise à jour récente manquait. C’est désormais chose faite. Tous ceux qui tentent une approche intellectuelle et érudite du phénomène se heurtent aux tristes spécificités des relais médiatiques et académiques français, à savoir une ignorance crasse encombrée de stéréotypes et clichés dépréciatifs. La tâche de vulgarisation nécessite donc foi, persévérance et aptitudes didactiques à franchir ces obstacles.
Arnaud Choutet ne manque d’aucune de ces vertus. Il avait déjà commis, entre autres ouvrages musicaux, le précieux Country Rockchez le même éditeur (2014), centré sur ses artistes et groupes de prédilection, au croisement des foisonnements créatifs californiens et sudistes des années 1960-70. Avec Country & Americana il élargit le spectre et tente une approche totale. L’exercice a des contraintes qui feront toujours la joie des grincheux : en effet, l’inventaire exhaustif et diachronique des interprètes comme graal restera une illusion, et un non-sens éditorial auquel se sont déjà heurtés ses illustres prédécesseurs. Si les fondamentaux sont là, le prisme assumé et argumenté de la somme exprime aussi une subjectivité. 100 noms. 100 albums.
Il luttait depuis quelques années contre la maladie après avoir accompagné celle de son épouse Véronique (décédée il y a peu), mais récemment encore il m’annonçait qu’il finissait un article malgré ses soucis et ses douleurs.
Il avait rejoint l’équipe du Cri du Coyote avec enthousiasme et compétence. Tout en écrivant pour des magazines commerciaux, il avait complété sa passion pour la musique en nous offrant des interviews et des chroniques de disques des années durant, avec une liberté de ton et des documents partagés avec gourmandise, car il aimait bien l’esprit de notre fanzine (sur papier, puis sur le Web).
Il avait une expérience des deux côtés de la scène. Comme journaliste, toujours prompt à participer à une rencontre ou à un concert et rapporter le plaisir d’une interview, comme lors de sa rencontre “historique” avec Jett, la fille de Hank Williams. Ce contact permanent avec l’actualité et l’histoire musicale était porté par une attitude souriante de “fan” toujours prêt à partager ses émotions.
Comme musicien, étant lui-même bassiste avec ses Lone Rangers et à l’occasion pour divers musiciens en tournée. Il avait fréquenté Bobbie Clarke (ex-batteur de Vince Taylor et Johnny Hallyday), avait même joué avec lui et ce dernier lui avait confié la mise en ordre et la traduction en français de “carnets de route et souvenirs” rassemblés avec la collaboration de Robert Woodman. Il s’intéressait également à une certaine forme de spiritualité, comme en témoigne son ouvrage pour le moins original et documenté Bouddhisme et Rock, un angle d’analyse qui apporte quelques “lumières” peu connues, mais importantes, sur l’engagement de certains musiciens et groupes musicaux.
Quelques contributions récentes à retrouver sur : https://lecriducoyote.com : Chet Atkins, Daryl Mosley, Calvin Russell, John Koerner, Tommy Emmanuel, Elvis Presley, Marc Bozonnet, Otis Taylor, Gordon Lightfoot, Roger Mason, David Crosby, Eric Bibb, Imelda May, Early James, Jeff Beck, Bob Dylan,Kyle Eastwood, Creedence Clearwater Revival, Kelly Joe Phelps, Neal Black, Alan Wilson & Canned Heat, Marty Stuart, Elizabeth Cotten, Warren Haynes, etc, Voir pour les disques : https://sampierre.blogspot.com
Rares sont ceux qui, comme Michel Pampelune, ont tenté, au travers de l’aventure Fargo (label, boutique, promotion), de faire connaître et aimer les musiques américaines au sens le plus large (folk, country, rock, blues, soul…) depuis un quart de siècle, dans notre pays. Le Cri du Coyote a relayé autant que possible les découvertes et signatures Fargo (une liste bien trop longue pour être mentionnée ici), qui n’ont jamais versé dans la facilité ou la caricature des genres. Un nouveau rendez-vous nous est donné par Michel : un festival “americana”, qui se tiendra le samedi 7 septembre 2024 à Vancé, dans la Sarthe. L’occasion idéale pour rencontrer son créateur, passionné et passionnant.
Avant d’évoquer ce nouveau festival « Eldorado », et pour nos lecteurs distraits ou extra-terrestres, peux-tu nous parler un peu de ton parcours personnel, depuis la création du label Fargo en 2000 ? L’aventure du label Fargo aura duré un peu plus de quinze ans : quelque 200 albums sortis, dont ceux de Neal Casal, Jesse Sykes, Ryan Adams, Richard Buckner, Clem Snide, Alela Diane – entre autres et pour citer des artistes qui risquent d’être connus de vos lecteurs. C’était l’époque du magazine No Depression et Fargo a pris part à cette scène alternative-country, qu’on appelle de nos jours “americana”. En 2010, j’ai ouvert, à Paris, Fargo Vinyl Shop, un magasin de disques, activité que je trouvais complémentaire du label, et publié à peu près à la même époque un magazine, Eldorado. En 2015, ces activités ont cessé, j’ai fait une pause personnelle et j’ai quitté Paris. Depuis, j’accompagne des artistes d’une autre manière, comme conseil ou attaché de presse. Ce que j’ai appris en pilotant un label indépendant, je le mets au service d’artistes et de leurs labels, selon leurs besoins. Et j’organise aussi des concerts à l’occasion (Steve Earle, Chuck Prophet, Jesse Malin, Israel Nash, Dylan LeBlanc…). Cette nouvelle activité me permet de travailler avec un plus grand nombre d’artistes que lorsque j’étais producteur au sein de mon label. Et j’aime ça. J’ai notamment la chance de m’occuper du label de Dan Auerbach des Black Keys, Easy Eye Sound (Robert Finley, Shannon & The Clams). Et j’ai aussi le bonheur d’accompagner des artistes qui étaient signés à l’époque chez Fargo, comme Jesse Malin ou les Great Lake Swimmers.
