Tim O’Brien. Portrait

Par Dominique Fosse

La venue de Tim O’Brien à La Roche Bluegrass Festival est un événement à la mesure de celles de Blue Highway, Lonesome River Band ou Molly Tuttle il y a quelques années. A 69 ans, il a derrière lui, en groupe ou en solo, une formidable œuvre, forte de près de quarante albums dans lesquels on ne sait ce qu’il faut admirer le plus : le chanteur, l’auteur-compositeur ou le musicien multi-instrumentiste. Les douze années qu’il a passées comme chanteur, mandoliniste et fiddler de Hot Rize, groupe majeur des années 80, ont définitivement associé son image au bluegrass alors que c‘est une musique qu‘il n‘a que peu abordée dans la bonne quinzaine d‘albums qu‘il a enregistrés par la suite sous son nom. Lui-même s‘en amuse en se définissant comme “une pièce de musée du bluegrass“ (d‘autant qu‘il a été Président de l‘International Bluegrass Music Association -IBMA- de 2001 à 2003).
L’article qui suit reprend intégralement le texte paru dans Le Cri du Coyote n° 122, avec de très mineures modifications essentiellement liées à la lecture de Traveler, la biographie récemment consacrée à Tim par Bobbie et Bill Malone. Il a été actualisé pour y inclure la période 2012-2023. C’est tout autant une biographie, une appréciation de l’œuvre de Tim O’Brien que le travail d’un fan : quand je me suis marié en 1996, lors de la soirée, après une partie concert bluegrass et country, quand il a fallu faire la place aux danseurs, renonçant à la traditionnelle valse, Isabelle et moi avons ouvert le bal avec Long Distance, un rock acoustique tiré de Rock In My Shoe, le dernier album de Tim paru à l’époque.

JEUNESSE
Timothy O‘Brien est né en 1954 à Wheeling, en Virginie de l‘Ouest. Son père, Frank, est avocat. Tim est le plus jeune enfant de la famille. Les O‘Brien encouragent leurs cinq enfants à participer à des activités sportives et culturelles. Tim est peu doué pour le sport dans un pays où le sport est un important vecteur d‘intégration sociale, surtout pour les garçons.
Mais la musique aide l‘adolescent roux et myope à prendre confiance en lui. Ses parents ont des abonnements qui lui permettent d‘assister, parfois à contrecœur, à des concerts d‘Itzhak Perlman, Ray Charles, Duke Ellington et de l‘orchestre symphonique de Wheeling.
En 1964, en contrepartie de quelques tâches ménagères, Mme O‘Brien emmène ses plus jeunes enfants assister au concert des Beatles à Pittsburgh. Comme la plupart des 12 500 personnes présentes dans le stade, Tim les verra sans bien les entendre, les cris du public couvrant la sono… Dans cette région des Etats Unis, Tim est également exposé à la country via la radio, notamment The Saturday Night Jamboree. Il découvre que l‘émission est enregistrée dans un théâtre proche de son domicile et il s‘y rend fréquemment : il voit ainsi sur scène Jerry Lee Lewis, Buck Owens, Roger Miller et Merle Haggard.

Sur le plan personnel, Tim s‘est aperçu en chantant à l‘église qu‘il avait des facilités pour trouver des harmonies vocales. En 1966, à 12 ans, il commence à jouer de la guitare. Il est gaucher mais joue sur un instrument de droitier. Il refuse de prendre des cours mais parvient assez rapidement à jouer des titres de Chet Atkins note pour note. Il chante avec sa sœur Mollie des chansons des Beatles et de Peter, Paul & Mary.
Dès 1967, ils s‘inscrivent au concours du festival folk d‘Oglebay sous le nom de Hardship & Perseverance et remportent le premier prix. Ils récidivent avec le même succès les années suivantes sous le nom de The Katzenjammer Kids puis The Campbell Soup Kids.
Par son frère Trip (son surnom car il se prénomme en fait Frank comme son père et son grand-père), Tim découvre Joan Baez, Odetta, Miles Davis et Sam Cooke. Trip part au Vietnam et échange avec sa famille des cassettes mêlant messages et morceaux de musique. Tim enregistre en retour les progrès qu‘il fait à la guitare (il est devenu fan de Doc Watson qu’il a découvert à la télévision) et son frère lui suggère d‘écouter Segovia et Manitas de Plata.
Trip meurt au combat en 1968. Chacun de ses frères et sœurs hérite d‘une somme d‘argent. Tim utilise sa part pour s‘acheter une guitare Martin D-28. Il prend alors quelques cours mais apprend surtout en regardant les autres et en écoutant des disques.
La famille de Tim est catholique. On chante moins dans les églises catholiques que dans certaines églises protestantes mais Tim est un adolescent des sixties et, suite à Vatican II, le prêtre de son église convie les jeunes guitaristes de la paroisse à accompagner certaines célébrations. Tim se révèle le musicien le plus doué du groupe et l’équipe d’animation liturgique lui demande de mettre en musique les refrains inspirés des Ecritures qu’ils lui soumettent. C’est ainsi que Tim écrit les musiques de ses premières chansons.
Au lycée, Tim chante dans la chorale et joue avec diverses formations musicales dont un groupe de rock, mais depuis sa découverte de Doc Watson, il est surtout attiré par la country et le bluegrass, d‘autant qu‘il a fait la connaissance de Roger Bland, un ami de la famille de sa petite amie de l‘époque. Bland a été banjoïste dans le groupe de Lester Flatt et il apprend à Tim le style de Scruggs au banjo mais aussi le phrasé typique des guitaristes bluegrass (Tim jouait jusqu’alors en fingerpicking avec des onglets). Quand il a 16 ans, une tante lui offre un violon dont elle ne se sert plus. Il n‘apprendra à en jouer sérieusement que plusieurs années plus tard, après qu‘on lui aura prêté une mandoline.
C‘est au lycée que Tim joue dans son premier groupe bluegrass, The West Virginia Grass Band. Il part ensuite étudier la littérature anglaise à l‘université dans le Maine. Malgré de bons résultats, il abandonne ses études en deuxième année et part à Jackson Hole dans le Wyoming où il passe beaucoup de temps à skier, jouant le soir dans une pizzeria pour subvenir à ses besoins. En 1974, à l‘invitation d‘un ami, il s‘établit à Boulder dans le Colorado où il vit en donnant des cours au Folk Arts Music.
Il prend également lui-même quelques cours de guitare jazz et d‘harmonie avec Dale Bruning, un guitariste de jazz et pédagogue qui a enseigné à plus de mille étudiants dont Bill Frisell et Pat Donohue. Ces cours apprennent beaucoup à Tim, notamment sur la connaissance du manche et il transposera plus tard ce savoir à la mandoline et au fiddle.

THE OPHELiA SWiNG BAND
Tim s‘immerge dans la scène musicale locale et devient membre de The Ophelia Swing Band. Le groupe joue du swing avec une formule atypique qui tient à la fois de Bob Wills (pour le répertoire), du Hot Club de France (guitare et fiddle solistes) et du jug band (présence d’un washboard).
C‘est la première fois que Tim est musicien professionnel. Il prend le surnom de Howdy Skies qui deviendra plus tard le nom de sa maison d‘édition. Le groupe enregistre deux albums, Spreadin‘ Rhythm Around et Swing Tunes of the 30‘s & 40‘s. Tim y joue principalement de la mandoline mais aussi de la guitare et du violon, et il chante un titre de Bob Wills sur le second album, Mean Woman With Green Eyes. C‘est à cette époque que Tim rencontre Kit. Il l‘épouse en 1977 (ils ont deux fils, Jackson et Joel), année où il quitte The Ophelia Swing Band et enregistre son premier disque solo Guess Who‘s In Town (Biscuit City Records), sorti l‘année suivante.

Guess Who‘s In Town n‘a jamais été réédité en CD et il est parfois omis dans les discographies de Tim O‘Brien. Une face du disque est instrumentale, l‘autre est chantée. La dominante est plutôt swing. On retrouve les musiciens de The Ophelia Swing Band mais aussi Pete Wernick, banjoïste new yorkais qui s‘est fait connaître avec le groupe bluegrass Country Cooking et s‘est établi depuis 1976 dans le Colorado.

