Un genre musical enraciné dans la ruralité ne saurait ignorer le meilleur ami de l’homme. C’est ainsi que je vous invite à parcourir, avec ou sans laisse, les empreintes de la présence de nos amis à quatre pattes dans quelques évolutions de la Country Music.
Un compagnon et un instrument de travail La figure de l’animal domestique, objet d’affection dans les sociétés riches et contemporaines, ne doit pas faire oublier des réalités plus prosaïques : le chien est aussi un outil, employé pour ses qualités physiques et ses sens supérieurs aux capacités humaines. Gardien du foyer, pisteur, chasseur, il ne se contente pas du gibier comestible, dans les sociétés sudistes marquées par un système répressif violent. Il est longtemps, après la fin de l’esclavage, l’auxiliaire des gardes des pénitenciers. C’est ainsi qu’un standard innocent actuel du Bluegrass et du Hillbilly, popularisé par Grandpa Jones, se révèle, dans une version antérieure, porteur d’une mise en scène bien moins reluisante. Une fois encore, la chanson appartient simultanément autant au répertoire des musiciens noirs que blancs. Confirmant qu’entre le Hillbilly des années 30-40 et le Blues, les ponts et emprunts croisés étaient permanents. Le fameux ethnomusicologue John Lomax a collecté, pour la bibliothèque du Congrès, cette version interprétée par des détenus en dehors de tout circuit commercial (cf https://archive.culturalequity.org/node/63446)
Les paroles émanent d’un collectif qui relate une tentative d’évasion et les encouragements donnés en direct au chien dans la traque, avec en retournement final une extension du thème aux chiens de chasse et aux chiens utilisés aussi par les gangs pour se protéger des policiers, on savourera la comparaison implicite de la police avec les cochons. Ce vieux Rattler est “neutralisé” et bien plus aimable dans la version domestique popularisée par Grandpa Jones. Enregistré une première fois par George Reneau en 1924, le titre est devenu un standard du Bluegrass et du Hillbilly. Il abonde en clichés absurdes d’humour rural, agglomérat de fragments décousus et d’argot dépréciatif, car le “dog” c’est aussi le salopard.
Tennessee Hound Dog Yodel. Marvin Rainwater. 1955 Il est impératif d’avoir au moins une fois écouté ce yodel survolté relatant le dialogue entre un chasseur et son chien : “Come on trailer, let’s get a coon”, qui, à l’instar du Tennessee Fox Chase instrumental, est le prétexte à un tempo accéléré avec ruptures et reprises, cris et souffle rapide. A la fin de la chanson on entend le crachat courroucé d’un chat et les “kaï kaï kaï” du chien en fuite. A la suite desquels tombe la conclusion de Marvin : “It’s the last time I‘ll buy a dog from a preacher !” (C’est la dernière fois que j’achète un chien à un prêtre). Cf https://www.youtube.com/watch?v=2jOAIvWm5kk
Ce rapport utilitariste à l’animal se perpétue encore dans les années 60, avec ce rockabilly tardif d’Al Terry où émerge une lecture moins répressive ou naïve que dans les deux premiers exemples : le chien sert aussi à la traque d’une autre forme de gibier !
Old Shep est originalement signée par de Red Foley et Arthur Willis en 1933. Indirectement inspirée par Hoover, berger allemand de Foley empoisonné par un voisin. La chanson, commercialisée en 1941, est surtout connue par la version du 3 octobre 1945, où Elvis Presley, alors âgé de 10 ans, l’interpréta pour la première fois devant du public à l’occasion d’un concours de chant au Mississippi-Alabama Fair and Dairy Show. Il finit cinquième, gagnant 5 dollars et un ticket pour la fête foraine. Tendresse, attachement mais aussi euthanasie font partie de l’expérience partagée.
Un chien métaphorique. Le chien dans le courant des années 50 prend une tournure métaphorique. Il est objet de comparaisons et de mise en parallèle où reste en toile de fond le traitement peu reluisant que l’humanité lui réserve. Dans toutes les sociétés où règnent les discriminations de classes et de races, il y a toujours plus malheureux que soi, et c’est ce sentiment de ne pas être le dernier du classement qui justifie la perpétuation de modèles de civilisation reposant sur la coercition et la violence. Qu’elles soient symboliques ou physiquement infligées. Pas de surprise pour les familiers de la Country Music sur le temps long de retrouver ça dans le Honky tonk, le genre existentiel par excellence. Deux beaux exemples illustrent ce schéma : le premier très sombre par Ferlin Husky, le second plus léger par Hank Williams Sr, qui préfère souligner à quel point la passion et le déréglement des sens ravalent l’homme au rang de la bête. Dans une série d’évocations que ne renierait pas son contemporain Tex Avery avec son loup, fou du petit chaperon rouge.