Plus de vingt ans de rencontres artistiques dans le milieu musical, quelles furent tes émotions les plus fortes ? Je n’ai pas une très bonne mémoire alors piocher des émotions dans les vingt dernières années, cela m’est difficile…Il y en a tant eu. Les années Fargo, label puis disquaire, furent à la fois géniales, excitantes, parfois stressantes, mais ce sont les émotions d’aujourd’hui, voire de demain qui m’intéressent le plus… Evidemment, perdre Neal Casal en 2019, si on veut parler d’émotion, fut terrible. L’artiste pour lequel j’avais créé le label Fargo, une grande partie de la bande-son de ma vie. J’ai mis du temps à m’en remettre et il me manque. Je songe d’ailleurs à lui rendre hommage ou l’associer d’une façon ou un autre à cette nouvelle aventure de festival. Ce sont les rencontres humaines, au-delà des succès ou insuccès de mes aventures professionnelles, que je retiens. Par exemple, j’ai éprouvé une grande joie à retrouver récemment la chanteuse Jesse Sykes et le guitariste Phil Wanscher et passer du temps avec eux à Paris. Ils ont fait partie de l’aventure Fargo, dès les débuts du label, en 2002 je crois, et je me félicite de cette belle amitié qui dure. L’aventure de la boutique Fargo m’a aussi apporté aussi beaucoup de belles rencontres, des amitiés durables, qu’il s’agisse de mes collaborateurs, comme Thibault Guilhem (qui cartonne dans son job d’attaché de presse) ou des clients qui sont vite devenus des amis et que je fréquente encore aujourd’hui.
Ton métier suppose d’être toujours à l’écoute, curieux et passionné, comment fonctionnes-tu ? Tes sources et sources d’inspiration ? Dans mon nouveau métier, ce sont le plus souvent les artistes ou leur entourage qui viennent à moi. Je démarche peu moi-même et n’ai plus besoin d’être aux aguets comme j’ai pu l’être quand j’avais un label et qu’il fallait que je signe des nouveaux artistes et tente, régulièrement, de dénicher la nouvelle “perle”. Je reste curieux et passionné, enthousiaste, en revanche. Cela ne m’a pas quitté. Mais je ne cherche plus à être au courant de tout. C’est impossible de tout suivre, surtout à l’heure des disques enregistrés à la maison. Aujourd’hui, je n’ai pas de fonctionnement particulier et fais un peu comme tout le monde, je crois, pour découvrir de nouveaux artistes ; un peu de réseaux sociaux, Spotify, j’échange avec des amis. Il est vrai qu’étant professionnel en prise quotidienne avec un réseau constitué de managers, producteurs de concert, d’artistes et de labels, j’ai accès à une source d’information très en amont.
Neal Casal
Le 7 septembre tu organises un festival sur le thème Americana, nommé « Eldorado », à Vancé, dans la Sarthe. Ce n’est pas le premier concert estampillé Fargo (plusieurs à la Flêche d’Or à Paris, etc), mais comment est née cette idée ? Non, en effet, il y a déjà eu plusieurs petits “festivals” estampillés Fargo dans le passé. C’était à Paris, dans divers endroits. Fargo All Stars en 2008, trois soirées consécutives à la Flêche d’Or, ça reste un souvenir fort. Fargo Rock City en 2013, avec Steve Earle, Sallie Ford etc, c’était chouette aussi. Ces événements avaient toujours lieu dans des salles de concert. Cette fois, on est à la campagne et on va partir un peu d’une page blanche. Le lieu -une ancienne scierie- n’a jamais été le théatre d’un tel événement. C’est excitant. Cette fois, la couleur musicale est affichée de façon plus claire, même si le terme americana est assez large et permet pas mal de liberté. Il n’y a pas de festival de ce genre en France, pas tel que je l’imagine, tel que je le rêve. Travaillant avec de nombreux artistes majeurs du genre et faisant la promotion de ces musiques en France depuis des décennies, cela faisant sens, qu’après ces galops d’essai parisiens, je tente l’aventure et fasse le pont entre les musiques que j’aime et l’endroit où j’habite depuis huit ans. Le projet s’est réellement concrétisé quand j’ai rencontré l’enthousiasme du maire de Vancé, Hubert Paris. Seul, cette idée de “festival” serait restée juste une idée. Le maire et ses conseillers municipaux savent bien que le salut de nos campagnes ne peut aujourd’hui passer que par la culture, l’artisanat et le tourisme. C’est d’ailleurs un symbole fort de faire un événement culturel dans une ancienne “usine”. On est une équipe de six personnes au travail sur le projet (sans compter les bénévoles qui nous rejoindront prochainement) et les généreuses âmes qui filent des coups de main. On utilise le mot Festival, faute de mieux, qui désigne les concerts multi-artistes, en plein air etc. Mais ce terme véhicule aussi une image de gigantisme, alors qu’on est dans quelque chose de quasiment familial, un boutique-festival ! Il y aura en outre un marché “americana” : disquaire vinyle, fringues vintage; libraire, tatoueur, produits locaux/ terroir, food trucks, bières artisanales locales (la Valennoise), vins locaux (Jasnières et Coteaux du Loir). Et enfin une capacité maximum de 1500 personnes, afin que le public, les artistes et l’équipe puissent vivre une belle expérience. Small is beautiful !
Jesse Sykes
Promouvoir des musiciens aux racines américaines en France en 2024, est-ce différent de ce que tu as connu au début du label, il y a 25 ans ? En termes d’image, au-delà des clichés, etc. Oui, les choses ont changé et se sont nettement améliorées. La différence principale est qu’aujourd’hui, les gens ont accès à tout, la musique, l’information via internet et les plateformes digitales et n’ont pas nécessairement besoin d’un magazine ou d’un disquaire à proximité. Tout est disponible à portée de clics. Le public, en général, est plus connaisseur et informé sur ces musiques, je trouve, que lorsque j’ai débuté mon label au début des années 2000. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas besoin de filtre ou de prescripteur car, parallélement l’offre musicale s’est démultipliée et il sort tant de disques qu’il est difficile, seul, de s’y retrouver. L’exposition des musiques americana dans les medias en France reste compliquée ; comme toute musique un peu spécialisée, ou qui ne soit pas la variété française ou le rap. La presse musicale reste fragile -on a la chance d’avoir avec Rolling Stone et Soul Bag des titres qui parlent bien de “nos” musiques- et la TV et la radio, c’est très difficile, mais on a aussi des oasis possibles comme les Nocturnes de Georges Lang ou le Very Good Trip de Michka Assayas sur France Inter.