HOT RIZE
A son tour, Wernick invite O’Brien à jouer sur son album Dr Banjo Steps Out (Flying Fish). C’est particulièrement le style de mandoline rythmique de Tim qui a séduit Wernick. Ce dernier développe à l’époque le Niwot style (du nom du village où il réside dans le Colorado) se définissant grossièrement comme du bluegrass sans guitare.
Wernick a élaboré ce concept en jouant avec Andy Statman, l’iconoclaste mandoliniste de Country Cooking. Comme Statman, O’Brien a la faculté de jouer une rythmique de mandoline qui remplit l’espace et sur laquelle Wernick trouve très confortable de jouer du banjo. L’accompagnement est plus complexe qu’en bluegrass traditionnel. Le mandoliniste laisse sonner ses cordes au lieu de les étouffer pour jouer les fameux mandolin chops qui caractérisent la rythmique de mandoline bluegrass. Pete a également été impressionné par la voix de Tim et il lui a demandé d’interpréter quatre chansons sur Dr Banjo Steps Out.
L’idée de monter un groupe prend forme. Depuis son arrivée dans le Colorado, Wernick joue plus ou moins régulièrement dans un groupe informel réuni sous des appellations mouvantes, Rambling Drifters et Drifting Ramblers principalement. L’autre pilier de cette formation est Charles Sawtelle. Tim les accompagne parfois au fiddle. Pour former le groupe, ils s’adjoignent le guitariste Mike Scap (Sawtelle est à la basse) qui avait participé aux enregistrements de The Ophelia Swing Band. Sur proposition de Wernick, ils décident de s’appeler Hot Rize, nom de “l’ingrédient magique” de la farine Martha White. Malgré ce clin d’œil à Flatt & Scruggs (Martha White était le sponsor des Foggy Mountain Boys), Hot Rize est surtout influencé à ses débuts par le bluegrass moderne, notamment New Grass Revival, et la new acoustic music de David Grisman. Ce n’est guère étonnant puisque ses membres ont des expériences sans rapport avec le bluegrass classique : Tim vient de passer trois ans dans un groupe de swing, Wernick a fait partie de Country Cooking qui a révolutionné le bluegrass instrumental, et Sawtelle d’un groupe newgrass ironiquement appelé Monroe Doctrine.
Au bout de trois mois, il s’avère que Scap ne fait pas l’affaire (notamment, il n’aime pas voyager). Sawtelle passe à la guitare et le trio propose le 1er mai 1978 la place de bassiste à Nick Forster. Forster n’a jamais joué de basse précédemment mais il lui est arrivé d’intervenir ponctuellement avec les Drifting Ramblers comme dobroïste, mandoliniste ou caller pour les square dances.

Le groupe dure douze ans, le temps de cinq albums studio. Les influences modernes qui existaient à la création de Hot Rize s’estompent rapidement et le style du quartet se révèle plutôt classique. D’autant que sous l’influence de Sawtelle et à contre-courant de la mode jean-T-shirt des années 70, les musiciens décident d’adopter costumes et cravates fifties sur scène. Mais comme ils sont quand même du Colorado, bien loin du berceau du bluegrass, que Wernick branche une pédale de phasing sur son banjo pendant certains titres, que Sawtelle délivre des solos de guitare peu académiques et que Forster joue de la basse électrique (mais il la fait sonner autant que possible comme une contrebasse), Hot Rize est souvent considéré comme moderne à l’Est du Mississippi alors qu’il est perçu comme traditionnel à l’Ouest.

Tim a souvent chanté en solo, principalement quand il se produisait dans des bars et des restaurants mais il n’a jamais été le chanteur principal d’un groupe. Sa voix fait pourtant merveille avec Hot Rize.
Il a un phrasé fluide, même quand le rythme est soutenu. Son timbre doux est unique, souvent chaleureux et il véhicule cependant la tension nécessaire au chant bluegrass. Sa diction est limpide, rendant les paroles aisément compréhensibles. De ses duos avec sa sœur Mollie, il a pris l’habitude de chanter aigu, dans le registre tenor des grands chanteurs bluegrass. Cela lui permet de délivrer dès le premier album (Hot Rize sur Flying Fish Records) de splendides versions de Blue Night, tiré du répertoire de Bill Monroe et High On A Mountain d’Ola Belle Reed qui deviendra un classique du groupe en concert (avec le phasing sur le banjo).
Dans la même veine traditionnelle, il enregistra plus tard les classiques Working On A Building, John Henry, Lost John, Rocky Road Blues et I Should Wander Back Tonight de Flatt & Scruggs. Hot Rize explore les diverses formes du bluegrass. La plupart des instrumentaux sont de Pete Wernick (Pow Wow The Indian Boy, Gone Fishing) mais O’Brien signe également Bluegrass Part 3 en hommage à Bill Monroe (qui avait composé Bluegrass Part 2) et le groupe enregistre aussi des classiques comme Leather Britches et Durham’s Reel. Bien Pete Wernick, athée issu d’une famille juive, rechigne à chanter des gospels, il y en a un ou deux par album choisis parce qu’ils ne sont consacrés ni à Jésus ni à la Vierge (Standing In The Need Of Prayer, Hear Jerusalem Moan, Climb The Ladder notamment). Ils sont interprétés en quartet ou en trio mais c’est surtout le duo de Tim et Nick qui marque vocalement le son de Hot Rize. Parmi les plus remarquables, on peut citer Life’s Too Short des Delmore Brothers, Are You Tired Of Me My Darling ou Footsteps So Near, une composition du duo qui sera reprise par Ralph Stanley.

Dès leurs débuts, les membres du groupe comprennent que pour marquer leur différence, il leur faut un répertoire original. Wernick est déjà connu pour ses compositions instrumentales, Forster compose un peu. Wernick encourage O’Brien à se consacrer à l’écriture, exercice qu’il pratique en fait depuis qu’il a commencé à jouer de la guitare.
Dans le premier LP, Hot Rize en 1979, on remarque le formidable Nellie Kane. Il y aura ensuite notamment This Here Bottle (écrit avec Wernick), Midnight On The Highway et Hard Pressed qui ouvre l’album Traditional Ties (1985) et sonne comme un indémodable classique. D’autres compositions d’O’Brien témoignent de ses influences non bluegrass. Bending Blades au rythme décontracté a des sonorités country folk. Il y a une légère influence swing dans Untold Stories. La mandoline et le banjo à l’unisson donnent à Nellie Kane des consonnances irlandaises. Même s’il est peu prolifique pour Hot Rize (en cinq albums, le groupe n’a enregistré qu’une douzaine de ses compositions), la réputation de songwriter de Tim grandit. New Grass Revival enregistre deux de ses titres et, surtout, Kathy Mattea connait le succès dans les charts country avec Walk Away The Wind Blows et Untold Stories, signés Tim.

Dans son spectacle, à l’initiative de Tim qui ne voulait pas jouer uniquement du bluegrass, Hot Rize a développé au cours des années une partie country à l’ancienne avec guitare électrique (Forster) et lap steel (Wernick). Sawtelle est à la basse et O’Brien à la guitare acoustique et au chant. Rapidement leur vient l’idée de s’affubler de tenues vintage, de lunettes noires et de changer d’identité. Hot Rize devient ainsi Red Knuckles & The Trailblazers avec Tim en Red Knuckes. Pete, Nick et Charles deviennent Waldo Otto, Wendell Mercantile et Slade. Ils jouent de la country des années 40 et 50 (Hank Williams, Ernest Tubb, Johnny Horton, Lefty Frizzell) et un peu de western swing. Ils y mettent beaucoup d’humour. Dans la partie Red Remembers The 60s, ils transforment des passages de chansons pop et rock (Beatles, Stones) en chansons country. Ils sont parfois rejoints sur scène par Elmo Otto (Sam Bush ou Darol Anger) ou Polly Rhythm (Mollie O’Brien).
Le succès des Trailblazers est presque aussi important que celui de Hot Rize, notamment en France, au point qu’un nom devient nécessaire pour désigner leurs fans : les Knucleheads.

En 1984, Tim enregistre son deuxième album solo Hard Year‘s Blues chez Flying Fish, un très beau disque dont l‘éclectisme est déjà représentatif de sa future carrière personnelle. Les instrumentaux abordent aussi bien le bluegrass (le classique Back Up And Push), la new acoustic (Land‘s End, belle composition de Tim ou il triple mandoline, mandole et fiddle) et jazz (Cotton Tail de Duke Ellington avec Darol Anger au second violon et le guitariste Pat Donohue).
Parmi les trois chansons écrites par Tim, on remarque surtout The High Road, une très jolie mélodie qui annonce ses albums celtiques. Sur ce titre, il chante, joue de la guitare, de la mandoline et interprète une double ligne de fiddle envoutante. Hard Year Blues est un bon newgrass propulsé par la basse de Nick Forster qui est aussi à la Telecaster. Plus conventionnelle, Queen Of Hearts est une chanson country interprétée en duo avec Emily Cantrell (du duo folk The Cantrells).
Les reprises élargissent encore ce vaste panorama musical. Il y a deux gospels (un avec Hot Rize, un avec The Whites), un très joli blues jazzy (Evening), du western swing (Good Deal Lucille avec Tim à la Telecaster et Jerry Douglas à la lap steel), du boogie honky tonk (Honky Tonk Hardwood Floor avec la même distribution) et un classique old time (Cora Is Gone).

LA “CARRiÈRE COUNTRY“
A la fin des années 80, Tim est contacté par des grandes maisons de disques qui projettent de le “lancer“ comme chanteur country. Les succès de Kathy Mattea avec ses compositions y sont bien entendu pour beaucoup (Walk Away The Wind Blows est n° 10 des charts en 1986 et Untold Stories n° 4 en 1988). Après une audition, RCA lui fait signer un contrat. Tim décide donc de quitter Hot Rize. Wernick, Forster et Sawtelle qui étaient au courant des approches des maisons de disques et savaient que Tim tenterait probablement un jour sa chance en solo, décident de ne pas le remplacer et d‘arrêter le groupe en pleine gloire. Hot Rize continue de se produire encore une année entière jusqu’au 30 avril 1990, veille du treizième anniversaire de l’entrée de Nick Forster dans le groupe. Ils enregistrent un dernier album, Take It Home. La chanson Colleen Malone reste plusieurs mois en tête des charts bluegrass dans lesquels figurent aussi Money To Run et Bending Blades. Hot Rize est élu groupe de scène de l‘année 90 aux awards de IBMA (Colleen Malone est élue chanson de l’année) et Take It Home est nommé aux Grammy Awards.