L’identification du narrateur à un chien se poursuit dans le rockabilly avec deux fameux titres de Don Woody magnifiés par les riffs de guitare de Grady Martin. Barkin’ Up The Wrong Tree et Bird Dog, qui ne parle pas à proprement parler des chiens, mais du qualificatif méprisant donné à celui qui tente de vous piquer votre copine. Phrasés répétés de façon obsessionnelle, épure de l’arrangement, shuffle implacable, on se désole que Don Woody n’ait pas su exploiter plus avant cette formule remarquable qui seyait à la perfection à son vocal grave et suggestif. Don Woody, comédien et batteur de Big band signa, entre autres, Bigelow 6-200 pour Brenda Lee chez Decca. Des quatre titres enregistrés avec Grady Martin, aucun ne fonctionna assez pour lui assurer le succès jusqu’à la réédition de Barkin’ Up The Wrong Tree en 1976 sur une compilation MCA de Rockabilly. Retraité des affaires musicales depuis 1961, Don Woody se reproduisit encore sur scène à Las Vegas en 2007 !
Depuis des années, nous nous interrogeons sur le sens de cette curieuse expression de “chien salé”, nous perdant en conjectures que même les anglophones les plus pointus n’arrivaient pas à décrypter. Et puis Internet aidant, l’explication s’est faite. Il était de coutume dans les temps anciens d’asperger de sel les chiens de meutes avant d’aller à la chasse pour les protéger des tiques. La pratique couteuse était réservée aux chiens tenus en plus haute estime. Le chien salé est devenu en argot appalachien (jeu de mots !) synonyme de “personne préférée”, “chouchou”, “”favori”. La première version du “Blues du chien salé” enregistrée est attribuée au chanteur banjoïste noir de Hokum “Papa Charly Jackson” et se déroule en 1924 à travers des couplets au sens très énigmatique. Le titre est repris dans à peu près tous les formats musicaux possibles. Jazz en 1926 par Clara Smith et les Jazz Cardinals de Freddy Keppard. Western Swing en 1946 avec les Modern Mountaineers. Nous ne traiterons que de la version popularisée en Bluegrass par Lester Flatt et Earl Scruggs en 1950, inspirée par la version Hillbilly des frères Morris de 1938, ces derniers revendiquant (à la suite de beaucoup d’autres) la paternité du morceau. On a ici l’association de deux misères, qui ne peuvent que fatalement former un couple puisque porteurs des mêmes stigmates de ruralité.
Un truc hors cadre, étrange et erroné traine dans la discographie de Flatt & Scruggs : la mention de Laïka, malheureuse chienne mise en orbite par les soviétiques en 1957 à bord de Spoutnik II. La chanson s’interroge avec humour sur le destin des chiens ordinaires comparés à la vedette qui reviendra de l’espace. Hurlera -t-elle à la Lune ou ira-t-elle chasser le raton laveur à son retour ? Sera-t-elle traitée comme une star couverte de fleurs et de rubans à son retour ? Le ton primesautier atteste de l’ignorance d’un destin tragique : le premier chien envoyé dans l’espace meurt asphyxié avant de se consumer dans l’atmosphère.
D’abord écrit et interpreté par le Bluesman Hudson « Tampa Red » Whittaker en 1942 dans le style Hokum, Let Me Play With Your Poodle est repris en Western Swing en 1947 par l’excellent Hank Penny. C’est dans l’ordre des choses de trouver un titre pornographique aussi sulfureux dans un format qui se rit depuis les années 30 des injonctions de la morale puritaine pour exalter l’hédonisme le plus cru, comme nous l’avons ici largement démontré depuis plusieurs années. Le morceau sera abondamment repris et fait aujourd’hui figure de standard de la gaudriole. La comparaison avec Salty Dog Blues est intéressante : la Californie d’après guerre ne souffre plus de déterminismes sociaux ou de pauvreté excessive. Le puritanisme religieux des Appalaches n’a aucun sens en contexte urbain. Les premiers étages de la pyramide de Matzlov (*) sont assurés : place à l’exultation des corps.
Produit par les plumes de Jerry Leiber et Mike Stoller, enregistrée dans un premier temps par Big Mama Thornton en 1952 (pour qui la chanson était conçue), elle a été popularisée à l’échelle planétaire par Elvis Presley pour RCA en 1956. Pourtant, il en existe une remarquable version intermédiaire interprétée par Jack Turner (1921-1993) accompagné par Homer et Jethro et Chet Atkins ! Le riff de guitare et le tempo sont moins mécaniques que chez Elvis, la composition dégage un groove bluesy bien plus respectueux de l’esprit original sans en être une décalque. Et cerise sur le gâteau en ce qui me concerne, le solo de steel trainant y est parfait.
