par Romain Decoret
L’un des plus grands songwriters du folk et de la country music est décédé récemment (17 novembre 1938 – 1er mai 2023). Il est juste de revenir sur la carrière monumentale d’un authentique géant qui a vu ses chansons reprises par Johnny Cash, Bob Dylan, Elvis Presley, Marty Robbins, Georges Hamilton IV, Leroy Van Dykes, Judy Collins et bien d’autres…
Gordon Meredith Lightfoot Jr avait déjà une longue expérience lorsqu’il entra dans la vision du public avec son premier album :
LIGHTFOOT ! (1966, United Artists)
Face 1 : Rich Man’s Spiritual, Long River, The Way I Feel, (That’s What You Get) For Loving Me, The First Time I ever Saw your Face (d’Ewan MacColll), Changes (de Phil Ochs), Early Morning Rain. Face 2 : Steel Rail Blues, Sixteen Miles (To Seven Lakes), I’m Not Sayin’, Pride Of Man (d’Hamilton Camp), Ribbon Of Darkness, Oh, Linda, Peaceful Waters.
Personnel : John Court-Producteur, Gordon Lightfoot – Guitar, Piano, Vocaux, David Rea et Bruce Langhorne – secondes guitares , Bill Lee (père de Spike Lee) – contrebasse.

SONGWRITER
Bien que ce premier disque ait été enregistré en décembre 1964 et qu’il sortit seulement en janvier 1966, Gordon Lightfoot était déjà un songwriter connu. Le duo canadien Ian & Sylvia Tyson avaient obtenu des hits avec ses chansons et l’avaient recommandé au manager Albert Grossman. Des artistes folk comme Peter, Paul & Mary avaient connu le succès en reprenant Early Morning Rain et For Loving Me’. Lightfoot réussit même à entrer dans le cercle nashvillien lorsque Marty Robbins reprit, tel quel, son Ribbon Of Darkness n°1 en 1965, ce qui lui ouvrit les portes des légendaires studios Bradley’s Barn où il enregistra par la suite avec Owen et Harold Bradley. D’autres artistes reprenaient ses chansons, Leroy Van Dyke (I’m Not Sayin’), The Kingston Trio, Judy Collins, Richie Havens et Harry Belafonte. En 1966, Albert Grossman le fit signer sur le label United Artists où Gordon Lightfoot sortit quatre autres albums : The Way I Feel (1967), Did She Mention My Name (1968), Back Here on Earth (1968) et le Live Sunday Concert (1969). Le nombre d’artistes qu’il influença est immense, du jeune Neil Young à Joni Mitchell, Bob Dylan, Tom Rush, Johnny Cash, jusqu’à Elvis Presley qui reprit Early Morning Rain. Mais avec les disques chez United Artists, il fut également reconnu comme chanteur et guitariste, plutôt que simple compositeur.
DEBUTS
Il avait une solide expérience dès le début. Gordon Meredith Lightfoot Jr était né le 17 novembre 1938 à Orillia, Ontario. Sa mère, Jessica Lightfoot savait qu’il était sensible à la musique et le fit entrer dans la chorale de l’United Church de St Paul sous la direction de Ray Williams qui lui apprit à chanter avec émotion et confiance en sa voix. Sa mère l’encouragea encore à se préparer à une carrière professionnelle : il apprit le piano, la guitare et les percussions quand il était adolescent.
A 19 ans, il partit pour la Californie en 1957 où il étudia la composition et l’orchestration au Hollywood’s Westlake College Of Music. Ses Influences profondes étaient Stephen Foster (auteur du 19ème siècle, entre autres de O Suzannah) et Woody Guthrie. En même temps, il enregistrait en studio pour les maquettes d’autres chanteurs et s’occupait aussi de jingles publicitaires pour les radios. Mais le manque total de moralité du showbiz de Los Angeles était difficile à surmonter et il rentra au Canada en 1958.

Gordon Lightfoot joignit alors les Swinging Eight qui jouaient dans l’émission de TV Country Hoedown sur la chaîne CBC. Il joua en solo dans les Coffee Houses de Toronto en 1961. Il enregistra un disque en duo avec Terry Whelan sous le nom des Two Tones. Le disque sortit en 1962 sous le titre Two Tones At The Village Corner. En 1963, grande année folk, il part pour l’Europe, et présente durant un an le Country & Western TV Show sur la BBC. En 1964 il revient au Canada et obtient un grand succès au Mariposa Folk Festival. Il enregistre à New York, fin 1964 son album Lightfoot ! qui inclut Early Morning Rain, For Lovin’ Me, Ribbon Of Darkness et Steel Rail Blues, un premier salut aux trains canadiens. Car il a appris à rendre hommage aux hommes qui font tourner les USA et le Canada : les marins et les employés de chemin de fer, aussi humbles qu’ils soient. Il resta toujours attaché à cette vision sociale. C’est une différence impossible à réaliser aujourd’hui. Dans quels metavers pourrait-on imaginer un groupe célébrant les employés d’Elon Musk ou Google ? Autres temps, autres moeurs… Sur la force de cet album, Lightfoot devint l’un des premiers chanteurs canadiens à devenir célèbre au Canada, sans avoir à s’installer aux USA, comme l’avait fait Hank Snow en 1950.