Quels sont les défis actuels pour un tel événement ? Organiser un festival est une tâche assez rude, et comment exister au-delà de l’offre existante spécialisée (festivals bluegrass, blues, rock, etc.) ? Le premier défi, c’est évidemment le financement… le second, faire venir un public en pleine campagne, avec une affiche qui ne comporte pas de stars, propose des musiques qui peuvent sembler spécialisées… à un prix de 30€. Promouvoir des concerts à Paris, je sais faire mais là, c’est différent. Mon défi de programmateur a été de constituer une affiche homogène qui puisse balayer de façon large le spectre des musiques américaines, et puisse satisfaire les connaisseurs exigeants comme les néophytes. On n’a pas besoin de connaître la musique pour l’apprécier. Le but est le partage et la découverte. Je n’ai pas fait d’étude de marché et ne connaît pas toute l’offre spécialisée dont tu parles. Je pense que cette esthétique musicale et ce cocktail de musiques que je compte proposer, cela n’existe pas ici. C’est la partie où je suis mon instinct et mes goûts. Il va falloir venir à Vancé le 7 septembre pour s’en rendre compte !
Peux-tu nous présenter les artistes présents à ce festival ?
Dylan LeBlanc, est l’un des artistes que je préfère actuellement, un songwriter qui a grandi entre Louisiane et Alabama ; j’ai la chance de travailler avec lui depuis quelques années ; et suis fan depuis son premier disque – il a fait ses premiers concerts en Europe en première partie d’Alela Diane, le monde est petit… Son dernier album Coyote est sublime, le niveau de songwriting est incroyable ; j’aime son timbre de voix, unique ; et sur scène, il est poignant en solo, et en groupe, ça envoie façon Neil Young et Crazy Horse… Rock, country, soul, le mélange parfait pour Eldorado…
Les Lowland Brothers, c’est une chouette rencontre et la preuve qu’il est possible de faire, en France, une musique d’inspiration américaine sans sonner comme un ersatz des groupes américains ou anglais. Ces cinq faux-frères ont digéré leurs influences musicales pour faire une musique qui n’appartient qu’à eux. Les chansons sont mélodiques, très accrocheuses. On ne peut pas dire qu’ils sont les … français et c’est la marque d’un bon groupe, à mon avis. Ils ont refusé de choisir entre rock, blues, soul et country et c’est tant mieux. Leur groove est communicatif, et ils vont faire danser le public du festival.
Emily Nenni : c’est une artiste de la nouvelle scène country indépendante qui propose une musique honky- tonk un peu rétro, 70’s – les amateurs de Waylon Jennings devraient apprécier. Elle a aussi un petit côté Linda Ronstadt. Elle est accompagnée par un super-groupe de Nashville, Teddy & The Rough Riders. Elle est pétillante, solaire : je l’ai vue en mars dernier à Austin et je me suis dit qu’elle serait parfaite pour Eldorado. Emily Nenni tourne souvent avec Charley Crockett et Orville Peck, deux artistes que j’aime beaucoup.
Jackson & Levi Scribner : c’est la découverte, la pépite, le secret le mieux gardé américain dans le genre. J’ai découvert ce jeune Texan il y a trois ans avec un premier album bluffant qui m’a fait penser aux débuts de Ryan Adams. Dans ses chansons folk-rock, Jackson Scribner raconte la vie dans les petites villes paumées, les gens simples et les paysages désolés de son Texas natal. Avec son frère Levi, également chanteur et guitariste, ils font des étincelles avec leurs sublimes harmonies. C’est une exclusivité Eldorado, ils viennent tout spécialement pour nous. Si, en 2024, j’avais un label, je signerais Jackson.
Figurations du grand âge dans la Country Music. Un parcours rapide des photos des artistes actuels labellisés Country tend à laisser croire, comme dans le champ de la pop ou du rap, que la sur-commercialisation, ici aussi, favorise la mise en avant d’artistes jetables, avec un culte du jeunisme à la clé, parfois plus attaché à la plastique qu’à la voix ou au talent des dits. Nous verrons que tel n’en a pas toujours été le cas et que longtemps, avant de les exclure, les vieux et les vieilles ont été chéris et chantés par la Country Music.
Musique du peuple, pour et par le peuple, la famille y tient une place centrale, réaliste et pas nécessairement idéalisée. Dans ce contexte, où les générations vivent souvent ensemble dans le même foyer, le vieux est un membre à part entière de la communauté. Considéré avec tendresse et sollicitude. Il est le gardien des valeurs familiales. En 1935, Gene Autry réussit à vendre plus d’un million de disques avec ce titre :
Le thème n’est pas confiné aux origines du genre : en 1985, le duo mère-fille The Judds offrait cette illustration du lien intergénérationnel :
En 1985, nous sommes en Country Music en pleine vague néo-traditionnaliste, une vague contemporaine d’un retour réactionnaire à un passé idéalisé, celui qui voit l’élection de Ronald Reagan. Le grand-père est détenteur des clés de ce monde perdu, celui d’avant le grand reset des années 60, de la contre-culture et de la libéralisation des mœurs. Au vu de ce tableau édificateur et édifiant, on aurait vite fait de confirmer le cliché : c’est entendu, la Country Music est le vecteur, un tantinet réactionnaire, d’une structure familiale coulée dans le béton, la famille nucléaire chère à Emmanuel Todd, unie dans sa perfection sous le regard de dieu. Rien de plus faux !
Une fois encore la réalité est beaucoup plus complexe. Signée par Dwight Latham et Moe Jaffe, interprétée par Lonzo and Oscar en 1947, Je suis mon propre grand-père prend un malin plaisir à détruire par l’absurde le modèle. L’humour est aussi porteur d’un regard ironique sous-jacent sur les généalogies chaotiques souvent incestueuses prêtées aux hillbillies.
La vieillesse est, pour toutes les vies, l’heure des bilans, et le modèle américain est loin de ne contenir que nostalgie et postures mièvres sur le chemin parcouru. Dès 1880 le musicien noir James A. Bland signe un air qui trainait dans la tradition orale et dresse un autoportrait plutôt tragique qui n’a pas spécialement de portée exemplaire. Le titre va être repris par une foultitude d’artistes Old Time et Hillbilly. Citons Gid Tanner et Kelly Harrell en 1926, Ernest V. Stoneman, Cléoma Breaux en 1937, Jerry Lee Lewis en 1957, Norman Blake en 1976, Robert Earl Keen en 2001, etc.