Evénement rarissime, RCA et Mercury (le label de Kathy Mattea) se mettent d‘accord pour promouvoir ensemble Battle Hymn Of Love, un duo de Tim et Kathy qui est alors une star de la musique country puisqu‘elle a été élue chanteuse de l‘année aux CMA awards en 1989.
Un clip est tourné et la chanson parvient en neuvième place des charts. Tim enregistre son album country avec Nick Forster, Mark Schatz, Jerry Douglas, un batteur et un pianiste. L‘album achevé, des changements à la direction de RCA Nashville remettent en cause la politique artistique de la branche country. Les nouveaux responsables ne savent que faire du nouveau venu, sans références de ventes et dont l‘album à dominante acoustique est atypique. Ils décident donc de ne pas sortir Odd Man In. S‘ensuit une période de doute (heureusement assez courte) pendant laquelle on craint que le contrat avec RCA empêche définitivement le disque d‘être commercialisé, et même Tim d‘enregistrer à nouveau pendant quelques temps.
Tim ne se démonte pas, il reste confiant et un accord est trouvé avec Sugar Hill Records qui avait publié les derniers albums de Hot Rize. Sans surprise, Odd Man In reste à ce jour le disque le plus commercial d‘O‘Brien. Sur douze des quatorze chansons, la batterie renforce le style country, de même que le piano sur la moitié des titres. Neuf ont été écrits par Tim. Les arrangements sont à dominante acoustique. Le dobro de Jerry Douglas est l‘instrument le plus en vue. L‘ensemble est efficace mais manque néanmoins de charme. Ressortent Like I Used To Do coécrit par Tim avec Pat Alger (chanson que Seldom Scene reprendra sur l‘album Like We Used To Be dont le titre est dérivé de celui de la chanson), une jolie mélodie très bien interprétée par Tim en slow country, Love On Hold avec une dynamique presque rock, Hold To A Dream déjà enregistré par New Grass Revival (tout comme One Way Street également repris ici) et Flora The Lily Of The West, très jolie murder ballad traditionnelle, arrangée avec mandole et sans batterie. C‘est le seul titre vraiment représentatif de ce que Tim fera par la suite, dès l‘album suivant, Oh Boy! O‘ Boy! (1993). Entre temps, échaudé par sa carrière country avortée, Tim tourne dans les lieux et les festivals bluegrass qui lui font un excellent accueil.

O‘ BOY
Nick Forster, le parfait sideman pour Tim (multi-instrumentiste et partenaire vocal idéal) choisit d‘autres horizons. Pour le remplacer aux côtés de Mark Schatz (contrebasse, banjo old time), Tim O‘Brien recrute Scott Nygaard, connu comme guitariste virtuose (il jouait précédemment avec Laurie Lewis) et qui se révèle aussi être un bon chanteur. Oh Boy! O‘ Boy! sort comme un album de Tim O‘Brien & The O‘ Boys (Schatz et Nygaard). Jerry Douglas qui les accompagne à chaque fois que son emploi du temps chargé le lui permet se voit gratifié du titre de Honorary O‘ Boy. Une bonne moitié des chansons de Oh Boy! O‘ Boy! est marquée par l‘accompagnement de Tim à la mandoline qui tant en punch qu‘en inventivité n‘a rien à envier à celui de Sam Bush.
Le premier titre, The Church Steeple, une des plus formidables compositions de Tim est joué en trio avec Schatz et Nygaard, O‘Brien doublant la mandoline d‘un très bel accompagnement de fiddle. Un couplet est consacré à l‘enterrement de son frère Trip mort au Vietnam. La mort est encore le sujet de Time To Learn. Les parents de Tim avaient également perdu une fille, la sœur ainée de Mollie et Tim. C‘est ce qui a inspiré cette chanson. Les chansons de Tim O‘Brien sont souvent basées sur des faits réels sur lesquels il brode. The Perfect Place To Hide écrite avec Keith Little sur le même album est inspirée par des personnes alcooliques de leur entourage. Musicalement, l‘album est éclectique. Il y a deux bons bluegrass (Wernick et Ron Block au banjo). When I Paint My Masterpiece de Dylan est chanté avec Del McCoury sur un rythme reggae. Schatz passe au banjo clawhammer sur deux chansons et un instrumental old time. He Had A Long Chain On est un blues jazzifié. Quant à Shadows To Light, il est construit sur une pulsation rock.

TiM & MOLLiE
L‘année suivante, en 1994, Tim sort un autre monument de sa discographie, Away Out In The Mountain, en duo avec sa soeur Mollie. C‘est en fait le troisième album de Tim et Mollie et les deux premiers étaient déjà des réussites. En 1988, alors que Tim était encore membre de Hot Rize, ils avaient enregistré Take Me Back. Leurs timbres s‘associent très bien. Leur apprentissage en commun pendant leur adolescence leur a insufflé le même phrasé. Leur large registre leur permet de chanter indifféremment le lead ou l‘harmonie sans forcer leur tessiture.
Ils proposent un mélange de douceur et d‘énergie et, comme ils sont frère et sœur, ils s‘épargnent les mièvreries et les roucoulades des chansons d‘amour (relativement peu nombreuses dans leur répertoire). Ils chantent généralement les couplets alternativement et les refrains ensemble. Plus exceptionnellement, ils interprètent toute la chanson en duo, notamment dans Down In The Valley To Pray sur ce premier album.
Il a été enregistré en petit comité puisque Tim et Nick Forster se sont chargés seuls de tout l‘accompagnement. Sur la moitié des titres, il n‘y a d‘ailleurs qu‘une guitare pour soutenir les voix. Parmi la majorité de traditionnels composant le répertoire, figurent les plus belles réussites : le swingant Papa‘s On The Housetop, une belle version du classique Dream Of A Miner‘s Child et Sweet Sunny South qui met particulièrement bien en valeur la voix de Mollie. Les deux voix se répondent joliment sur Leave That Liar Alone et Wave The Ocean, Wave The Sea.

Malgré le bon accueil du public, ils mettront quatre ans à récidiver avec Remember Me. Les arrangements sont un peu plus fournis. La base est assurée par Tim (guitare, fiddle, mandoline, bouzouki) avec selon les titres Mark Graham (hatmonoca), John Magnie (accodéon) et un bassiste. Remember Me n‘est pas tout à fait aussi bon que Take Me Back, malgré les signatures prestigieuses de Dylan et Greg Brown (reprises de Do Right To Me Baby et Out In The Country). Il y a une jolie performance vocale sur le boogie jazzifié de Gary Davis If I Had My Way. Somebody Told The Blues est un bon blues acoustique de Mike Dowling qui avait déjà signé un titre de Old Man Inn. Le reste est agréable mais peu marquant.
Away Out On The Mountain qui sort donc en 1994 est d‘une toute autre envergure. Ce sont cette fois les O‘Boys au complet (Schatz et Nygaard) qui accompagnent Mollie et Tim. Ce dernier ajoute l‘orgue à sa panoplie d‘instruments (Orphan Girl). John Magnie est à nouveau parmi les musiciens invités. L‘accordéon apporte beaucoup d‘originalité à l‘arrangement de Away Out In The Mountain, chanson tirée du répertoire de Jimmie Rodgers. Tim et Mollie enregistrent aussi deux titres de Gillian Welch, deux ans avant qu‘elle ne sorte son premier disque, Orphan Girl (déjà gravé par Emmylou Harris) et le superbe Wichita magnifiquement interprété tout en duo. Bel arrangement vocal de When I Was A Cow Boy. Le gospel swing He Lifts Me est remarquable. Il y a beaucoup d‘émotion dans l‘interprétation de la ballade Don‘t Let Me Become A Stranger et du génial That‘s How I Learned To Sing The Blues. Le rock acoustique Bad Day que le fiddle fait sonner cajun et la reprise de Price To Pay de Lucinda Williams sont d‘autres belles réussites. En résumé : un chef d’œuvre !

ROCK iN MY SHOE
L’accordéon, présent depuis plusieurs albums, prend de l‘importance dans Rock In My Shoe, l‘album sorti par Tim en 1995 mais au lieu de John Magnie, c‘est l‘artiste cajun Dirk Powell (du groupe Balfa Toujours) qui en joue, notamment sur la chanson qui donne son titre au disque, et dont l‘arrangement est typiquement cajun, mais aussi dans le blues newgrass Deep In The Woods et surtout Long Distance, l‘excellent rock acoustique qui ouvre l’album. Un autre grand moment est Melancholy Moon, un swing dont le texte ironise gentiment sur quelques classiques de la country en prenant leur titre au pied de la lettre.
La musique old time commence à creuser son sillon dans l‘œuvre d‘O‘Brien avec Climbin‘ Up The Mountain (banjo clawhammer et percussions par Schatz) et Jonah The Whale qui sonnerait complètement old time si le rôle habituellement dévolu au banjo n‘était tenu par le mandoloncelle d‘un O‘Brien qui se place décidément au carrefour des genres musicaux. Il y a une interprétation festive de Small Up & Down, un des deux seuls titres qu‘O‘Brien n‘a pas composés sur cet album. On y retrouve Chaz Leary de The Ophelia Swing Quartet au washboard. La mandoline et le bouzouki proposent toujours des rythmiques aussi originales que percutantes (le newgrass Out In The Darkness) avec l‘excellent soutien des O‘Boys (les fidèles Nygaard et Schatz). Côté chant, il y a deux interprétations chargées d‘émotion, celle de la jolie ballade One Girl Cried (Powell au piano) et celle du bluesy She‘s Running Away dont la tension est accentuée par le registre aigu choisi par O‘Brien pour chanter ce titre.