Pour conclure, le disque concept The Ballad Of Dood And Juanita de Sturgill Simpson sorti en 2021, avec une série de récits structurés dans une ambiance western, luxueusement arrangée sur un format Bluegrass, permet d’isoler une perle de déclaration d’amour et de deuil inconsolable destinée à Sam. Chien imaginaire ou réel ? Peu importe, deux constats en émergent : d’abord la fin de la perception purement utilitariste du chien aux côtés de l’Homme, ensuite la permanence du lien affectif, touchant à l’universel et à l’intime. Une forme de candeur naïve sans filtre qui a toujours été au cœur des grands textes de la Country Music.
Eric Allart (Mars 2024)
(*) Pyramide des besoins : elle met au jour cinq groupes de besoins fondamentaux : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime et le besoin d’accomplissement de soi. Image en tête : “Funny Beagle Dog Country Music Rodeo Cowboy T-Shirt” en vente sur Internet
Avant tout il y a la musique. Tommy Emmanuel joue depuis l’âge de 5 ans. Il a reçu de Chet Atkins le titre rare de C.G.P. (Certified Guitar Player). Ce 29 janvier 2024, il jouait à l’Olympia de Paris. Rencontre avec un guitar-picker d’une technique qui ne se répète jamais mais se développe sans cesse.
Hi Tommy. Cette tournée est longue… J’ai commencé en janvier par l’Angleterre puis l’Irlande. Ce soir je suis à l’Olympia de Paris puis ce sera l’Allemagne. Je reviendrai en Europe le mois prochain. Entre temps je vais jouer au Ryman Auditorium de Nashville et aux USA. Quelque 150 shows pour cette année, c’est un peu moins qu’avant, mais j’ai 68 ans, même si la musique me donne des ailes…
Vous avez gardé le concept de la série Accomplice 1 et Accomplice 2 en invitant d’autres guitaristes. Qui sont ils ? En Angleterre c’était Molly Tuttle une jeune guitariste/ chanteuse de bluegrass. En Irlande c’est mon complice de longue date, Mike Dawes. Ce soir à Paris c’est Clive Carroll, un britannique qui joue dans le style de John Renbourn. La country-music vient au départ des colons écossais, irlandais et gallois et c’est évident dans le jeu de Clive Carroll. Plus tard j’inviterai Rob Ickes au dobro et son partenaire, le guitariste Trey Hensley.
Comment se déroule le show ? Je laisse d’abord jouer mes invités puis je les rejoins et nous jouons ensemble avant que je ne termine en solo. Avec Molly Tuttle nous avons joué des chansons comme White Freight Liner de Townes Van Zant. J’aime reprendre des titres du disque Accomplice 2 comme Tennessee Stud de Jimmy Driftwood et Doc Watson. En solo je joue Deep River Blues et Guitar Boogie d’Arthur Smith. J’aime bien passer par un Beatles Medley avant de jouer des mélodies telles que celles de Classical Gas de Mason Williams et des mélodies que j’ai composées, Mombasa ou Cantina Senese. Des standards également, Moon River, September In The Rain… C’est un penchant que je tiens de Chet Atkins qui abordait toutes les musiques, qu’elles soient japonaises ou brésiliennes…
Chet Atkins vous a décerné le titre de CGP (Certified Guitar Player). Il ne l’a fait que pour cinq guitaristes. Qui sont-ils ? Jerry Reed, Steve Wariner, Marcel Dadi, John Knowles et moi. Ce fut une surprise totale pour moi. Chet m’a dit clairement que c’était pour mon engagement et mon dévouement à l’art du finger-picking et ma contribution mondiale à son développement. J’ai joué et enseigné ce style toute ma vie. Je veux apprendre aux jeunes guitaristes le défi de la recherche musicale, car il y a des plans supérieurs à atteindre, et être dédié à la guitare est une grande inspiration.
Quand vous avez commencé très jeune en Australie, pensiez-vous jamais atteindre ceci ou est-ce une question de destinée ? C’était pour moi une question de travail constant et de recherche. La destinée n’est pas de mon ressort. Mais je dois aussi beaucoup à mon père qui avait acheté une guitare électrique pour la démonter et apprendre comment elle fonctionnait avant de la remonter. Mon frère et moi jouions en cachette sur cette guitare. Quand mon père nous a découverts, il a été ravi de voir que ses fils étaient musicalement inclinés, il nous a encouragés à continuer et a formé un groupe familial. Nous avons commencé à tourner partout où c’était possible…
Wow ! Comment se passait un show typique ? Mon père nous présentait, The Emmanuel Quartet et nous commencions avec 20 minutes d’instrumentaux. Mon frère jouait la guitare lead et je tenais la rythmique en jouant aussi des basses avec mon pouce. Mon frère aîné était à la batterie et ma soeur était à la lap-steel. Ensuite elle jouait et nous l’accompagnions. Puis je jouais du banjo et de la steel hawaïenne, avant de passer à la batterie pour un solo. On terminait en chantant chacun à son tour. Mon frère et moi étions des fans de Bruce Welch et Hank Marvin, alors on jouait les titres des Shadows, des Ventures ou de Duane Eddy avec beaucoup de reverb. On tournait dans de petites villes, parfois dans la rue, parfois dans le hall local ou sur la plate-forme d’un camion. Nous avons fait cela pendant longtemps, c’était une bonne école pour apprendre à tout jouer. Mais la première fois où j’ai entendu Chet Atkins, j’ai su que c’était cela que je voulais jouer. Puis nous sommes devenus The Trailblazers et j’ai continué avec de nombreux autres groupes.