GUITARES
Gordon Lightfoot partit pour sa première tournée en 1967 avec des shows au Massey Hall de Toronto et à New York. Entre 1967 et 1971 il tourna au Canada, aux USA, en Europe, et deux fois en Australie. C’est pendant cette période qu’il mit au point son jeu de guitare sur 6-cordes et 12-cordes pour accompagner sa voix de baryton. Son style de jeu était partagé entre le strumming et le flat picking, pour lesquels il utilisait un mediator sur ses 12-cordes. Le finger picking avec les doigts nus était réservé à sa guitare originale, une Martin D-28 surnommée Old Blue. Dès sa première grande tournée de 1967, il utilisa sur scène deux 12-cordes Gibson B-45 12 Sunburst. L’une était en accordage standard pour le strumming, l’autre était accordée en Dropped D (corde de Mi en Ré) qu’il jouait avec un capo à la 3ème case. Il ajouta par la suite une Martin D-18 Vintage des années 30 et une D-18 Signature customisée. En électrique on le voit parfois avec une Stratocaster 12-cordes, trois micros Fender et une large tête spéciale, avec 6 mécaniques de chaque côté et son nom inscrit au milieu à la place du logo Fender. Mais le plus souvent c’était avec sa 6-cordes Martin D-28 et ses deux 12 cordes Gibson B-45 12 Sunburst qu’il était le plus à l’aise.
Gordon Lightfoot travaillait directement avec les luthiers et ingénieurs Gibson. Dès 1967, il conçut un système d’amplification de ses guitares acoustiques qu’il sonorisait jusqu’alors en reprenant le son avec des micros Shure. Il fit monter sur ses instruments des micros Fishman Acoustic Matrix II qu’il mixait dans un boitier de direct avec le son d’un micro Shure externe. Le tout entrait dans la console de façade puis dans un ampli Fender Twin Reverb qu’il utilisait comme retour sur scène.
On peut ajouter des détails qui semblent sans importance aujourd’hui mais qui influencèrent des guitaristes comme Tony Rice ou Glen Campbell : mediator Yamaha, capo Shubb Deluxe, cordes Ernie Ball Earthwood Bronze, la substitution d’une corde de Sol grave Phosphore Bronze sur ses 12 cordes “parce que ça sonne mieux”.
Son groupe eut d’abord le guitariste Red Shea, puis Terry Clements qui jouait sur deux Martin D-18 de 1964 et deux Gretsch -une Tennessean de 1964 et une Country Gentleman de 1976- sur un Roland JC 120 pour l’électrique et Deluxe Reverb pour l’acoustique. Le groupe incluait Terry Clements, Rick Haynes à la basse, Pee Wee Charles à la pedal-steel et le clavier Mark Heffernan.

CHANGES
En 1970 Gordon Lightfoot se sépara d’Albert Grossman et signa sur le label Reprise. If You Could Read My Mind, inspiré par son divorce d’avec sa première épouse suédoise Brita Olaisson, fut un hit majeur, vendu à un million d’exemplaires début 1971. Mais en 1972, Lightfoot fut atteint du syndrome de la paralysie de Bell, une condition qui rend impossible le contrôle des muscles faciaux. Il dut temporairement arrêter de tourner. Il revint en studio dès qu’il le put avec les disques Summer Side Of Life, Old Dan’s Records, Sundown, explorant beaucoup de sujets différents : Don Quichotte, la chasse insensée aux baleines, Protocol (sur la futilité de la guerre) ou Alberta Bound, une ode à une teenager qu’il rencontra sur un bus allant à Calgary. Le syndrome de Bell s’éloignait mais il lui fallait cependant trouver une inspiration épique et poètique.
Vers la fin 1975 il entendit parler du naufrage de l’Edmund Fitzgerald, un cargo géant qui transportait du minerai de fer sur le Lac Supérieur et avait coulé avec 29 marins pendant une tempête. Lightfoot écrivit alors la chanson The Wreck Of The Edmund Fitzgerald. Ce fut un immense succès, n°2 aux Usa et n°1 au Canada. Lightfoot apparut aux services mémoriaux et resta personnellement en contact avec les familles des 29 disparus. Il fut toujours attentionné, défendant la mémoire et le respect des marins. C’était à double sens, à tel point que le jour suivant son décès, le 2 mai 2023, la Mariner’s Church de Detroit fit sonner sa cloche 29 fois pour chaque marin, ajoutant une 30ème fois pour Gordon Lightfoot.

Il enregistra ensuite d’autres disques, vingt en tout jusqu’à l’ultime Solo* de 2020. Il joua plus de 50 shows par an jusqu’à la fin. Il se remaria deux fois et vivait à Toronto dans le quartier résidentiel de Bridle’s Path avec le rappeur Drake et Mick Jagger comme voisins. Une statue de 4 mètres de hauteur le célèbre dans sa ville natale d’Orillia. Plusieurs livres ont été écrits sur lui par Nicholas Jennings, Richard Harison, et Dave Bidini. Un film documentaire If You Could Read My Mind a été tourné en 2019 par les cinéastes Martha Kehoe et Joan Tosan. En avril 2023 , sa santé déclinante l’obligea à annuler le reste de sa tournée annuelle. Il décéda de causes naturelles au Centre scientifique hospitalier de Sunnybrook à Toronto le 1er mai 2023. Le chanteur-guitariste, poète et philosophe avait 84 ans. © (Romain Decoret)
- Précision : le dernier enregistrement de Gordon Lightfoot a été Harmony paru en 2004 et enregistré essentiellement en 2003. Solo consiste en 10 maquettes enregistrées en 2001 et 2002 que Gordon avait l’intention de réenregistrer. Il les laissa finalement en l’état. (Sam Pierre)