TiM PLAYS DYLAN
Après cet album presque entièrement consacré à des compositions, Tim enregistre un disque de reprises de Bob Dylan. Il dit ne pas être un grand spécialiste de Dylan. Il ne l‘a vu pour la première fois sur scène qu‘en 1991 et encore était-ce à la cérémonie de remise des Grammies où ils étaient tous deux invités. Mais on sait aussi que Charles Sawtelle lui a fait écouter beaucoup de ses chansons pendant les tournées de Hot Rize.
L‘album Red On Blonde (parodie de Blonde On Blonde de Dylan, titre du premier double album de l‘histoire du rock) est un autre chef d‘oeuvre d‘O‘Brien. Dans son album bluegrass, Up On The Ridge, Dierks Bentley a repris avec le groupe The Punch Brothers le formidable arrangement créé par O‘Brien pour la chanson Senor, avec notamment la performance de Charlie Cushman au banjo. Il a été suivi par beaucoup d’autres artistes moins réputés. L‘atmosphère particulière de la chanson est due à son accompagnement en mode mineur inhabituel en bluegrass. Red On Blonde est l‘album solo d‘O‘Brien qui contient le plus de titres bluegrass depuis le début de sa carrière solo et il a d’ailleurs été nommé aux Grammy Awards en tant qu’album bluegrass. Tombstone Blues sonne comme un classique du bluegrass et les solos de banjo (Cushman encore) placent The Wicked Messenger dans la catégorie newgrass. L‘arrangement de dobro de Jerry Douglas sur Father Of Night est royal, bien porté par une rythmique de mandoline newgrass elle aussi. La mandoline est encore à la base de la réussite de Man Gave Names To All The Animals (joué en reggae comme l‘original) et elle vient en enluminures sur Subterranean Homesick Blues chanté quasiment a capella façon rap sur fond de percussions corporelles (une des nombreuses spécialités de Mark Schatz). La fin de l‘album est largement d‘influence old time : le banjo de Schatz, le fiddle (O‘Brien) et l‘harmonica constituent l‘essentiel de l‘arrangement de Oxford Town, Maggie‘s Farm et Masters Of War.

COUNTRY & OLD TiME
En 1997, la discographie de Tim connaît une résurgence d‘un style plus country. When No One‘s Around marque aussi une rupture. Mark Schatz et Scott Nygaard ont laissé la place à Darrell Scott (gtr) et Mark Prentice (bss). La batterie, présente sur tous les titres, mixée en avant, et le répertoire rapprochent ce disque de Odd Man In. L‘ambiance générale est country. Il y a de la steel sur How Come I Ain‘t Dead. Kick Me When I‘m Down, un des meilleurs titres est légèrement honky tonk. Malgré la signature conjointe de Tim et Hal Ketchum, One Drop Of Rain est décevant.
Par contre, When No One’s Around scelle la collaboration de Tim avec Darrell Scott comme partenaire d’écriture. Ils avaient déjà signé ensemble Daddy’s On The Roof Again sur Rock In My Shoe. Cette fois, ils ont coécrit la chanson qui donne son titre à l‘album. Elle est suffisamment marquante pour que Garth Brooks, alors en pleine gloire, la reprenne sur son album Seven. La steel de Jerry Douglas sonne par moments comme une guitare électrique. Un habillage plus rock aurait également convenu à d‘autres titres, Don‘t Be Surprised notamment. Une seule chanson est dans la lignée des enregistrements précédents, Think About Last Night. La mélodie et la façon de chanter sont typiques du style O‘Brien. Le jeu de guitare qui rappelle celui de Scott Nygaard et le dobro de Jerry Douglas accentuent cette filiation.

Les arrangements proches de la country de When No One‘s Around tranchent avec la musique de Songs From The Mountain que Tim enregistre ensuite avec Dirk Powell et John Herrmann. C‘est la lecture du roman de Charles Frazier, Cold Mountain qui a inspiré à Tim et Dirk ce projet musical. Le roman raconte le retour d‘un soldat après la guerre de Sécession. Songs From The Mountain est un disque de musique old time composé d‘instrumentaux et de chansons cités dans le roman ou contemporains de ce dernier, auxquels le trio a ajouté quelques compositions inspirées par ce récit. Tim est l‘auteur de la valse Claire Dechutes qu‘il joue au violon. Sur le reste de l‘album, il est essentiellement à la guitare et la mandoline, Powell se concentrant sur le fiddle et Herrmann sur le banjo.
Tim interprète toutes les chansons sauf Wayfaring Stranger chanté par Powell. Contrairement aux précédents disques de Tim, Songs From The Mountain n‘est consacré qu‘à un seul genre musical. Il a été très bien reçu par les spécialistes du old time, mais son retentissement a été bien moindre que ce qu’espéraient O’Brien et Powell au départ. Ils avaient imaginé une édition conjointe du roman et de l’album. Ils se sont rapidement heurtés à des problèmes de droits, malgré l’adoubement de Charles Frazier. Faute de trouver un label qui accepte de sortir le disque, Tim se résolut à créer le sien, Howdy Skies Records. Il a ensuite signé un accord de distribution avec Sugar Hill Records, sa maison de disque depuis 1985.
Fin 2003, un film a été tiré du roman (intitulé Retour à Cold Mountain dans sa version française) avec Jude Law, Nicole Kidman et Renee Zellwegger. La bande originale, produite par T-Bone Burnett, est constituée de musique old time mais elle a complètement ignoré l‘œuvre d‘O‘Brien, Powell et Herrmann. Tim figure cependant sur un titre de la B.O, la chanson I Wish My Baby Was Born (et Powell est au banjo sur plusieurs autres).

NEWGRANGE
En 1998, la carrière solo de Tim connait une parenthèse de six mois, le temps de l‘aventure NewGrange. Au départ, Darol Anger et Mike Marshall avaient un projet de disque de Noël, une tradition bien implantée aux Etats-Unis. Ils ont réuni autour d‘eux le contrebassiste Todd Phillips, Alison Brown, Philip Aaberg et Tim O‘Brien. Avec trois anciens membres du David Grisman Quintet (Anger, Marshall et Phillips), une banjoïste dont la carrière alterne ou mélange jazz et bluegrass, un pianiste de jazz et un multi-instrumentiste-chanteur touche à tout, le résultat promettait d‘être original. Le groupe tourna environ six mois et enregistra non pas le disque de Noël prévu mais l‘album NewGrange mariant différentes influences. Le piano d‘Aaberg s‘intègre parfaitement aux instruments bluegrass/ new acoustic. Sa complémentarité avec le banjo notamment témoigne d‘un profond travail d‘arrangement. Anger étant le violoniste du groupe et Mike Marshall le guitariste et principal mandoliniste (Brown, Phillips et O‘Brien sont également crédités à la mandoline dans le livret), la contribution musicale majeure de Tim est essentiellement au bouzouki. On l‘entend notamment en solo dans Weetabix et Under The Hood, deux bons instrumentaux typiquement new acoustic signés respectivement par Brown et Aaberg, et sur Land‘s End, une de ses propres compositions déjà enregistrée avec Hot Rize et reprise ici en duo avec un mandoliniste (probablement Marshall) en public. Tim est au banjo old time sur Music Tree, chanson coécrite avec Darrell Scott.

En 2006 est sorti un second album, le disque de Noël initialement prévu, intitulé A Christmas Heritage. On y retrouve le même mélange new acoustic/ newgrass, avec cependant moins de cohérence, ne serait-ce que parce que certains titres sont joués en solo (par Aaberg et Marshall). Beaux arrangements de Shalom Aleichem et Pat-a-pan (en trio mandoline-mandole-mandoloncelle). On n‘échappe pas évidemment à quelques grands classiques de Noël, parmi lesquelles Greensleeves chanté par Tim. In The Bleak Winter est un autre traditionnel, moins connu. La meilleure chanson est un titre écrit par Tim intitulé New Grange, à l‘arrangement assez bluegrass et que Tim accompagne au bouzouki.

TiM L‘iRLANDAiS
Tim O‘Brien a découvert la musique irlandaise en entendant le fiddler Kevin Burke interpréter My Sailor‘s Bonnet sur un disque d‘Arlo Guthrie datant de 1973. Il n‘a cessé ensuite de s‘intéresser à cette musique dans laquelle le bluegrass et la musique old time ont de profondes racines. Il a joué de la musique irlandaise à chaque fois que l’occasion s’est présentée, à Boulder avant la formation de Hot Rize, et à Minneapolis juste avant de se marier avec Kit. Arrivé à la quarantaine, il a également commencé à se passionner pour ses origines irlandaises. Son arrière-grand-père, Thomas O‘Brien, est arrivé aux Etats Unis en 1851. Plusieurs tournées ont mené Tim en Irlande, un pays qu’il avait visité dès 1976.
Plutôt que de consacrer un album à la musique irlandaise (ce que, en toute modestie, il se considérerait probablement incapable de réussir), Tim O‘Brien a voulu avec The Crossing paru en 1999 mélanger musique irlandaise et américaine. Le répertoire comprend donc des chansons et instrumentaux traditionnels et folk venant des deux côtés de l‘Atlantique et des compositions inspirées par l‘Irlande. Lost Little Children est une belle chanson sur l‘immigration irlandaise. John Riley, co-écrit avec Guy Clark traite d‘un déserteur de l‘armée américaine d‘origine irlandaise lors de la guerre contre le Mexique. Talkin‘ Cavan conte l‘arrivée de Tim dans la contrée de ses ancêtres. Dans la même démarche de mélange des cultures, The Crossing associe musiciens américains et spécialistes de la musique celtique. Certains sont irlandais : le groupe Altan au grand complet, Ronan Browne du groupe Cian et Frankie Gavin (De Dannan). Seamus Egan est membre du groupe américain Solas, spécialisé dans la musique irlandaise. Si beaucoup de titres sonnent irlandais grâce à la flute, aux uileann pipes et au bodhran, les musiciens américains s‘intègrent parfaitement à cet univers. Darrell Scott est à la guitare sur la majorité des titres. Edgar Meyer, Stuart Duncan, Dirk Powell sont également présents. Tim se partage entre mandoline, guitare, fiddle et bouzouki. Son instrumental, The Crossing, est magnifique.

