par Eric Allart
Adepte d’une production minimaliste “low fi” sur son premier album auto-produit à la maison, Skinny Dyck, outre sa maitrise parfaite de tous les plans de pedal steel que l’on est en droit de trouver sur les plages Starday de George Jones, a réussi à toucher, dans de pures compositions, l’essence du meilleur des années 60. Ça colle aux pieds et à l’âme comme la bière renversée sur le sol d’un bar de troisième zone où l’on vient épancher son mal-être. C’est obsessionnel et faussement simple, comme ces riffs nashvilliens de l’âge d’or, entendus un million de fois, et qui ne vous lâchent jamais. Le tout est ponctué par une structure rythmique implacable, épaisse et tellurique, de celles qui prennent le dessus sur le rythme cardiaque et le souffle. La lead guitar use et abuse du twang avec volupté, une ligne claire dégraissée à l’os.
Enfin, la voix m’évoque les titres de Leroy Pullins les plus intéressants : ceux de la déglingue, de la fragilité, du doute. Les chansons de Skinny Dyck véhiculent un paysage mental de proximité, celui de la Country Music dans ce qu’elle a de plus noble, de plus sincère et de plus existentiel. Deux albums seulement, mais déjà un corpus qui mérite attention et suivi : Get to Know Lonesome (2020) et Palace Waiting (2022)

(Entretien réalisé fin février 2023)
– Salut Eric, merci de m’avoir contacté. Heureux de partager, surtout avec quelqu’un en France – je ne reçois pas beaucoup de sollicitations de ce coin là du monde ! (Dyck vit en Alberta, dans l’Ouest du Canada).
Comment et pourquoi un jeune canadien a-t-il décidé d’enregistrer dans cette esthétique en 2020 ?
Je « respire » la musique country par la bouche et les narines depuis longtemps. L’approche de la production country du début des années 60 m’attire vraiment, quand ça frappe juste. Le disque Get to Know Lonesome a été enregistré dans mon salon avec mon ami Evan Uschenko, de la manière la plus simple possible.
Peux-tu nous parler des artistes vivants ou morts qui t’ont influencé ?
Des grands classiques de la country comme Loretta Lynn ou George Jones. Des aventuriers de la pedal steel comme Buddy Emmons, Curly Chalker. Des artistes contemporains comme la Handsome Family, Lambchop. Des amis comme Aladean Kheroufi, Ghost Woman…

C’est toi qui joue de la pedal-steel sur tes albums ?
Oui, c’est moi. J’ai utilisé un Sho-Bud LDG sur Get to Know Lonesome et un Sho-Bud Permanent sur Palace Waiting.
Tu as enregistré ton deuxième album avec Billy Horton. Quelles ont été les motivations de ce choix ?
Les sons et les choix de production qui sortent du studio de Billy ont attiré mon attention. Une crudité pure avec des embellissements simples et efficaces et une bonne musicalité. Billy connaît très bien l’école traditionnelle de musique country, ce qui en fait un excellent choix.

Comment te situes-tu par rapport à cette jeune génération d’artistes qui redonnent à la musique country des années 60 ses lettres de noblesse ? Je pense à Charley Crockett, Daniel Romano, et The country side of Harmonica Sam et Theo Lawrence en Europe ?
J’admire tous ces gars et j’apprécie ce qu’ils font. Pour moi, c’est la musique que j’aime et dans les années qui m’ont conduit à devenir artiste (je faisais surtout de la pedal steel pour d’autres, les années précédentes), cela coulait profondément dans mes veines. Cela dit, je me retrouve maintenant à chercher ailleurs des sons, de l’inspiration et du plaisir musical ces jours-ci, et cela se reflète dans le nouveau matériel sur lequel je travaille. Mais je pense que, pour moi, la musique country est comme la ferme dans laquelle j’ai grandi – ce sera toujours ma maison, même si je finis par vivre ailleurs de temps en temps.

Alors que ce qui se vend comme Country Music aujourd’hui ressemble à une fausse caricature de publicités pour un hédonisme insensé, tes paroles sont empreintes d’existentialisme et de fragilité, sans parler de l’ironie. Par quelle magie arrives-tu à faire coexister cette iconographie populaire et naïve avec une exigence de qualité littéraire ?
Je suis honoré que tu dises ça ! Je pense que ma sensibilité à l’écriture de chansons est enracinée dans le banal du quotidien – comme les conversations au bureau ou un hochement de tête sur le trottoir. Je ne perçois pas vraiment ce qu’il y a au-delà de ça. J’aime la capacité, à travers le texte d’une chanson, à rendre un petit moment poétique. Peut-être que c’est un petit homonyme ou quelque chose comme ça, ou des mots qui sonnent juste cool… ça n’a pas beaucoup d’importance. Je pense que ce genre de choses est drôle. En ce qui concerne le sujet, j’aime la juxtaposition d’un problème sérieux et d’un moment fugace qui se produisent ensemble à la fois. Comme réfléchir à la fin d’une relation sérieuse et, au même moment, s’arrêter pour commander une nouvelle paire de chaussures sur Internet. Cela me rappelle des émissions de télévision américaines comme Patriot et White Lotus -comédie/ drame noir- pas comme au bon vieux temps où c’était l’un ou l’autre. C’est un peu ce qu’est la vie, et j’y fais peut-être allusion dans certaines chansons. D’autres fois, il s’agit simplement d’une collection de phrases qui fonctionnent avec un joli groove de « shake-your-perm » (secoue ta permanente). Ça ne peut pas être New York tous les soirs… © (Eric Allart)
https://skinnydyck.bandcamp.com/album/palace-waiting
Great! Les joueurs de pedal-steel qui arrivent à sortir un -ou plusieurs- disques solo sont trop rares, surtout actuellement. Les autres sont généralement relégués au rang de sidemen et c’est tout. La mauvaise influence du biz de Nashville. Skinny Dick y échappe en opérant à partir de l’Alberta au Canada. Il y a toute une saga qui reste à écrire sur les artistes country canadiens, de Hank Snow à Ronnie Hawkins & The Hawks. Good job, Eric…