Maintenant vous habitez à Nashville ? Oui, la vie y est moins chère. J’ai aussi eu la chance de devenir citoyen américain mais je garde mes liens avec l’Australie où je donne des master-classes quand j’en ai le temps.
Vous avez joué avec les géants Chet Atkins et Les Paul, avez-vous appris un peu de chacun ? Je vole tout ce qui est possible, à Doc Watson ou Merle Travis aussi. Avec Chet j’ai appris la précision du toucher et ses accords sur trois cordes. Il y a aussi les accords sur DEUX cordes de Django Reinhardt. Avec Les Paul, ce sont ses mélodies à la 12ème case qui sont incontournables. J’ai joué plusieurs fois avec lui à l’Iridium de New York et au Carnegie Hall aussi. Je l’ai vu jouer Stomping At The Savoy qu’il commençait sur les cordes graves avant de monter dans les aigus. J’attache aussi beaucoup d’importance au Travis picking de Merle Travis, son utilisation du pouce est une partie importante de mon jeu.
Votre jeu est unique. Comment le qualifiez-vous ? C’est une question de précision. Si j’ai besoin de plus d’aigus sur la mélodie, je joue plus fort avec ma main droite, pour les médiums c’est pareil. Je joue différemment en variant l’attaque de ma main droite, elle n’est jamais la même d’un moment à l’autre. Pour la basse, je customise ma Maton en grattant avec de la toile émeri une surface située sous le chevalet. Je monte le volume des basses et je passe la paume de ma main droite sur cette surface sans toucher les cordes. Ça sonne comme une contrebasse en slap. J’aime beaucoup varier mes attaques main droite et main gauche.
Combien de guitare Maton emportez-vous sur scène ? Trois. Ma 808 TE accordée en standard , une autre 808 en dropped D, et une EBG 808 accordée en Do. Mes cordes sont des Martin 013/ 056 et 012/ 054. J’ai un préamplificateur AER Pocket Tools Dual Mix et un accordeur Boss Chromatic Tuner. Si la lampe de l’accordeur est rouge, je parle au public en m’accordant, quand elle est verte je suis accordé. Pour la main droite j’ai un onglet Jim Dunlop pour mon pouce et parfois un mediator triangle arrondi. Je voyage avec mon technicien sono qui connait tous mes delays et échos, je ne m’occupe que du son de ma guitare à la source.
Sur certaines photos vous jouez sur une Telecaster. Vous avez d’autres guitares ? Je suis un joueur, pas un collectionneur. Mais j’ai une Telecaster 1960 que j’ai trouvée chez Gruhn à Nashville. On m’a proposé tellement de guitares acoustiques : Gibson J-50, Martin, Travis Williams… Mais j’hésite à les garder parce que je customise mes Maton et je ne peux pas faire la même chose avec des guitares vintage de collection. Je les revends et je verse l’argent à diverses œuvres de charité. J’en garde quelques-unes. Le trésor est la guitare d’Arthur Smith qu’il a jouée sur Guitar Boogie. C’est Chet qui me l’a donnée et c’est un trésor pour moi. Peu avant son décès, Chet voulait me donner ses guitares personnelles mais je les ai laissées à sa famille pour qu’elles aillent dans un musée ou des expositions.
Quel conseil avez-vous pour de jeunes guitaristes ? Allez à l’école ! Apprenez de bonnes chansons qui vous inspirent à jouer de la guitare. Trouvez un professeur qui ne soit pas trop académique car vous perdriez votre intérêt. Trouver quelqu’un qui ira au-delà des conventions et vous offrira quelques bonnes chansons qui vous intéresseront et inspireront votre musique.
Vous avez repris des chansons d’Otis Redding et Jimi Hendrix. Hésiteriez-vous a reprendre un morceau de Taylor Swift ? Pourquoi pas ? Taylor Swift enregistre dans deux styles différents, néo-country et pop-music. Si j’apprécie une de ses mélodies, je la jouerai.