Aimer ses vieux n’empêche pas la satire, où, sur un ton grivois une moquerie sait pointer, et les métamorphoses inattendues que le grand âge sait provoquer. Hank Penny et ses Radio Cowboys reprennent en Western Swing une chanson de 1926 popularisée par le big band de Jack Hylton. Une version plus électrique de 1947 par Fairley Holden dans un style hillbilly-bop confirme l’intérêt du motif. On notera que la femme s’en tire mieux que l’homme, ce dernier étant réduit au stéréotype du hillbilly barbu en cottes, déjà d’un autre siècle.
Dans cette petite pépite de “shout blues” de Roy Brown reprise par Moon Mullican, au contraire de la chanson précédente, l’aïeul se révèle un séducteur sans scrupule, inversant les conventions, défiant la logique et le bon sens autant que la morale :
Le Nashville sound le plus commercial des années 1960-70, en accord avec les évolutions des mentalités et des préoccupations de l’époque, laisse parfois passer d’étranges confidences, non pas sur la vieillesse advenue, mais sur les signaux qui frappent l’homme fait dans ce qu’il a de plus intime et de plus vital, annonçant sans ambages la voie de la décrépitude. On constatera avec cette mention explicite de la “panne” que le Nashville sound commercial de grande diffusion, dès 1967, avait entamé un sérieux travail de “déconstruction” de la masculinité. Nat Stuckey, crooner velouté sous estimé et un peu oublié, enregistre le premier cette chanson en 1967, co-signée par un jeune Gary Stewart encore inconnu. Elle est reprise par Del Reeves qui, déjà à plusieurs reprises, dans son répertoire de la fin des années 60, avait prouvé son goût pour la gaudriole et les sujets épineux.
Le constat des limites et du délabrement n’est pas une nouveauté. Les Carlisles dans les années 50 produisaient un hillbilly-bop sec et excité que nous avons déjà cité dans de précédents articles pour leur appétence à s’affranchir des limites du bon goût et des convenances. L’amusante chanson qui suit, basée sur un dialogue comparatif, touche à l’universel. Elle dédramatise par l’humour le bilan peu réjouissant. Une fois de plus, ce n’est pas tant dans les limites physiques que la perte est la plus amère, c’est dans le pouvoir de séduction que ça se joue.
Les symptômes de l’âge, aujourd’hui compensés avec plus ou moins d’efficacité par la médecine, n’offrent que peu d’espoir d’esquive dans les années 50, surtout dans un pays au système de santé non socialisé que nous avons traité dans un précédent article sur la santé. On remarque, à la fin des années 40 jusqu’à l’apogée du rock and roll fin 1950, une pléthore de chansons mettant en scène des vieux sauvés par la musique. Remède universel, couplée à la danse, elle efface douleurs et handicaps avec un effet régénérateur qui n’est pas sans évoquer les mixtures magiques vendues dans les medecine shows.
Pour conclure, après avoir vu le traitement de la vieillesse de monsieur et madame tout le monde, il importe de souligner que la Country Music propose en interne un discours réflexif sur le traitement infligé aux artistes âgés. Dès les années 1920 et les débuts de sa commercialisation, elle inclut comme membres à part entière du vedettariat des femmes et des hommes vénérables. Porteurs réels ou prétendus de la tradition Old Time, les images de vieux fiddlers, mémoires vivantes du patrimoine, sont légion. Bill Monroe le chante en rendant hommage à son oncle Pendelton Vandiver.
Certains même vont construire leur succès en devenant vieux avant l’âge On se doit de mentionner Grandpa Jones, (Louis Marshall Jones 1913-1998) chanteur et banjoïste clawhammer qui, dans sa première partie de carrière, fit partie des Brown Ferry Four et se fit connaitre par un répertoire ancré dans la modernité pas spécialement nostalgique : 8 More Miles to Louisville, Night Train to Memphis annonçant clairement le Rockabilly. A 22 ans, affligé par un physique que nous qualifierons de quelconque, il construit son image de grand-père rural avec des petites lunettes, une chemise à carreaux, des bretelles, des bottes et tout un jeu de scène faisant de ses performances un spectacle complet. Une image qu’il cultiva jusqu’à la fin de sa vie.
Jusque dans les années 1990 la fidélisation du public permet un “tuilage générationnel”, où les carrières s’étalent sur des décennies. Le même artiste continue avec des évolutions stylistiques (ou pas !) de produire pour la mamie de 70 ans ce qui a su l’émouvoir quand elle en avait 18. Cette avancée dans l’âge commun fait que les plateaux de programmes TV offrent un panachage de sous-genres et d’esthétiques difficiles à imaginer aujourd’hui. Le culte des anciens est revendiqué, assumé, comme dans une recréation de famille élargie où l’auditeur tisse avec celui qui l’a accompagné toute sa vie des liens émotionnels puissants. Les artistes eux-mêmes affichent avec gratitude leurs filiations électives pour des mentors. De véritables dynasties se mettent en place. Parfois biologiques, parfois électives.
Ce trait culturel assumé rencontre ses premières difficultés quand les fonds de pension et l’hyper-capitalisme met aux têtes des maisons de disques des producteurs issus du monde des affaires qui ont perdu le lien organique avec la tradition inclusive transgénérationnelle. Les radios se lancent, de même que les chaines TV de clips, dans un “turnover” frénétique avec surabondance de jeunes programmés pour un tube avant de disparaitre. Les figures tutélaires qui tissaient le panthéon familier disparaissent des playlists, voient même leurs contrats non renouvelés. Le grand Johnny Cash lui-même est abandonné par CBS ! Le public réagit mal. Si des parts de marché sont gagnées auprès d’un public urbain plus jeune et international, la révolte s’exprime sans fard. Les vieux ne se laisseront pas déposséder sans combattre !
A l’heure où nous rédigeons ces lignes (octobre 2023), l’or gris est pris en compte par le business et l’on a assisté à un rééquilibrage. Les divers mouvements revivalistes et les processus de validation culturelle ont légitimé le maintien, voire le développement du culte des ancêtres. Loin d’être un handicap sclérosant, le phénomène est désormais revendiqué. Il n’en reste pas moins que la nostalgie est toujours présente et que le consensus ne sera jamais universellement établi. Il est amusant de constater que la chanson choisie pour conclure cet article, en dépit de son amour proclamé pour la tradition et le dénigrement des jeunes, est le fait de deux hommes qui dans les années 70 incarnaient la fusion du Nashville sound avec le pop-folk et le disco californien bien loin des artistes de légende mentionnés.
