par Eric Allart
Les 5 et 6 novembre ont enfin donné l’occasion de voir sur scène une programmation sur deux jours reportée deux fois depuis la crise sanitaire. La halle des expositions, près du centre-ville d’Evreux est un grand bâtiment industriel des années 30, probablement un ancien garage, dont la façade présente avec ses briques rouges et ses arcatures comme une familiarité avec le Ryman Auditorium.

Hélas, la structure métallique interne favorise une réverbération naturelle qui n’est pas idéale pour la sonorisation. Un parquet de taille imposant supportait entre 150 et 200 danseurs, le DJ Jean-Chri assurant le choix d’une playlist qui ne me disait pas grand-chose et dont les tonalités excessives sur les basses remplissaient leur fonction d’entrainement des foules. Il convient de noter que plusieurs centaines de personnes s’étaient pressées pour l’évènement, des clubs parcourant parfois des centaines de km pour assouvir leur passion.

Deux groupes se partagent la scène ce samedi 5 novembre.
Dom Daleegaw, impressionnant phénomène vocal dont le timbre l’a fait surnommer “le Dwight Yoakam français” a eu l’honneur d’ouvrir en deux set. Le premier assez diversifié comprend des compositions, des reprises (y compris de Prince !) countryfiées dans une coloration Bakersfield autour d’une formation réduite (Basse-Batterie-Telecaster). J’ai apprécié en particulier I Sang Dixie et même si le public de line dancers qui constituait la majorité des effectifs recherche avant tout du tempo moyen ou rapide, c’est sur les ballades que l’artiste se révèle le plus impressionnant et original. L’ensemble est plus que convainquant : pas de gras, mise en place au cordeau, niveau instrumental professionnel. Je rêve qu’une pedal steel et un fiddle puissent enrichir l’ornementation. Ce dernier étant d’ailleurs en cours d’intégration.
A 21h 30, le set de Ray Benson, sur plus d’une heure trente, conjugua des classiques obligatoires (Route 66, San Antonio Rose, Cherokee Maiden, Faded Love, Boogie back to Texas) avec des surprises qui en laissèrent plus d’un pantois, le rédacteur de ces lignes inclus.
Une version du Tiger Rag de Louis Amstrong/ Light crust Doughboys assez démente de punch et de swing. La métamorphose de Big River de Johnny Cash avec une intro a capella en close harmonies ! Un bel hommage à Guy Clark et même à Bill Haley dans une superbe reprise de See You Later Alligator. La voix de Ray n’a absolument pas vieilli, les graves profondes, la puissance, la coolitude et le plaisir dégagé partagé avec l’ensemble de la formation.
Si la tentative de nous refaire l’adaptation des Copains d’abord de George Brassens fut un peu chaotique, plus naturelle fut la reprise de Coucou chantée dans les années 30 par Josette Daydé avec l’accompagnement de Django Reinhardt. Sans surprise elle confirme la parenté invisible mais évidente qui lie le swing à cordes français avec le Western Swing. Je précise que je n’utilise pas à dessein le terme “Swing manouche” car j’inclus Ray Ventura, Gus Viseur et Jacques Hélian dans ma liste.
Le haut niveau se marque par les nuances et les arrangements des chorus et des riffs. Le batteur est subtil, le romain Flavio Pasquetto tient sur sa console steel Fender une orthodoxie issue de tout le patrimoine du genre (Ahhh, le beau Sleepwalk !), les jeunes pianiste et violoniste (Jenny Mac et Kathie Shore) partagent le chant et sont d’un niveau de virtuosité réjouissant. Les connaisseurs ont pu apprécier le final en clin d’œil où s’enchainèrent Happy Trail To You destiné à ceux qui allaient conduire de nuit, et le jingle de Bob Wills “We’re the Texas playboys from the Lonse star state”.

Une carrière de 52 ans, 28 albums et plus de 100 musiciens dans les rangs, Ray Benson peut être fier du travail accompli, et de son statut de légende. Il aura été avec Commander Cody un des chainons de transmission du Western Swing à la fin des années 60, alors que ce dernier avait quasiment disparu. Il rencontra Eldon Shamblin qui lui donna des plans de guitare. Avec des pointures précoces comme Floyd Domino et Lucky Oceans (Reuben Gosfield), il modernisa le genre et le porta aux oreilles d’une génération de hippies.
Cependant son public n’est pas celui du Jazz, qui continue de snober le genre. Les blocages stupides existent aussi dans les milieux de la Country : lors d’une date récente au Danemark les organisateurs lui déconseillèrent clairement d’interpréter les titres swing de son répertoire !
De même, il se sent peu d’affinités avec les gros noms de ce qui se vend à Nashville en Country mainstream aujourd’hui. Basé à Austin, mais en tournée mondiale quasi permanente, il confie que la vie quotidienne est compliquée quand on souhaite avoir des liens familiaux.
Mais il se félicite de pouvoir travailler avec de jeunes artistes, Charley Crockett et Brennen Leigh (second album en préparation) et s’apprête à partir pour la Jamaïque pour collaborer avec des musiciens de Reggae.
Ce festival de fin de saison a donné l’occasion dans un novembre venteux et humide de prolonger les joies estivales. Que les organisateurs et les bénévoles en soient remerciés.© (Eric Allart)