Avec cet emploi du temps chargé, vous trouvez encore le temps de donner des master-classes ? Oui. Cet été je fais un camp d’instruction en Australie. C’est déjà complet, il y aura beaucoup de participants.
Avez-vous jamais entendu une chanson que vous ne pouvez pas jouer ? Non. Je peux toujours me débrouiller et donner l’impression que je peux la jouer. Mais il faut que j’aime la chanson en premier lieu, c’est le plus important pour moi.
Le guitariste texan Van Wilks m’a envoyé ce rare document annonçant un show du Hillbilly Cat à Brownwood, au Texas, le 4 juillet 1955. L’annonce, parue dans le “Brownwood Bulletin” le 26 juin 1955 était dans les papiers familiaux depuis cette date. Van Wilks, né en 1951, était trop jeune pour assister au show mais l’un de ses cousins, grand fan d’Elvis, avait suivi une partie de cette tournée au Texas.
A cette époque (1955) Bob Neal était encore le manager d’Elvis mais le Colonel Parker dirigeait déjà et proposait certains concerts. Le plus récent enregistrement Sun (78t ou 45t) était I’m Left, You’re Right, She’s Gone/ Baby Let’s Play House du bluesman Arthur Gunter mais le “King Of Western Bop” y avait ajouté en introduction un étonnant O Bay Bay B-B-B Baby , une sorte de chant hawaïen et le disque, sorti en avril 1955, était devenu, en juillet, un énorme succès populaire pour un marché limité au sud des USA.
LOUISIANA HAYRIDE, 2 JUILLET 1955 Juillet commença par un show ponctuel au Louisiana Hayride à Shreveport. Sous la bannière « Be Happy Go Lucky » des cigarettes Lucky Strike, Elvis, Scotty & Bill interprétent I’m Left, You’re Right, She’s Gone et d’autres titres non encore enregistrés, tels Shake, Rattle And Roll ou restés inédits comme Maybelline de Chuck Berry, sorti originalement sur Chess. L’affiche comprenait aussi Faron Young et les Carter Sisters avec Mother Maybelle. Le Colonel Parker considérait le contrat du Louisiana Hayride comme une perte de temps. Le salaire était trop bas (18$ pour Elvis, 12$ chacun pour Scotty Moore et Bill Black). Pire encore : Bob Neal allait prolonger d’un an ce contrat pour une augmentation totale de 200 $, alors que les shows dont s’occupait le Colonel affichaient complet. Tom Parker racheta vite le contrat en échange d’un dernier Louisiana Hayride en 1956.
CORPUS CHRISTI, TEXAS, 3 JUILLET 1955 Elvis, Scotty & Bill revinrent au Texas le 3 juillet pour jouer au Hoedown Club. Corpus Christi est la ville d’origine de la famille de Van Vilks et son cousin suivit la tournée avec sa girl-friend. Elvis s’arrêta dans un diner et le cousin de Van lui parla, il fut étonné de la vista musicale d’Elvis qui était familier de toutes sortes de musiques, pas seulement le blues ou la country-music, mais aussi des choses totalement différentes comme Guy Lombardo, le Boston Pop Orchestra et même les marches militaires de Philip DeSouza. Mais sur scène il ne déviait pas de son répertoire : That’s All Right, Mama, I Got A Woman, Mess Around de Ray Charles, avec ce soir là un rare Born To Lose de Ted Daffan.
STEPHENVILLE, TEXAS, 4 JUILLET 1955 Ce jour de fête nationale, le promoteur W.B. Nowlin avait organisé trois concerts. Les deux premiers étaient une sorte de Battle Of The Bands et étaient dédiés à la musique gospel. Les stars du show étaient le Blackwood Quartet avec Cecil Blackwood et J.D. Sumner (plus tard avec les Stamps). Elvis les connaissait bien : il avait été un ami proche des Blackwood et avait été prévu pour chanter dans les Songfellows de Cecil Blackwood jusqu’à l’accident d’avion qui avait emporté R.W. Blackwood Sr et Bill Lyles, le 30 juin 1954. Plutôt qu’une compétition, il s’agissait d’un hommage aux Blackwood et Elvis le prit ainsi. Ces shows de gospel furent rares. Tout commença à 10h du matin au Récréation Hall de Stephenville. Elvis monta sur scène juste après Cecil Blackwood, choisissant des hymnes connus : The Old Wooden Church, Precious Memories, Known Only To Him et Just A Closer Walk With Thee. Il n’essaya pas de “voler la vedette” à Blackwood, et cette attitude prévalut pour le show suivant.