Les 5 et 6 novembre ont enfin donné l’occasion de voir sur scène une programmation sur deux jours reportée deux fois depuis la crise sanitaire. La halle des expositions, près du centre-ville d’Evreux est un grand bâtiment industriel des années 30, probablement un ancien garage, dont la façade présente avec ses briques rouges et ses arcatures comme une familiarité avec le Ryman Auditorium.
Hélas, la structure métallique interne favorise une réverbération naturelle qui n’est pas idéale pour la sonorisation. Un parquet de taille imposant supportait entre 150 et 200 danseurs, le DJ Jean-Chri assurant le choix d’une playlist qui ne me disait pas grand-chose et dont les tonalités excessives sur les basses remplissaient leur fonction d’entrainement des foules. Il convient de noter que plusieurs centaines de personnes s’étaient pressées pour l’évènement, des clubs parcourant parfois des centaines de km pour assouvir leur passion.
Deux groupes se partagent la scène ce samedi 5 novembre. Dom Daleegaw, impressionnant phénomène vocal dont le timbre l’a fait surnommer “le Dwight Yoakam français” a eu l’honneur d’ouvrir en deux set. Le premier assez diversifié comprend des compositions, des reprises (y compris de Prince !) countryfiées dans une coloration Bakersfield autour d’une formation réduite (Basse-Batterie-Telecaster). J’ai apprécié en particulier I Sang Dixie et même si le public de line dancers qui constituait la majorité des effectifs recherche avant tout du tempo moyen ou rapide, c’est sur les ballades que l’artiste se révèle le plus impressionnant et original. L’ensemble est plus que convainquant : pas de gras, mise en place au cordeau, niveau instrumental professionnel. Je rêve qu’une pedal steel et un fiddle puissent enrichir l’ornementation. Ce dernier étant d’ailleurs en cours d’intégration.
A 21h 30, le set de Ray Benson, sur plus d’une heure trente, conjugua des classiques obligatoires (Route 66, San Antonio Rose, Cherokee Maiden, Faded Love, Boogie back to Texas) avec des surprises qui en laissèrent plus d’un pantois, le rédacteur de ces lignes inclus. Une version du Tiger Rag de Louis Amstrong/ Light crust Doughboys assez démente de punch et de swing. La métamorphose de Big River de Johnny Cash avec une intro a capella en close harmonies ! Un bel hommage à Guy Clark et même à Bill Haley dans une superbe reprise de See You Later Alligator. La voix de Ray n’a absolument pas vieilli, les graves profondes, la puissance, la coolitude et le plaisir dégagé partagé avec l’ensemble de la formation. Si la tentative de nous refaire l’adaptation des Copains d’abord de George Brassens fut un peu chaotique, plus naturelle fut la reprise de Coucou chantée dans les années 30 par Josette Daydé avec l’accompagnement de Django Reinhardt. Sans surprise elle confirme la parenté invisible mais évidente qui lie le swing à cordes français avec le Western Swing. Je précise que je n’utilise pas à dessein le terme “Swing manouche” car j’inclus Ray Ventura, Gus Viseur et Jacques Hélian dans ma liste. Le haut niveau se marque par les nuances et les arrangements des chorus et des riffs. Le batteur est subtil, le romain Flavio Pasquetto tient sur sa console steel Fender une orthodoxie issue de tout le patrimoine du genre (Ahhh, le beau Sleepwalk !), les jeunes pianiste et violoniste (Jenny Mac et Kathie Shore) partagent le chant et sont d’un niveau de virtuosité réjouissant. Les connaisseurs ont pu apprécier le final en clin d’œil où s’enchainèrent Happy Trail To You destiné à ceux qui allaient conduire de nuit, et le jingle de Bob Wills “We’re the Texas playboys from the Lonse star state”.
En hommage à Rex Foster, qui vient de nous quitter, voici l’interview accordée au Cri du Coyote et publiée en 2003. Réédition dédiée à Olivier Fritz & Coastline et Hervé Oudet.
Il est inhabituel d’inclure en album “collector” un disque en cours de sortie mondiale. Mais l’histoire de ce Live 70 de Creedence Clearwater Revival est très inhabituelle. Gardé dans les archives du label Fantasy pendant plus de 50 ans, il réapparait aujourd’hui après de longues mésaventures juridiques entre John Fogerty, Fantasy et le reste du groupe, Tom Fogerty, Doug Clifford & Stu Cook.
Des univers entiers et même des métavers quantiques sont passés, le groupe a implosé après la tournée européenne mais John Fogerty a continué en solo avec succès. Plus qu’une relique, ce disque permet de réaliser la puissance et l’inspiration de Creedence au sommet de son art : en 1969 avec cinq singles n°2 (ils n’ont jamais eu de n°1 parce que Fantasy ne pratiquait pas le payola) et un trio d’albums dans le Top 10 (Bayou Country, Green River et Willy and The Poor Boys). La « remasterisation » par Giles Martin et Sam Okell (The. Beatles-Get Back) de ce live ultime est accompagnée d’un DVD du réalisateur Bob Smeaton (Beatles Anthology, Jimi Hendrix Band Of Gypsys) intitulé Travelin’ Band, qui retransmet le show de l’Albert Hall dans son intégralité et l’acteur Jeff Bridges narre, sur de nombreuses images inédites, le parcours du groupe depuis sa formation jusqu’à cette tournée européenne.
