Kelly Joe PHELPS – Shine Eyed Mr Zen

Album collector (Rykodisc) par Romain Decoret

Le guitariste et musicien inspiré qu’était Kelly Joe Phelps avait une longue expérience du jazz et du western-swing bien avant d’être touché par l’esprit du country-blues et d’enregistrer ses deux premiers disques, Lead Me On (en mai 1994) et Roll Away The Stone (en 1997). Mais c’est avec Shine Eyed Mister Zen en 1999 qu’il accéda à la renommée et surtout à la reconnaissance par des musiciens très divers, tels que le « country outlaw » Steve Earle, le jazzman Bill Frisell et le « bluegrass man » Tim O’Brien.

Chacun d’eux avait reconnu dans son jeu une virtuosité, une vista musicale à 360 degrés d’influence et un feeling exceptionnel, simultanément “high & lonesome” mais aussi réconfortant pour l’âme de l’auditeur. On pouvait suivre en lui une évolution musicale quantique. Les reprises sur les deux premiers disques de Hard Time Killing Floor Blues et Cypress Grove de Skip James, Motherless Children, Love Me Baby Blues par Joe Callicott, ou See That My Grave Is Kept Clean de Blind Lemon Jefferson avaient fait place pour des compositions personnelles, même si influencées par Roscoe Holcomb, Robert Pete Williams, Dock Boggs ou Mississippi Fred McDowell.

Shine Eyed Mister Zen présentait des titres originaux magistraux comme River Rat Jimmy, Hobo’s Son, Piece By Piece, Wandering Away qui sont à la base de l’œuvre de Kelly Joe Phelps. C’est aussi la première fois qu’il joue uniquement sur une guitare acoustique six-cordes, délaissant la stomp-box (façon Tony Joe White), les 6 et 12 cordes lap-slide. Son jeu devenait ainsi accessible et compréhensible pour tous les guitaristes acoustiques. Il fallut un peu de temps, mais sa renommée grandit mondialement avec ses tournées. Il vint jouer en France pour un premier concert parisien à la Java, puis dans les festivals de l’Hexagone. A partir de Shine Eyed Mister Zen, chacun de ses disques était attendu et scruté.

Mais c’est là que Kelly Joe était exceptionnel, il n’était jamais là où on l’attendait et ne pouvait pas supporter d’enregistrer deux fois la même chose; On le croyait un grand spécialiste des reprises country-blues ? Il devenait songwriter inspiré. Grand utilisateur du lap-style ? Il revenait à la six-cordes. On le croit toujours en solo ? Il enregistre Slingshot Professionals avec Bill Frisell, Steve Dawson au Weissenborn et une section rythmique contrebasse/batterie. Cette nécessité de toujours aller de l’avant venait de ses débuts de musicien.

Kelly Joe Phelps naquit à Sumner, près de Tacoma, dans l’état de Washington, au Nord Ouest des USA, le 5 octobre 1959. Sa famille est musicale, son père joue du fiddle, du piano, de la guitare et de la pedal-steel dans des groupes de western-swing alors que sa mère pratique le banjo et la guitare. Ils lui enseignent les bases de la guitare en jouant tous les soirs ensemble en famille à la maison. Son père, au delà du western-swing et de la country-music aime aussi le boogie-woogie des pianistes Pete Johnson ou Meade “Lux” Lewis. Dès son adolescence, Kelly Joe s’intéresse au jazz, un prolongement naturel du western-swing de son père. Il étudie à la guitare les disques de John Coltrane ou Miles Davis, mais aussi des groupes rock de sa génération, comme Led Zeppelin.

Vers 1980, il s’installe à Portland, en Oregon où la scène musicale est intense. Il joue dans les clubs de jazz où il survit en devenant bassiste avec de petits groupes locaux. Mais c’est aussi à cette période qu’il redécouvre le blues de Fred McDowell, Skip James ou Dock Boggs. Il travaille chez lui à la recherche d’un style qui mixe le country-blues à l’improvisation d’un musicien de jazz, en ajoutant le slide hérité de son père. Au début des 90’s Kelly Joe Phelps se lance en solo acoustique avec des compositions et des reprises de country-blues. Il a cette rare faculté de “lire” soigneusement une audience et de jouer ses shows sans liste pré-établie, en sachant au fur et à mesure ce que l’on attend de lui. Cela s’appelle l’Instinct et c’est la marque des grands. Dès son premier album, il donne plus de 200 shows par an et a un carnet dans lequel il note les idées qui lui viennent en tête. Il est ensuite engagé par Rykodisc dont le responsable n’est autre que le génial producteur Chris Blackwell (Stevie Winwood, Island Records etc.). Après Shine Eyed Mister Zen, il enregistra également entre autres les légendaires Sky Like a Broken Clock (2001), Tunesmith Retrofit (2006, consacré à l’art de composer), Western Bell (2009), Brother Sinner & The Whale (2012, Gospels et Spirituals).


C’est en 2013 que Kelly Joe Phelps fut diagnostiqué comme atteint par un désordre neuropathique, une rare maladie ulnaire qui l’obligea à cesser de tourner et d’enregistrer. Cet artiste extraordinaire avait 62 ans lorsqu’il est décédé chez lui, à Council Bluffs, dans l’Iowa le 31 mars 2022. © (Romain Decoret)

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