Two Journeys en 2002 approfondit la quête des racines irlandaises, trouvant des prolongements chez les Beatles (Norwegian Wood arrangé avec cornemuse et pipeau mais malheureusement pas idéal pour la voix de Tim) et dans la musique cajun avec la chanson Two Journeys de et avec les membres du groupe Balfa Toujours. Le thème de l‘émigration fait le lien entre les descendants des pionniers irlandais et français, renforcé par l‘arrangement qui utilise bien entendu l‘accordéon (Powell) et le fiddle commun aux deux cultures mais aussi le low whistle, instrument typiquement irlandais. C‘est la chanson la plus émouvante de l‘album, peut-être pour nous à cause des paroles en français, mais surtout grâce à l‘interprétation de Courtney Granger, vingt ans à peine lors de l‘enregistrement mais deux siècles de mélancolie dans la voix.
Turning Around, dédié à John Hartford qui venait de décéder, For The Fallen inspiré par la guerre du Kosovo mais qui pourrait s‘appliquer au conflit irlandais, la jolie mélodie de The Holy Well, le festif et autobiographique Me and Dirk‘s Trip To Ireland sont de nouvelles manifestations du talent de songwriter de Tim.
Accordéon, flutes, fiddles, cornemuse et mandole y trouvent naturellement leur place grâce à de nouveaux musiciens talentueux. Aux côtés du fidèle Darrell Scott, ce sont d‘éminents spécialistes de la musique irlandaise qui accompagnent O‘Brien sur scène : John Williams (Solas), Kevin Burke (Bothy Band, Patrick Street), Michael McGoldrick (Capercaillie et Lunasa) et Karan Casey. L‘ancienne chanteuse de Solas interprète, avec Tim, Demon Lover, une variante du classique House Carpenter et What Does The Deep Sea Say ? tiré du répertoire des Monroe Brothers. Le léger vibrato de sa voix porte en elle tout l‘âme irlandaise.
Par la suite, Tim a participé aux Transatlantic Sessions qui ont réuni des artistes bluegrass/ country américains et des spécialistes de la musique irlandaise et écossaise, dirigés par Jerry Douglas et le fiddler écossais Aly Bain. Tim a notamment chanté et joué avec Eddi Reader, Aly Bain et Paul Brady.

DARRELL SCOTT
Comme s‘il fallait absolument changer de formule à chaque album, Tim enregistre ensuite un album avec Darrell Scott. Tim et Darrell se sont rencontrés fin 1995, à l’initiative de leurs maisons d’édition, dans la grande tradition nashvillienne du cowriting. Ils se sont découverts à la fois des affinités et des qualités complémentaires, Darrell montrant notamment à Tim comment se servir davantage de détails biographiques dans l’écriture. De là est née une véritable amitié. Leur premier disque, Real Time, sorti en 2000, est joué et chanté intégralement en duo, formule qu‘ils ont utilisée sur scène pendant trois années. A part la reprise de Little Sadie, sur laquelle Kenny Malone est aux percussions, il n‘y a que Tim et Darrell sur chacun des morceaux. Rétrospectivement, ce qui est marquant dans Real Time, c‘est la destinée de deux titres, More Love écrit par Tim et Long Time Gone de Darrell qui figurent deux ans plus tard sur Home, l‘album des Dixie Chicks qui a fait d‘elles le groupe féminin le plus vendeur au monde. Long Time Gone est monté jusqu‘en seconde place dans les charts et a remporté en 2003 le Grammy Award comme « Best Performance By A Duo Or A Group With Vocal ». Les Dixie Chicks en ont remporté trois autres cette année-là et Darrell Scott a été nommé pour l‘award du meilleur songwriter.
Les Dixie Chicks avaient fait de bons choix mais, parmi les chansons de Real Time, elles auraient tout aussi bien pu opter pour les formidables With A Memory Like Mine ou There‘s No Easy Way de Darrell Scott, Five Rooms, blues écrit par Tim avec Robin et Linda Williams, ou encore Walk Beside Me, la belle chanson cosignée Scott-O‘Brien qui ouvre l‘album. Malgré la formule réduite du duo, l‘album est varié, grâce aux qualités de multi-instrumentistes des deux compères. Sur le quasi instrumental The Second Mouse, ils s‘amusent chacun son tour à des citations musicales pendant que l‘autre change d‘instrument. Les voix de Tim et Scott s‘harmonisent bien, que ce soit sur des compositions originales ou des reprises comme le traditionnel Little Sadie ou le gospel Keep Your Lamp Trimmed And Burning, déjà enregistré avec Hot Rize.
La collaboration de Tim et Darrell s’est prolongée puisque, en 2012, est sorti We’re Usually Better Than This, composé d’extraits de concerts du duo enregistrés en 2005 et 2006, témoignage de la complicité des deux artistes. Ils reprennent quatre titres de Real Time, des morceaux de leur répertoires respectifs dont le beau Mick Ryan’s Lament datant de la période irlandaise de Tim et When There’s No One Around du début de sa carrière solo. Ils s’offrent quelques reprises gourmandes, Early Morning Rain de Gordon Lightfoot joliment chanté par Tim, une version de White Freightliner Blues (Townes van Zandt) pleine d’énergie et un Will The Circle Be Unbroken magnifiquement bluesy. We’re Usually Better Than This annonçait en fait leur second disque studio paru l’année suivante en 2013, Moments and Memories. Scott et O’Brien y montrent une belle complémentarité vocale, notamment dans le mélancolique The Well, une des quatre compositions de Tim et dans le prenant Angel’s Blue Eyes signé par Darrell. Time To Talk To Joseph et You Don’t Own Me sont deux chansons uptempo typiques de l’écriture de Tim, accompagnées banjo-guitare. Plusieurs autres morceaux sont arrangés guitare-bouzouki. O’Brien et Scott reprennent Brother Wind dans une version dépouillée que j’ai préféré à l’original paru dans Rock In My Shoe.

LE VOYAGEUR
Paru en 2003, Traveler est sans doute à cette date l’album le plus autobiographique de Tim O’Brien. Lui-même, constamment sur les routes depuis la formation de Hot Rize en 1978 (environ 1400 concerts en treize années d’existence) se définit comme un voyageur. Plusieurs textes sont narrés à la 1ère personne du singulier ou du pluriel (Kelly Joe’s Shoes, Travelers) et semblent réellement liés à la vie de l’auteur.
Tim a écrit onze des douze chansons de Traveler. I‘ve Endured d‘Ola Belle Reed est la seule reprise et elle est magnifiquement chantée par Tim. Le disque a été enregistré avec le groupe de tournée, soit Dennis Crouch (contrebasse), Casey Driessen (fiddle), Dirk Powell (basse, banjo, accordéon) et John Doyle, autre ancien de Solas, qui a remplacé Darrell Scott à la guitare. La présence d‘un fiddler concentre Tim dans le rôle de mandoliniste mais il alterne aussi guitare et bouzouki avec Doyle. Le voyage, bien évidemment, mais aussi la vie de couple et la mort sont les principaux thèmes des chansons.
Il y a une belle collection de très jolies mélodies : Restless Spirit Wandering, On The Outside Looking In, Travelers, Kelly Joe‘s Shoes notamment. Et quand la mélodie est un peu moins accrocheuse, c‘est l‘arrangement qui fait l‘intérêt de la chanson (le newgrass Family History) avec l‘apport de Jerry Douglas, Bélà Fleck ou de l‘harmoniciste Ray Bonneville. Partout, les percussions subtiles et originales de Kenny Malone brouillent les pistes pour nous empêcher d‘étiqueter les chansons dans un genre musical particulier.

Le titre Traveler est donc emblématique de la personnalité de Tim O‘Brien. Ce dernier donne beaucoup de concerts à travers le monde, changeant souvent de formule. Très gourmand et fin gourmet (s‘il n‘avait pas été chanteur et musicien, il aurait aimé être cuisinier), il en profite pour découvrir la cuisine des quatre coins du monde, avec une prédilection pour les fruits de mer.
Tim s‘est souvent produit en duo avec sa sœur Mollie et plus tard avec Darrell Scott, avec Arty McGlynn, avec Bryan Sutton et plus récemment avec Jan Fabricius. A la fin des années 90, après la formule en trio des O‘ Boys, Tim a tourné avec Jeff White, Charlie Cushman, Mark Schatz et Jerry Douglas sous le nom des Flattheads. Sa période celtique l‘a vu accompagné par de prestigieux spécialistes de cette musique, comme l‘ancienne chanteuse du groupe Solas, Caran Casey et le guitariste John Doyle entre autres.
En 2009, deux autres spécialistes de la musique irlandaise, Gerry Paul du groupe Grada et Trevor Hutchinson, membre de Lunasa, l‘ont accompagné en Nouvelle-Zélande. Il existe un témoignage discographique de cette tournée, Two Oceans Trio. Tim a également utilisé une formule proche du bluegrass comprenant Bryan Sutton, Stuart Duncan et Mike Bub. Il lui est aussi arrivé de partager la scène avec l‘ex-Blasters Dave Alvin et le songwriter Chris Smither.
Il est souvent venu en Europe, parfois en solo (chez Maria & Heri à Barcelone) ou avec des partenaires occasionnels comme le groupe Turquoise à Vichy.
Tim a également accompagné un temps Steve Earle. En 1999, Earle avait enregistré un album avec le groupe de Del McCoury mais des mésententes apparurent après deux mois de tournée et le manager de Earle s’adressa à Tim pour monter un groupe bluegrass qui permette d’achever la tournée selon la volonté de Steve Earle. Tim contacta Dennis Crouch (basse), Darrell Scott (banjo) et Casey Driessen (fiddle) jouant dans des festivals bluegrass comme country. Plus prestigieuse encore est sa participation au groupe de Mark Knopfler. Pendant plusieurs semaines, il a joué de la mandoline sur Brothers In Arms, du bouzouki sur Telegraph Road, du banjo clawhammer sur Marbletown et chanté Sailing To Philadelphia avec Knopfler.