CREEDENCE CLEARWATER LIVE AT THE ROYAL ALBERT HALL 14 & 15 avril 1970 (Craft Recordings) : John Fogerty (gtr, vcls), Tom Fogerty (gtr), Doug Clifford (dms), Stu Cook (bss) : Born On The Bayou, Green River, Tombstone Shadow, Travelin’ Band, Fortunate Son, Commotion, Midnight Special, Bad Moon Rising, Proud Mary, Night Time Is The Right Time, Good Golly Miss Molly, Keep on Chooglin’. Toutes les compositions sont signées John Fogerty, sauf Night Time Is The Right Time du bluesman Nappy Brown -bien que John Fogerty se soit probablement inspiré de la version de John Lee Hooker- et Good Golly Miss Molly de Little Richard Penniman. Le set commence avec le swamp-rock archetypal de Born On The Bayou et tous les guitaristes reconnaitront dans le backline, avec un petit coup au coeur, les amplis Kustom de John Fogerty recouverts du fameux padding Tuck and Roll de l’époque. Vient ensuite un véritable trésor rarement rejoué sur scène : Tombstone Shadow évoque Wyatt Earp et Doc Holliday marchant dans la rue principale de Tombstone (Arizona) à la recherche du gang Clanton pour le gunfight d’OK Corral. Il est juste de rappeler que John Fogerty a toujours été un démocrate anti-Nixon, Reagan, Bush et autres mais ses chansons étaient les favorites des G.I.s au Vietnam, en raison de cette paranoïa intense que l’on retrouve dans Fortunate Son (comment éviter l’armée par la fortune familiale), Bad Moon Rising, ou l’explicite Run Through The Jungle, qui est ici absent. Commotion est un autre trésor rarement rejoué. Proud Mary est une œuvre majeure, reprise par Ike & Tina Turner, puis par Elvis Presley lui-même. Le show se clôt avec Keep On Chooglin’, célébration du rythme adopté par Creedence : basse et grosse caisse sur les temps 1 et 3, guitare rythmique sur le 2 et le 4. Originalement, personne n’aurait attendu un tel swamp rhythm de la part d’un groupe californien d’El Cerrito. Mais John Fogerty nous l’expliquera plus loin…
Un disque live était sorti en 1980, prétendument enregistré au Royal Albert Hall, mais en fait la captation provenait du Coliseum d’Oakland en 1970. J’ai d’ailleurs du mal à croire que c’était une erreur de notation. Il semble plus probable que le groupe préférait le feeling d’Oakland, simplement parce qu’ils étaient chez eux, ce qui n’enlève rien à l’excellence du nouveau disque. De plus c’était au moment où John Fogerty refusait de jouer les morceaux qu’il avait écrits pour Creedence car les droits allaient directement dans la poche de Saul Zantz de Fantasy Records. Donc de 1980 à 1997, John Fogerty ne toucha plus au répertoire de CCR. Pour cette raison, il est exceptionnel d’avoir retrouvé ce Live 1970 au Royal Albert Hall, comme un instantané perdu depuis longtemps qui permet d’apprécier à nouveau la cohésion très spéciale du groupe, jamais vraiment retrouvée en dépit des jams avec les superstars, Bruce Springsteen, Billy Gibbons ou Dave Gröhl.
SOUTHERN “ROOTS” L’énigme principale réside dans l’inspiration sudiste de John Fogerty. Il y a un anachronisme là-dessous, semblable à celui de Robbie Robertson du Band, un canadien dont le jeu se réfère au Kentucky, Tennessee, Mississippi, Arkansas ou Texas. John Fogerty a été influencé très jeune par le film Song Of The South de Walt Disney, absorbant le langage des riverboats, des histoires de l’Oncle Remus avec Brer Rabbit (Bibi Lapin) et la chanson Zip-A-Dee-Doo-Dah. Il cite également Swamp Water, un film de Jean Renoir en 1941 avec des alligators, des serpents et une tête de mort suspendue à un crucifix fait de branches d’arbres des marais. Il a également passé des vacances dans une cabane près de Green River, en Californie, dont le propriétaire était un petit-fils de Buffalo Bill Cody. Son frère aîné Tom Fogerty ne fut pas exposé à ces influences et leurs visions musicales étaient différentes. Voila comment le fils d’un jeune couple du Montana, venu s’installer à El Cerrito, près de Berkeley, découvrit par la suite Bo Diddley, Little Richard, Elvis Presley et le guitariste de Ricky Nelson, James Burton, auteur du riff de Suzie Q de Dale Hawkins.
En 1959, John Fogerty et deux élèves de son école, Stu Cook et Doug Clifford commencent à jouer ensemble sous le nom des Blue Velvets. Le frère aîné Tom les utilise parfois comme accompagnateurs. En 1963 Tom Fogerty rejoint les Blue Velvets en permanence. Ils jouent dans les petites villes de la campagne californienne ou dans les bases militaires et changent souvent de nom : The Visions, puis The Golliwogs. Un hit instrumental de l’époque Cast Your Fate To The Wind par le pianiste de jazz Vince Guaraldi était sorti sur le label Fantasy de San Francisco. Ils décidèrent donc de les contacter et sortirent plusieurs singles sur Scorpio, une sous-marque de Fantasy.
CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL Les Golliwogs étaient dans le style British Invasion et le groupe détestait le nom et le répertoire. En répétition, John Fogerty leur avait enseigné le chooglin’ (le chuggin’ d’un train qui passe), avec le swamp beat immédiatement reconnaissable, perfectionné au millimètre près. A la fin de 1967, Saul Zaentz, nouveau propriétaire de Fantasy les écoute et les signe à nouveau. Ils choisissent le nom de Creedence Clearwater Revival , Creedence pour le nom de l’un de leurs amis, Clearwater pour la pub télévisée d’une bière et Revival pour leur retour aux valeurs du rock’n’roll des fifties. Rock, swamp beat, country, folk remplacent les solos d’acid-rock de 45 mn. Le premier album de Creedence contenait leur version de Suzie Q un n°11, ce qui est exceptionnel en vue du fait que Fantasy ne pratiquait pas le payola auprès des DJs. C’est aussi pour cette raison que tous leurs méga-hits furent des n°2, Proud Mary (qui se souvient encore du n°1, Dizzy par Tommy Roe ?) Bad Moon Rising, Green River (le n°1 étant Sugar Sugar par les Archies sur RCA et sa super-équipe promo). Malgré son succès, le groupe resta toujours une petite entreprise, voyageant avec deux roadies et un manager. Comme une famille qui aurait découvert sa propre formule originale de Coca Cola ou McDonald. Pas d’alcool, pas de drogues, une seule chose comptait : la musique et pas n’importe laquelle. La plupart des hits étaient joués sur la légendaire Les Paul Custom 68 de John Fogerty. Après 7 disques d’or et le départ de Tom Fogerty, John réalisa que Saul Zaentz possédait les droits sur toutes les chansons de Creedence. Tom, Cook & Clifford se rangèrent du côté de Zaentz et Fantasy. Après 1972, John Fogerty refusa de jouer les hits de Creedence et le groupe se sépara définitivement. Stu Cook et Doug Clifford continuèrent avec le Don Harrison Band, produisirent l’album The Evil One de Rory Erickson, Groover’s Paradise de Sir Doug Sahm Quintet avant de fonder Creedence Clearwater Revisited en 1995 avec des invités de marque. Tom Fogerty est décédé en 1990 dans son ranch de Scottsdale, en Arizona.