DE LEON, TEXAS, 4 JUILLET 1955 Les mêmes se retrouvent l’après-midi au pique-nique de Hodges Park à De Leon. Elvis chante les mêmes gospels et suit Cecil Blackwood. Il évoque brièvement, entre deux chansons, qu’il aurait pu rejoindre les Songfellows. Sa carrière aurait été entièrement différente mais il resta toujours en contact avec Blackwood ou J.D. Sumner, enregistrant en solo plusieurs disques de gospel. Après le pique-nique, il part pour Brownwood avec Scotty Moore et Bill Black.
C’est fragile un festival de musique. Tant de facteurs sont nécessaires pour sa réussite. Au cours de son histoire (s’il tient assez longtemps pour avoir une histoire), il y a forcément des caps à passer, des épreuves à surmonter, des crises à affronter, des évolutions à anticiper, des choix à opérer… Le festival bluegrass de La Roche-sur-Foron a changé plusieurs fois de nom pour s’appeler aujourd’hui Bluegrass In La Roche.
Il a dépassé depuis longtemps le cap des trois ans d’existence fatal aux festivals de Toulouse et Angers dans les années 80. Il s’est affranchi de la tutelle de l’association européenne. Il a invité de plus en plus d’artistes célèbres venus des Etats-Unis. Il a survécu à l’année blanche imposée par le Covid et au format réduit de l’année suivante, conséquence de la même pandémie. Il a assumé la suppression du concours de groupes qui avait pourtant été le fil rouge du festival pendant une bonne douzaine éditions. En 2023, le défi à relever était la fin de la gratuité. Une révolution pour une manifestation dont l’entrée était libre depuis ses débuts en 2006. L’équilibre financier du festival reposait jusqu’en 2022, hors sponsors et mécénat, sur les consommations et repas pris par le public. L’augmentation des charges, notamment le coût des voyages des groupes américains, et asiatiques depuis 2022, a imposé de faire payer les entrées pour la première fois cette année. Même si le coût est très modeste (4 à 5 euros par jour selon la formule choisie), la crainte des organisateurs était qu’une partie du public renonce à venir. L’affluence du samedi soir avec une file à la restauration qui s’étendait jusque derrière la tente de sonorisation les a pleinement rassurés.
Il faut dire que 5 euros pour apprécier dans la même journée (le samedi) quatre formations américaines comme Tim O’Brien Band, The Special Consensus, Damn Tall Buildings et Henhouse Prowlers, c’est cadeau. Les Américains sont les vedettes du festival et ils tiennent leur rang.
L’artiste le plus attendu était évidemment Tim O’Brien. Plus de 40 ans de carrière. Il s’est fait connaître par un groupe bluegrass (Hot Rize), a mené sa carrière selon ses aspirations, souvent en marge du bluegrass tout en flirtant avec lui pour y revenir ces dernières années avec ce groupe, Tim O’Brien Band, en compagnie de son épouse Jan Fabricius (mandoline), Mike Bub (contrebasse), Shad Cobb (fiddle) et Cory Walker (banjo). En deux sets (le samedi soir et le dimanche midi), ils ont joué la plupart des titres des deux derniers albums (He Walked On et Cup of Sugar) en y ajoutant des standards de Hot Rize (Untold Stories, Nellie Kane que Tim présente comme une vieille chanson d’un groupe des années 80), quelques chansons de la carrière solo (Brother Wind, sa merveilleuse adaptation de Senor (Bob Dylan), Hold To A Dream et More Love qu’ont repris les Dixie Chicks) et une paire d’instrumentaux (Groundspeed de Earl Scruggs) qui font davantage briller Shad Cobb que Cory Walker. Ce dernier alterne bien le style Scruggs sur les titres les plus classiques (Let The Horses Run) et le single string qui a visiblement sa préférence mais c’est rarement très spectaculaire. Par contre, Shad Cobb, les lunettes vissées en permanence sur le sommet du crâne, a un style flamboyant, notamment sur Little Lamb et Nervous. S’il y a un regret c’est que Tim n’a joué que de la guitare, lui qui excelle également à la mandoline, au fiddle, au banjo old time et au bouzouki. Mais quelle facilité au chant comme à la guitare, avec une belle économie de mouvements, au médiator comme en finger picking (The Pay’s a Lot Better Too, Untold Stories). Il a superbement chanté Five Miles In and One Mile Down qu’on croirait écrit par Dylan. Le duo vocal avec Jan fonctionne très bien (When You Pray Move Your Feet). Sur les derniers albums, on a pu constater que les préoccupations de Tim O’Brien étaient de plus en plus sociales et environnementales. Elles ont même pris un tour politique quand il a modifié un couplet de Nervous pour glisser qu’une éventuelle élection de Trump aux prochaines présidentielles américaines le rendait nerveux… Une prise de position rare pour un artiste bluegrass. Tim O’Brien est grand.