TiM LE MUSiCiEN
Mais l‘une des formules scéniques les plus utilisées par Tim O‘Brien est la prestation en solo. A tel point qu‘il a ainsi conçu Chameleon, son album sorti en 2008. Tim chante les seize titres, tous écrits par lui-même, en s‘accompagnant seul à la guitare, à la mandoline, à la mandole, au bouzouki, au banjo old time et même sur deux titres au fiddle. Les swingants Where Love Comes From (pourtant écrit à la suite du décès de sa mère) et Father Forgive Me, le joyeux This Love Was Made For Everyone, le boogie When In Rome, le mélancolique The Only Way To Never Hurt et Nothing To Say ressortent d‘un ensemble réussi.
Tim indique l‘instrument utilisé pour chaque titre. Sans surprise, il joue les titres en fingerpicking sur une Gibson J-45 (fabriquée en 1943) et les chansons en flatpicking sur une Martin, un modèle 00-18 datant de 1937. Martin a sorti une série limitée (100 exemplaires) sur le modèle de la guitare de Tim. Tim a revendu à un ami, il y a déjà plusieurs années, la D-28 acquise avec l‘héritage de Trip et avec laquelle il a effectué de nombreux enregistrements mais qui avait beaucoup souffert.
Cinq titres de Chameleon sont interprétés au bouzouki (même nombre à la guitare), un instrument que Tim a commencé à utiliser pour Oh Boy O’Boy en 1993 et qui n‘a cessé de prendre de l‘importance dans sa carrière, particulièrement pendant la période où ses albums ont été fortement influencés par la musique irlandaise. Il utilise également deux modèles différents, des marques Nugget et Davidson, de fabrication récente. De façon surprenante, alors que ça reste son instrument de prédilection, il n‘y a que le swing Get Out There And Dance que Tim joue à la mandoline sur Chameleon.
Il est un des rares mandolinistes bluegrass à utiliser un instrument de type A (sans volute). Il joue le même instrument depuis ses débuts avec Hot Rize, une Nugget A-5. Il s‘agissait pour lui à l‘origine d‘acquérir un instrument de qualité qui soit moins onéreux que les Gibson qui font autorité parmi les mandolinistes bluegrass (mais qui coûtent le prix d’une maison). C‘est aussi le signe chez O‘Brien d‘une belle assurance, les mandolines en forme de poire étant parfois moquées dans le milieu bluegrass parce que assimilées à la mandoline italienne. Les maîtres de la mandoline bluegrass (Monroe, Grisman, Jesse McReynolds, Bobby Osborne, Sam Bush) ont tous utilisé des instruments de forme F. La marque Collings commercialise une mandoline Tim O‘Brien basée sur le modèle de Tim, mais avec un manche moins large et une touche incurvée. Le plus gros du travail de lutherie est en fait effectué par Nugget qui envoie ensuite les pièces à Bill Collings pour l‘assemblage et la finition.
Comme ses guitares, la mandole et le fiddle de Tim sont des instruments anciens. Sa mandole est une prestigieuse Gibson Lloyd Loar de 1924 et son violon un Carlo Micelli de fabrication allemande datant de 1922.
L‘album Chameleon permet plus qu‘aucun autre d‘apprécier les qualités d‘accompagnateur de Tim. De ses débuts en fingerpicking, il a gardé l‘habitude de jouer avec la main droite ouverte, laissant les doigts qui ne tiennent pas le médiator brosser les cordes lors de l‘accompagnement, ce qui lui donne un son particulier.

FiDDLER‘S GREEN/ CORNBREAD NATION
Avant Chameleon, en 2005, étaient sortis simultanément Fiddler‘s Green et Cornbread Nation. Fiddler‘s Green a remporté en 2006 le Grammy Award du meilleur album folk. Il présente un large éventail des influences de Tim. On passe d‘une ballade à un quasi bluegrass puis à une très belle chanson aux relents celtiques (Fiddler‘s Green de Pete Goble). On persiste dans l‘irlandais mais on met aussi un pied dans la musique new acoustic avec une suite instrumentale comprenant Land‘s End, composition de Tim dont c‘est la troisième version après celles de Hot Rize et New Grange. Fair Flowers Of The Valley avec Mollie évoque leurs albums en duo. Buffalo Skinners et A Few More Years que Tim chante seul en solo en s‘accompagnant à la guitare ou au violon annoncent l‘album Chameleon. Tim interprète deux classiques de la musique nord-américaine, Long Black Veil et Early Morning Rain de Gordon Lightfoot où la mandoline de Chris Thile se fait latine. Look Down That Lonesome Road bénéficie de l’arrangement le plus bluegrass (avec Dan Tyminski, Charlie Cushman et Jerry Douglas) et a été élu chanson de l’année 2006 par IBMA

Plus varié que Fiddler‘s Green, Cornbread Nation est aussi à cette date le disque le plus électrique de Tim O‘Brien, sans cependant jamais être rock, à peine country rockabilly sur Hold On et boogie avec légèreté sur Cornbread Nation, deux des meilleurs titres du disque. Kenny Vaughan est à la guitare électrique sur sept morceaux et Tim sur un huitième. Il y aussi de la steel et de la lap steel. Pour la première fois dans la discographie de Tim, le saxophone fait son apparition (Cornbread Nation et une version jazzy du traditionnel Foggy Foggy Dew). Le répertoire est d‘ailleurs composé de traditionnels à l‘exception de deux compositions de Tim et les reprises de California Blues (Jimmie Rodgers) et Busted (en blues désabusé). On trouve aussi dans cet album du bluegrass, parfois mâtiné d‘old time, du cajun en anglais, du blues et de l‘inclassable (Boat Up The River, autre réussite de ce disque).

TiM SiDEMAN BLUEGRASS
En 2006, treize ans après sa première récompense, Tim O‘Brien a été pour la seconde fois élu chanteur de l‘année par IBMA, ce qui peut paraître surprenant pour un artiste qui enregistre très peu de bluegrass sur ses propres albums, même si cette année-là, il y en avait un peu plus sur Fiddler‘s Green. C‘est que la carrière bluegrass de Tim continue en dehors de sa discographie personnelle. Sans qu‘il puisse être considéré comme un musicien de studio, on le demande comme fiddler, mandoliniste ou chanteur. On lui réclame des chansons et on l‘appelle pour produire des albums. Dès 1986, il produit le premier album de Laurie Lewis, Restless Rambling Heart où il apparait sur presque tous les titres et, l’année suivante, il produit le premier LP de sa sœur Mollie.
On a pu entendre Tim sur des disques en hommage à Butch Baldassari, Bill Monroe et Tut Taylor. Sur celui consacré à John Hartford, il interprète une émouvante version de Gentle On My Mind, le grand succès d‘Hartford, en duo avec Kathy Mattea.
Il s‘est fait une semi-spécialité de reprises de titres rock en version bluegrass/ acoustic. Sa splendide version de Hey Joe (connue par Jimi Hendrix) sur l‘album Slide Rule de Jerry Douglas a fait sensation à sa sortie, d‘autant qu‘elle est parue à peu près à la même époque que celle, tout aussi originale et décalée de Willy DeVille.
Tim a aussi interprété Can‘t Find My Way Home de Blind Faith sur un disque de Rob Ickes et pas moins de trois titres sur Moody Bluegrass, album consacré à des reprises bluegrass de titres des Moody Blues.

Mais la plupart des chansons interprétées par Tim sur les albums des autres sont typiquement bluegrass. La version de Dan Tyminski de Man Of Constant Sorrow a fait le tour du monde grâce au film O Brother, mais celle de Tim sur un disque de Tony Furtado mériterait pour le moins pareille renommée. Parmi les plus remarquables interprétations bluegrass de Tim, on citera le traditionnel Cindy sur un album de Peter Wernick, le magnifique Butcher Boy aux côtés d‘Aubrey Haynie et une merveille de duo avec Valerie Smith intitulée Oh Mandolin.
La liste de ses interventions en harmonies vocales, à la mandoline ou au fiddle pourrait remplir une, voire plusieurs, pages du Cri. Il a enregistré avec des dizaines d’artistes bluegrass aussi divers que Ralph Stanley, Peter Rowan, Béla Fleck, les jamgrasseux de Yonder Mountain String Band ou de jeunes chanteuses et musiciennes comme Sarah Jarosz et Sara Watkins. Pendant le confinement, il a a fait une escapade pour enregistrer quelques prises sur l’album bluegrass de Sturgill Simpson, Cuttin’ Grass.
La musique de Tim ayant un pied dans le old time, il figure également sur des albums de Riley Baugus (dont il a produit l’album Long Steel Rail), Art Stamper et Adrienne Young. Sa plongée dans la musique irlandaise l‘a amené à enregistrer avec The Chieftains (Shady Grove, Brother Wind), John Doyle et même à produire un album du groupe Grada.
Les interventions de Tim s‘étendent aussi à la country (Kathy Mattea, Dwight Yoakam, Trisha Yearwood), à la new acoustic music (Wayfaring Strangers, Darol Anger), au folk (producteur de Migrations de The Duhks), à l’americana (producteur d’albums de Ranch Romance et Rust Farm), aux songwriters (Guy Clark, Jim Lauderdale, Stan Ridgway) et au blues (Mary Flower).