JOHN FOGERTY SOLO En 1973, John Fogerty commença sa carrière en solo avec un diamant longtemps mal compris en Europe, The Blue Ridge Rangers. La couverture le montre avec d’autres musiciens en silhouette au sommet d’une colline que l’on suppose se trouver dans les Caroline, sous un ciel d’un bleu céruléen. C’est un virage bluegrass et country fabuleux avec Donald Duck Dunn à la basse et Eddie Bayers à la batterie. John joue tous les instruments, acoustique, électrique, mandoline et dobro sur des standards tels que Jambalaya de Hank Williams, Hearts Of Stone des Charms, ou le Blue Yodel n°4 de Jimmie Rodgers . Il suivit ensuite avec John Fogerty en 1975 et le hit Rockin’All Over The World.
Interview par Romain Decoret Après une vingtaine de disques live et en studio, c’est la première fois que Gov’t Mule joue le blues traditionnel pour un album entier. Le groupe a toujours su agrandir les paramètres de différents styles rock, R&B, funk, jazz pour créer des oeuvres personnelles. Dans le cas du blues c’est particulièrement réussi. Warren Haynes, ex-compagnon de David Alan Coe, guitariste, chanteur et leader de Gov’t Mule, l’explique pour Le Cri du Coyote.Hi Warren. Ce nouvel album réunit deux facettes de Gov’t Mule, des compositions originales et des reprises de blues jouées dans le style très personnel du groupe. C’est la première fois que vous consacrez un album entier au blues. Comment est-ce arrivé ? Ce n’est pas un disque de blues-rock, c’est du blues traditionnel. C’était sur ma liste depuis longtemps mais je ne savais pas si ce devait être un album solo ou un disque de Gov’t Mule. Je ne savais pas si Matt Abts (batterie), Jorgen Carlsson (basse) et Danny Louis (claviers) auraient l’envie d’enregistrer un disque de blues traditionnel parce que nous n’avions jamais essayé, bien que sur scène nous jouons parfois du trad-blues. C’était le cas avec Feel Like Breaking Somebody’s Home écrit par Ann Pebbles, devenu un classique par Albert King, mais que j’avais entendu la première fois par Johnny Adams, le bluesman de New Orleans. Puis notre manager Stefani nous a dit qu’elle pensait que c’était le moment de faire un album de blues. Il se trouve que les chansons que j’avais écrites récemment pendant le confinement étaient des blues et ce n’est pas habituel chez moi. Nous en avons parlé entre nous et décidé d’utiliser le temps libre de la pandémie pour enregistrer le plus de titres possibles. Après tout notre nom de groupe vient du dicton “20 acres and a mule”. C’est ce que le gouvernement promettait aux fermiers blancs ou noirs au moment du New Deal de Roosevelt, dans les années 30…
Où avez vous enregistré ? Nous avons trouvé cet endroit où j’avais travaillé dans les 90’s, Power Station Studio New England à Waterburgh. C’est une réplique du Power Station Studio de New York. C’est à une centaine de kilomètres de chez moi, ce qui nous a permis d’apporter un maximum de matériel auquel nous n’aurions pas eu accès autrement. Un camion entier d’amplis et de guitares vintage. Nous avions décidé d’enregistrer live en analogique dans la “blues room” avec un plafond bas et un espace plus réduit. Nous l’avons décorée comme un club de blues, avec notre matériel arrangé comme sur une scène, avec des retours plutôt que des écouteurs. C’est vraiment du live en studio, exactement le son que nous voulions capturer. Beaucoup des titres sont de premières prises et s’il fallait refaire on recommençait immédiatement, pas d’overdubs. On avançait au feeling en ajoutant au répertoire au fur et à mesure…
Quel est votre concept de l’enregistrement avec Gov’t Mule ? Notre approche en studio est différente de la plupart des autres groupes. Généralement, ils entrent en studio pour enregistrer exactement le disque qu’ils ont en tête. Puis quand ils ont fini, ils se préoccupent de jouer ces titres sur scène. Nous faisons le contraire. En studio nous essayons de jouer comme nous le faisons déjà sur scène. L’idée est de capter cette magie qui ne se produit que sur scène. Ce que nous enregistrons sonne comme quand nous le jouerons sur scène. Puis deux ou trois années plus tard la chanson prend une autre vie…
Comment avez-vous choisi les titres ? J’avais préparé une quarantaine de morceaux sur mon iPod et je les ai envoyés à Matt, Jorgen & Danny. Quelques titres connus sont sur l’album comme Blues Before Sunrise d’Elmore James sur lequel je joue en slide sur une Danelectro ou I Asked For Water (She Gave Me Gasoline) de Howlin’ Wolf que nous jouons up-tempo et funky, très différent de l’original. Aussi I Feel Like Breaking Up Somebody’s Home, enregistré en premier parce que nous le jouions depuis longtemps.
Là encore, votre version est différente de l’original et rappelle l’influence de Free, qui a toujours été l’une des bases du son de Gov’t Mule… Peu de groupes ont été autant influencés que nous par Paul Rodgers, Koss, Andy Fraser et Simon Kirke. Peut-être Lynyrd Skynyrd; avec Ronnie Van Zandt. Pour ce disque, j’avais pensé essayer The Hunter d’Albert King, repris par Free mais finalement c’était trop connu. De la même manière, je suis un super-fan de B.B. King et j’avais pensé l’inclure mais son oeuvre est tellement monumentale qu’un seul titre n’aurait pas suffi. On s’est concentrés sur des titres plus obscurs, comme Bobby Bland dans Ain’t No Love In The Heart Of The City ou Last Clean Shirt des Animals. Une grande influence pendant ces sessions a été Junior Wells avec Snatch It Back and Hold It. Au milieu de ce morceau on a commencé une free-jam sur la partie instrumentale du solo, avant de revenir au thème. Plus tard en post-production on a découpé cette jam et on l’a renommée Hold It Back. Junior Wells a également été une inspiration pour notre reprise de Good Morning Little Schoolgirl de Sonny Boy Williamson, mais la version de Wells est beaucoup plus funky.