L’autre groupe vedette américain était The Special Consensus. On connait Greg Cahill, banjoïste du groupe depuis sa création en 1975. On connait aussi le guitariste chanteur Greg Blake depuis son passage à La Roche dans le groupe de Jeff Scroggins. On a été épatés de découvrir le mandoliniste Michael Prewitt. Il chante bien (notamment Alberta Bound tiré du dernier album) et c’est un excellent mandoliniste, capable d’imiter le père du bluegrass dans Monroe’s Doctrine et de jouer des solos jazzy dans l’adaptation instrumentale du standard de jazz Blue Skies ou dans My Kind of Town. Le défi, pour un groupe comme The Special Consensus qui a souvent changé de personnel, est de s’approprier les anciens succès du groupe. Ils ont une astuce pour limiter les comparaisons avec les versions originales : ils alternent les chanteurs (Blake, Prewitt, le contrebassiste Dan Eubanks) sur les différents couplets d’une même chanson. Ça fonctionne très bien pour Tennessee River (avec encore un excellent solo de mandoline), moins pour Chicago Barn Dance (la v.o. était arrangée avec trois fiddles, difficilement remplaçables). The Special Consensus a eu l’honneur de la grande scène deux soirs de suite, ce qui a permis de proposer un répertoire très varié : des instrumentaux swing chers à Greg Cahill et sur lesquels il excelle (tout comme Prewitt et Dan Eubanks dont les solos témoignent d’une technique jazz parfaitement maîtrisée), quelques classiques (Reuben et Little Maggie en rappels), un gospel a cappella. Deux mois après le festival, Greg Blake a été élu chanteur de l’année par IBMA. Ceux qui l’ont entendu interpréter les Country Gentlemen (Sea of Heartbreak), Johnny Cash (Hey Porter), Blackbird tiré du dernier album et surtout une formidable adaptation bluegrass de Lookin’ at My Backdoor de Creedence Clearwater Revival ne pourront que se féliciter de ce couronnement. Christopher Howard Williams (le Président du festival pour ceux qu’ils l’ignoreraient) a regretté que Special Consensus ne joue pas Snowbird, sa chanson favorite du dernier album. J’avais la même attente concernant Mighty Trucks of Midnight. Greg Cahill nous a expliqué que le disque était trop récent. Ils avaient effectivement enregistré ces chansons mais ils n’avaient pas encore eu le temps de les apprendre. A 76 ans, on peut comprendre que ça lui prenne un peu de temps…
Henhouse Prowlers existe depuis 19 ans. Le groupe a enregistré neuf albums mais cela fait peu de temps qu’on parle d’eux dans les media bluegrass. Peut-être depuis que Jake Howard (mandoline) et Chris Dollar (guitare) ont rejoint Ben Wright (banjo) et Jon Goldfine (contrebasse), présents depuis les débuts de la formation. Peut-être aussi parce qu’ils ne passent qu’une partie de leur temps aux Etats-Unis. Les Henhouse Prowlers font en effet le tour du monde en tant qu’ambassadeurs culturels pour le Département d’Etat américain. Ils ne se contentent pas de porter la bonne parole du bluegrass. Ils aiment mélanger leur musique avec celle des peuples qu’ils rencontrent et s’efforcent d’apprendre eux-mêmes une chanson dans la langue de chaque pays qu’ils visitent. A La Roche, ce fut une adaptation tout-à-fait convaincante du Santiano d’Hugues Aufray. Je pensais que le reste de leur répertoire serait constitué de chansons venues d’autres pays mais les Henhouse Prowlers jouent en fait leurs compositions, à l’exception de Chop My Money, excellente adaptation en anglais d’une chanson nigériane. Le reste est très varié. Chris Dollar chante un newgrass, Jon Goldfine une valse et un swing (Subscription To Loneliness). Ben Wright montre la puissance de sa voix sur un country & western bluesy. Ils interprètent très bien un gospel en quartet a cappella. Les quatre musiciens chantent bien mais Chris Dollar est particulièrement remarquable. Les arrangements sont travaillés. Jake Howard a enthousiasmé mon camarade Philippe Bony qui n’est pas facile à épater question mandoline. Je ne suis pas fan de leurs improvisations (parfois longues) mais le son du groupe est excellent, il y a une bonne chorégraphie autour du micro et les Henhouse Prowlers ont vraiment de la gueule avec leurs costumes noirs stricts et leurs cravates qui contrastent avec la longueur de leurs cheveux.