LE SONGWRITER
Chicken & Egg, paru en juillet 2010, a été enregistré en quatre jours avec Bryan Sutton, Stuart Duncan, Mike Bub et Dennis Crouch. On y retrouve une large proportion de compositions personnelles. Depuis ses débuts avec Hot Rize, O‘Brien a montré sa capacité à écrire des chansons intemporelles (à commencer par Nellie Kane) dont les textes s‘inscrivent parfaitement dans l‘esthétique bluegrass. Ses influences en matière de songwriting sont cependant très variées, allant des piliers de la musique country (Jimmie Rodgers, Hank Williams) aux songwriters issus de la mouvance folk (Dylan, Tom Paxton, Joni Mitchell, Gordon Lightfoot) en passant par les Beatles, George Gershwin et Cole Porter.
Au fur et à mesure des années, et notamment suite à sa collaboration avec Darrell Scott, il a personnalisé ses chansons, s‘inspirant d‘éléments biographiques pour écrire des textes à la portée plus générale, tels Graveyard et I‘m Not Afraid Of Dyin‘ dans le présent album, suite au décès récent de son père. Avec le temps, Tim a aussi insufflé de l‘humour à ses textes comme dans You Ate The Apple qui raconte l‘histoire d‘Adam et Eve du point de vue de leur créateur. Melancholy Moon, Talkin‘ Cavan sur de précédents albums maniaient déjà l‘humour. Il y a aussi sur Chicken & Egg Le magnifique Sun Jumped Up, un texte de Woody Guthrie qui apparait tout à fait moderne, mis en musique par Tim. Guthrie (comme John Prine avec lequel il a chanté Paradise dans un de ses albums en duo avec Darrell Scott) est un modèle pour O‘Brien concernant l‘écriture de chansons porteuses d’un message en filigrane, comme Nothing To Say sur l‘album Chameleon.
On note aussi dans Chicken & Egg que la chanson Mother Mary, une des meilleures du disque, a été coécrite avec Martie McGuire des Dixie Chicks. L‘écriture en commun est très courante à Nashville. Tim l‘a largement pratiquée au cours de sa carrière. En plus de Darrell Scott, Tim a composé avec des songwriters renommés comme Pat Alger et Chris Stapleton des Steeldrivers et d‘autres beaucoup plus obscurs comme Danny Sheerin, musicien bluegrass irlandais rencontré sur un bateau. Sheerin ayant demandé à O‘Brien comment il s‘y prenait pour écrire des chansons, Tim lui a proposé d‘en écrire une à partir d‘un bon titre qu‘il avait trouvé, The Only Way To Never Hurt, qui a été enregistrée sur l‘album Chameleon.
Outre les Dixie Chicks et Garth Brooks, les compositions de Tim ont été reprises par de nombreux artistes aussi divers que Nickel Creek (When You Come Back Down), Phish (Nellie Kane), Maura O’Connell (Time To Learn), Dan Tyminski avec Union Station (On The Outside Looking In), Darin Aldridge (Late In The Day) ou Greensky Bluegrass (Climbin’ Up A Mountain).

RETOUR AU BLUEGRASS
On a vu que dans la discographie personnelle de Tim O’Brien, le bluegrass était peu présent (un peu dans Red On Blonde, un peu plus dans Fiddler’s Green), sinon comme une de ses nombreuses influences. La période 2014-2019 a été marquée par un retour en force du bluegrass dans la carrière de Tim O’Brien.
Depuis la séparation de Hot Rize en 1991, le groupe s‘est retrouvé pour jouer à diverses occasions et même pour une série de concerts en 1996. Leur enregistrement a donné naissance au CD So Long A Journey paru en 2002 et dédié à Charles Sawtelle, décédé entre temps d‘une leucémie. En 2007, le groupe s’est réuni à l‘occasion du mariage de l‘acteur (et banjoïste) Steve Martin, avec Bryan Sutton à la guitare (et Swaid à la place de Slade comme bassiste des Trailblazers). Hot Rize s‘est ensuite produit à plusieurs reprises avec cette formation. Sutton, le plus brillant guitariste bluegrass du début des années 2000, était fan de Hot Rize pendant son adolescence et c‘est le seul groupe dont il ait jamais rêvé de faire partie. C’est avec lui que Hot Rize enregistre When I’m Free en 2014. Le groupe ne reprend pas tout-à-fait le bluegrass là où il l’a laissé 23 ans plus tôt. Trois compositions de Tim, le blues Blue Is Fallin’, You Were On My Mind This Morning avec une introduction voix-mandoline et Clary Mae, sont à mi-chemin entre son style personnel et celui de Hot Rize. L’instrumental Glory In The Meeting House avec Sutton au banjo clawhammer n’est pas non plus typique du groupe. Mais on retrouve bien Hot Rize dans Western Skies (écrit par O’Brien et Forster) et I Never Met A One Like You, très bonne adaptation bluegrass d’un titre de Mark Knopfler. Ils reprennent aussi une chanson de Los Lobos, Burn It Down, interprétée par Nick Forster. Hot Rize enregistra ensuite en 2018 40th Anniversary Bash pour son quarantième anniversaire. La présence du public semble doper plusieurs classiques du groupe (Hard Pressed, Wichita Lineman, The High Road, Radio Boogie). D’autres ne valent pas (vocalement surtout) les versions studio (Blue Night, Nellie Kane) mais les quatre chansons issues de l’album When I’m Free sont bien meilleures en public, sans doute bonifiées par le rodage de la scène.

Le bluegrass rattrape également Tim avec la formation de The Earls of Leicester (prononcez Earls of Lester pour apprécier le jeu de mots). Le groupe a été monté par Jerry Douglas pour jouer la musique de Flatt & Scruggs après qu’il a été invité sur l’album que Charlie Cushman (banjo) et Johnny Warren (fiddle) ont consacré à Paul Warren, père de Johnny, qui fut pendant 15 ans le fiddler de Flatt & Scruggs. Le projet est de jouer le répertoire de Flatt & Scruggs & The Foggy Mountain Boys le plus fidèlement possible. Avec Cushman dans le rôle de Scruggs, Johnny Warren dans celui de son père et lui-même en Josh Graves, Jerry Douglas fait appel à Barry Bales à la contrebasse, Shawn Camp pour prendre la place de Lester Flatt et Tim O’Brien pour celle de Curly Seckler. Pour se démarquer de Bill Monroe & The Bluegrass Boys, Flatt & Scruggs avaient quasiment limité la mandoline à un rôle rythmique et, dans le premier album des Earls Of Leicester qui comprend quatorze titres, Tim se contente judicieusement d’un unique et court solo dans Some Old Day. Son rôle principal est de chanter l’harmonie tenor. Il interprète néanmoins en lead Dig A Hole In The Meadow. L’album remporta le Grammy Award comme album bluegrass de l’année en 2015 mais Tim laissa rapidement sa place à Jeff White car le succès des Earls Of Leicester et le plaisir qu’ils prennent sur scène amène la formation à tourner, ce qui est incompatible avec la promotion de l’album de Hot Rize.

Il faut se transporter en 2019 pour entendre le dernier volet de ce retour au bluegrass. L’album s’appelle tout simplement Tim O’Brien Band et le groupe en question est composé de Shad Cobb (fiddle), Mike Bub (contrebsse), Patrick Sauber (banjo, mandoline) et Jan Fabricius (mandoline). Tim est pour la première fois de sa carrière (à 65 ans) le guitariste du groupe. Un choix sans doute imposé par sa volonté de laisser la place de mandoliniste à Jan, sa compagne depuis 2012. Il est même vraisemblable que Tim ait formé le groupe dans le but de jouer avec elle. Jan était déjà présente mais seulement en harmonie vocale dans les deux précédents albums de Tim, Pompadour et Where The River Meets The Road.

TIM & JAN
Tim et Jan s’étaient rencontré plusieurs fois au festival de Winfield et avaient eu une brève liaison bien des années auparavant. Tim avait continué de donner de ses nouvelles à Jan sans que cette dernière lui réponde. Kit O’Brien étant tombée par hasard sur un de ces messages, Tim lui a tout avoué, ce qui a précipité la fin d’un mariage qui battait déjà de l’aile. Tim et Jan ont entamé une vie commune un an plus tard, en 2010, et Tim a rapidement trouvé du plaisir à partager des moments musicaux avec sa nouvelle compagne. Elle avait donc participé aux albums Pompadour en 2015 et Where The River Meets The Road en 2017.