J’aimerais avoir accès à cet iPod d’originaux que vous aviez préparé en pré-production ! Comment et pourquoi avez-vous choisi John Paterno pour co-produire l’album ? Notre bassiste Jorgen Carlsson l’a recommandé pour travailler avec un son live et il avait raison. Je connaissais John Paterno pour avoir travaillé avec lui sur un album de Los Lobos et il avait aussi produit Michael Landau et le Steve Gadd Band. Plus que tout, John avait ce feeling d’enregistrer en analogique, avec du matériel vintage, en utilisant le meilleur des deux mondes, analogique pour l’enregistrement et digital pour la post-production..
Vous avez parlé d’un camion entier d’amplis et guitares vintage. Quels amplis ? Des combos tellement vintage que je ne les emporte jamais sur la route. Un petit Supro avec un son incroyable, parfait pour le studio. Deux amplis Gibson des 50’s, un Skylark 1×8 et un Vanguard 1×15. Leur son est complémentaire, je les relie avec une pédale switch pour passer du H.P. de 15 pouces du Vanguard au 8 pouces du Skylark. Deux Fender, un Twin Reverb et un Fender Pro.
Des effets ? Direct dans l’ampli. Pas d’effets. J’avais seulement cette vieille Fender Spring Reverb que je voulais pour certains sons de guitare. Cette Spring Reverb est très imprévisible, si je suis près d’elle et tape du pied trop fort, elle réagit avec une vibration explosive qui passe dans l’ampli. Alors je l’avais fixée et stabilisée sur le plancher du studio pour qu’il n’y ait pas de chocs imprévus. Mais je n’avais pas prévu qu’il pourrait y avoir des interférences radio capables de changer les fréquences au hasard. On était en plein enregistrement de Make It Rain quand, au milieu de ce qui se révéla être la meilleure prise, la Spring Reverb commença à émettre des sons comme “Ka-Boom” à certains moments. Quand on a fini je me suis dit qu’une vraiment bonne prise avait été gâchée. John Paterno nous a dit de venir écouter. Les explosions de Spring Reverb s’étaient produites à des moment-clés, comme la première fois où je chantais “make it rain”. Un accident heureux qui donnait vraiment l’impression d’être planifié! On l’a gardé tel quel…
Quelles guitares avez-vous branchées ? Comme toujours avec moi, j’avais quatre Les Paul que je connais bien, chacune avec un son particulier. Deux Les Paul 59, une Les Paul 53 faite avec un bois ancien que je n’ai jamais retrouvé ailleurs et une Les Paul 62 avec des tonalités hautes. Pour les Gibson à caisse, une ES-345 de 1963, une ES-335 de 1961 et une ES-355 de 1967. Pour jouer en slide j’avais deux Danelectro. Une Danelectro Pro 1 et une autre assemblée avec des pièces venant de plusieurs différents modèles de Danelectro. Les deux sont montées avec des micros Lipstick d’origine.
Quels calibres de cordes ? 0.10/ 0.46 sauf si je m’accorde un demi-ton ou un ton plus bas, il me faut alors du 0.12/0.52. Je joue avec un médiator médium, ni trop souple ni trop dur et j’utilise aussi les autres doigts de ma main droite. Je suis un natif d’Asheville en Caroline du Nord et c’est de là que venaient Chet Atkins et Hank Garland. Asheville est situé sur le versant Ouest des monts Appalaches, donc avec un accès direct à Nashville, Tennessee qui n’est pas très loin. Le fingerpicking est une discipline requise là d’où je viens, même si tu joues autre chose…
Qui sont les premiers bluesmen que vous avez entendu à Asheville ? Mes deux frères aînés aimaient le blues et m’ont fait écouter leurs disques alors que j’étais très jeune, 5 ou 6 ans. J’étais et suis toujours un superfan de B.B. King, sa guitare et ses vocaux, sans oublier sa versatilité et son sens de l’adaptation. Par exemple le vibrato de la guitare de B.B. King, son style de jeu en hammering, vient du fait qu’il essayait d’imiter une guitare jouée en slide. C’est très fort de sa part, une nouvelle technique basée sur l’imagination. J’aimais aussi Howling Wolf, Muddy Waters, Otis Rush, Junior Wells. Tous les bluesmen que nous avons repris sur Heavy Load Blues étaient mes premières influences majeures. Son House et Robert Johnson, que nous avons repris sur des albums précédents étaient aussi importants. Mais nous donnons notre version personnelle de leurs titres. Il y a une différence entre la simple interprétation et l’originalité. Cet album est une mission pour nous, chaque titre a des règles non-écrites. Parfois l’original est proche de ce que nous jouons. D’autres fois on emmène la chanson dans un domaine très différent de la tradition, avec une approche plus caractéristique de Gov’t Mule.
Revenons à vos débuts à Asheville. Quand avez-vous commencé à jouer ? Très tôt. Mon premier groupe était Ricochet, on jouait plutôt du R&B, Otis Redding, Wilson Pickett. Ensuite David Alan Coe m’a engagé dans son groupe, j’avais 14 ans et il m’a emmené en tournée pendant quelques années. C’est avec lui que j’ai appris à pratiquer tous les langages musicaux, blues, country, rock, afin d’éviter ces moments répétitifs que connaissent tous les guitaristes au milieu d’un solo. Apprendre à éviter d’avoir à retomber sur un cliché, c’est important. J’ai sorti il y a quelques années un album solo electroacoustique dédié la country-music et à cette époque avec David Alan Coe.
Vous avez aussi joué avec les Nighthawks, Dickey Betts, les Allman Brothers et le Grateful Dead. Comment cela a-t’il influencé votre son ? J’ai appris à utiliser différents types de musique. Je suis un adepte de la sémantique musicale. Tout comme le langage conditionne l’esprit, le langage musical conditionne l’excellence d’un guitariste. Derek Trucks, qui jouait avec moi dans les Allman Brothers et le Grateful Dead m’en a souvent parlé. Travailler des musiques différentes est important, tu ne peux pas te restreindre à un seul langage. Disons que tu ne peux pas jouer uniquement Elmore James, il y a déjà eu un Elmore James et lui-même écoutait d’autres choses. Si tu consacres un peu de temps à la musique mexicaine conjunto ou à la musique hawaïenne, il y aura toujours un moment où cela t’aidera à mieux jouer le blues ou la country-music, quelle que soit ta spécialité…