Pompadour est marqué par le changement de vie de Tim O’Brien. C’est son premier disque solo depuis qu’il a quitté Kit et s’est installé avec Jan. Les chansons parlent de rupture (The Tulips On The Table, I Gotta Move), de volonté d’oublier (Gimme Little Somethin’ Take Her Off My Mind), mais aussi de son nouvel amour bien que ça ne semble pas aller tout seul (I’m A Mess For You). Malgré les thèmes, comme souvent chez Tim O’Brien, l’ensemble est plutôt allègre, sinon gai, et sa mélancolie est toujours sereine (le très beau Whatever Happened To Me). Musicalement, Pompadour ressemble à un défouloir et les arrangements sont encore plus inhabituels dans l’œuvre de Tim que ceux de Cornbread Nation. Il y a beaucoup de guitare électrique, de batterie, de claviers et de steel. Le jazzy Pompadour est dominé par la trompette et le vibraphone. Tim finit la chanson dans un mélange de yodle et de scat. Il se défoule sur sa mandoline dans Ditty Boy Twang. Il joue formidablement le fiddle tune Snake Basket sur une batterie syncopée avec des guitares électriques au fond de l’arrangement. L’effet est superbe. Il reprend Get Up Offa That Thing de James Brown dans une version newgrass-funk rythmée par son banjo old time, sans batterie ni percussion ! Quant à Gimme Little Something…, c’est le titre le plus rock du répertoire de Tim, avec piano, solo de guitare électrique (Tim) et fond de cuivres.

Where The River Meets The Road, en 2017, est le seizième solo album de Tim. Cet album a un concept. Les douze chansons, par leur origine, se rapportent à son état natal, la Virginie Occidentale. Il n’y a que deux compositions personnelles, toutes deux liées à l’histoire familiale des O’Brien. Where The River Meets The Road raconte l’arrivée et l’installation de son arrière-grand-père à Wheeling. Guardian Angel est une des chansons les plus émouvantes qu’a écrites Tim. Les biographies qui lui sont consacrées mentionnent toutes le décès de son frère Trip au Vietnam. On savait moins jusqu’à l’écriture de Guardian Angel que la famille O’Brien avait eu la douleur de perdre une petite fille, Brigid, à l’âge de six ans quand Tim n’en avait que deux, même si ce dernier avait déjà évoqué cet épisode tragique dans Time To Learn sur l’album Oh Boy ! O’ Boy ! Il n’en a aucun souvenir mais il décrit dans la chanson comment elle a existé dans sa vie et il en fait son ange gardien. Le texte est simple mais il touche profondément l’auditeur. La participation de Mollie rend la chanson encore plus émouvante. Les autres chansons ont été écrites par des auteurs originaires de Virginie Occidentale. Il y a trois arrangements bluegrass -avec Noam Pikelny, Mike Bub et Stuart Duncan- dont High Flying Bird qu’avait interprété Jefferson Airplane, chanté avec Chris Stapleton. Un autre titre fort est le swing Friday, Sunday’s Coming emprunté aux Lilly Brothers, avec une autre magnifique intervention de Molly

Dans Pompadour et Where The River Meets The Road, Jan Fabricius chante en harmonie avec Tim sur la moitié des chansons avec de jolies réussites (Whatever Happened To Me notamment). Tim aime beaucoup chanter et jouer des fiddle tunes avec elle. Jan se met sérieusement à la mandoline, ce qui amène donc Tim à jouer de plus en plus de guitare et c’est donc principalement avec cet instrument qu’il enregistre en 2019 The Tim O’Brien Band. Ce n’est pas un chef d’œuvre mais il y a trois chansons typiques du style de Tim interprétées dans un contexte bluegrass : Crooked Road, Beyond (deux compositions personnelles) et My Love Lies In The Ground de Dirk Powell. Pour Crooked Road, j’avais préféré la version voix-guitare sur l’album Chameleon qui était plus dynamique. Le groupe fait une excellente adaptation de Pastures Of Plenty de Woody Guthrie. Il y a un joli duo de fiddles (O’Brien et Cobb) dans un medley celtique et Tim passe à la mandoline pour La Gringa Renee, instrumental original entre Balkans, Moyen-Orient et Espagne (Bryan Sutton est à la guitare sur ce morceau). Le titre de cette composition de Tim parait bizarre mais l’écoute attentive des paroles de I’m A Mess For You (sur l’album Pompadour) semble indiquer que Renee est le second prénom de Jan. C’est sur Doney Gal et Amazing Love que Tim et Jan chantent le mieux ensemble. Jan a coécrit The Other Woman avec Tim.

Pour He Walked On Tim O’Brien revient à sa formule habituelle, associant compositions et reprises arrangées dans une large variété de styles. He Walked On a été enregistré entre octobre 2020 et janvier 2021 et c’est thématiquement un album post-Covid. La longue période de confinement avec l’annulation des concerts et des festivals n’a pas été facile pour les musiciens. Tim en a souffert et, en même temps, il s’est rendu compte qu’il n’était pas le plus mal loti. Nervous traite du mal être et des nouvelles technologies dans nos sociétés modernes, mais à la manière de Tim O’Brien, c’est-à-dire sur un air de swing égayé par le fiddle virevoltant de Shad Cobb. The Same Boat Brother, léger et jazzy, superbement chanté, constate avec le même décalage entre paroles et musique que nous sommes tous embarqués sur le même bateau. Pushing The Buttons est une valse blues avec fiddle et steel sur l’informatique qui rend nos vies étriquées. La responsabilité individuelle est le thème de That’s How Every Empire Falls. Le reggae When You Pray (Move Your Feet) est musicalement cousin de la période Slow Train Coming de Bob Dylan, avec l’orgue et les chœurs féminins (Odetta Settles et Jan Fabricius). On retrouve ces très beaux chœurs dans plusieurs chansons dont He Walked On où Tim joue de la guitare (acoustique et électrique), du bouzouki, du fiddle et de la mandole. La balade Can You See Me Sister est un beau texte sur le destin lié à la couleur de peau que font vibrer la guitare de Tim et le piano de Mike Rojas. Ce dernier est à l’accordéon, en soutien de la mandole et du mandocello de Tim dans El Comedor, chanson prenante sur l’immigration mexicaine. Pas de bluegrass dans He Walked On mais du old time (I Breathe In avec Tim au banjo) et du square dance (Sod Buster). C’est le plus engagé des disques de Tim O’Brien, le plus à l’écoute du monde qui entoure la petite communauté bluegrass et americana. Une ouverture, un engagement confirmés par la collaboration de Tim à Borrowed Time, album de Joe Troop, banjoïste préoccupé de questions environnementales et sociales, sorti la même année que He Walked On, en 2021. Tim joue ou chante dans Hermano Migrante, (autre titre sur les migrants) et deux chansons critiquant la société américaine, Love Along The Way et Red, White & Blues.

Signe que l’écriture des chansons a pris une place prépondérante dans la carrière de Tim O’Brien, il a écrit les treize chansons de Cup Of Sugar, paru en juin 2023. Elles sont dans l’ensemble moins engagées que celles de He Walked On. On retrouve des préoccupations écologistes dans Bear, qui pose la question de la place que nous laissons à la nature dans nos sociétés modernes. The Anchor aborde la fiabilité des infos dans les medias. Cup Of Sugar est surtout marqué par trois chansons parmi les plus humoristiques du répertoire de Tim O’Brien. Il pratique à la fois le second degré qui lui est coutumier et l’autodérision dans Cup Of Sugar, savoureux morceau de philosophie du quotidien sur ses relations avec un voisin avec lequel il partage peu de points communs. Le refrain de The Pay’s A Lot Better Too vaut d’être cité en entier (“The weather is better than six feet under and the pay’s a lot better too”). Dans Shout Lulu, un chien devenu millionnaire urine sur la statue du fondateur du Ku Klux Klan. Les autres chansons traitent plus classiquement de l’amour, souvent décevant (She Can’t, He Won’t and They’ll Never interprété par Jan, Stuck In The Middle)- et l’amitié (Goodbye Old Friend). Cup Of Sugar marque aussi le retour à des arrangements centrés sur les instruments du bluegrass et du old time. Il y a bien une steel (Russ Pahl) dans The Anchor et Stuck In The Middle. The Pay’s A Lot Better fait la part belle au piano de Mike Rojas et le blues Thinkin’ Like A Fish à son orgue mais les neuf autres chansons mettent en avant le banjo old time et la guitare de Tim, la mandoline de Jan (celle de Tim sur deux chansons), le fiddle de Shad Cobb et le banjo de Cory Walker (avec le bon soutien de Mike Bub ou Dennis Crouch à la contrebasse).

Que nous réserve Tim O’Brien pour l’avenir ? Dans les années 90, Jerry Douglas considérait déjà que Tim s’était réinventé trois ou quatre fois. Il l’a refait depuis à plusieurs reprises. Il a aujourd’hui 69 ans. Dans ses interviews, il répète souvent qu’il est vieux. Mais c’est aussi un jeune marié (il a épousé Jan le 31 juillet 2021), Cup of Sugar qui vient de sortir est une des meilleures chansons qu’il ait écrites et l’album He Walked On paru en 2021 est le meilleur qu’il ait enregistré depuis Traveler (qui reste mon préféré). Et si l’inspiration s’envolait, si cette voix chaude et amicale faiblissait, il est rassurant de constater que les albums de Tim ne vieillissent pas. Je réécoute fréquemment Hard Year’s Blues, son deuxième disque, j’ai redécouvert récemment avec plaisir Rock In My Shoe que je n’avais pas entendu depuis longtemps et Chameleon que j’avais un peu zappé à sa sortie. © (Dominique Fosse)

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