Je n’ai vu les Damn Tall Buildings, quatrième groupe américain, que sur la petite scène le samedi. J’ai en effet raté la soirée de jeudi (et donc, à mon grand regret Silène & the Dreamcatchers). C’est la première journée de festival que je manque depuis 2009. Les copains présents le premier jour m’avaient vanté la puissance vocale de la contrebassiste Sasha Dubyk. Elle l’a effectivement montrée en début de set sur un rockabilly mais je lui ai trouvé beaucoup d’autres qualités. Elle a livré une version de Blue Bayou qui vaut celle de Linda Ronstadt (tout en slappant sa contrebasse en douceur) et interprété le classique Dark Hollow avec une variation sur la mélodie joliment trouvée. Elle chante I’m Not Myself en duo avec le guitariste Max Capistran. C’est lui le chanteur principal du groupe (et le principal compositeur, ceci explique cela). Il chante en liant les mots à la manière de John Hartford. Un sens du show et une présence sur scène plutôt rares en old time (la musique de Damn Tall Buildings s’en rapproche davantage que du bluegrass). Max danse avec Sasha pendant un solo de fiddle de Avery Ballotta, le troisième membre du groupe. Il présente les titres avec humour, fait chanter le public pendant The Universe et I’m Not Myself. Avery chante une valse blues en s’accompagnant au fiddle comme s’il s’agissait d’une mandoline. Il joue avec une énergie qui met à mal les crins de son archet. L’enthousiasme communicatif de Damn Tall Buildings a conquis l’ensemble du public.
Du côté des groupes européens, j’attendais avec impatience le set de Johnny & The Yooahoos qui avait été la révélation de la petite scène en 2022. Je n’ai pas été déçu. Ils ont davantage mis en valeur l’extraordinaire voix de leur guitariste Bernie Huber alors que l’an dernier il partageait largement les chants avec les frères Johnny (mdo) et Bastian (bjo) Schuhbeck. Le groupe véhicule apparemment une cohorte de fans allemands qui leur font un triomphe. A raison car les harmonies vocales de Wild Shores étaient dignes de Crosby, Stills & Nash. Ils ont chanté de façon magistrale Get Back des Beatles entièrement en trio. Ils jouent bien, improvisent pendant leurs solos. La voix de Bernie est vraiment impressionnante, notamment dans Take Me Down et une adaptation de Scatman absolument phénoménale.
Le groupe tchèque Professional Deformation restera le dernier vainqueur du concours de groupes de La Roche puisque ce dernier a disparu de la programmation après 2019. Conformément à la tradition, ils auraient dû jouer l’année suivante en soirée mais l’édition 2020 a été annulée pour cause de Covid. Ils avaient remporté ce concours haut la main et je les ai trouvés encore bien meilleurs cette année. Le groupe a changé. Je ne me souviens pas du contrebassiste précédent mais le nouveau, Karel Vaska, a un excellent groove. Le remplacement du banjoïste Petr Vosta (qui jouait beaucoup en single string) par Jarda Jahoda au style plus varié fait beaucoup de bien au groupe, ainsi que l’ajout d’un mandoliniste, Zdenek Jahoda, le frère de Jarda. Professional Deformation a ainsi quatre excellents solistes avec le guitariste Jakub Racek et Radek Vankat, un des très rares dobroïstes entendus à La Roche cette année. Ils s’illustrent sur des instrumentaux classiques (j’ai cru reconnaître New York Chimes de Tony Trischka mais je n’en suis pas certain), des compositions de Jakub, du jazz manouche et des chansons newgrass. Jakub Racek est un très bon chanteur. Il forme un bon duo vocal avec Radek. Les trios et plusieurs quartets (Traffic Jam a cappella façon gospel) sont également superbes. Ils se sont produits tard en soirée et on pouvait craindre la désertion du public car ils passaient après The Special Consensus et Tim O’Brien Band mais les spectateurs sont restés en nombre pour assister à cette excellente prestation, jusqu’au rappel : une reprise de Let It Roll de Little Feat avec des dialogues instrumentaux entre les frères Jahoda et entre Racek et Vankat. Il y a moins de formations tchèques à Bluegrass In La Roche depuis qu’il n’y a plus de concours de groupes mais c’est vraiment la crème de la crème.
En seize éditions, on pourrait croire que tous les groupes bluegrass européens importants sont déjà passés à La Roche. C’était pourtant la première fois que le festival accueillait Nugget, formation basée en Autriche et les Finlandais Jussi Syren & The Groundbreakers. Il y a un lien entre Professional Deformation et Nugget puisqu’on y retrouve le banjoïste Jarda Jahoda et que Jakub Racek a été le guitariste du groupe il y a une vingtaine d’années. Il faut dire qu’en 46 années d’existence, Nugget a vu défiler pas mal de musiciens (dont le Français Thierry Massoubre) aux côtés du seul membre fondateur restant, le mandoliniste Helmut Mitteregger. Son épouse Katarina est à la basse depuis une trentaine d’années. Ralph Schut, bien connu à La Roche par sa participation à de nombreux groupes (dont G-runs & Roses et Blueland) est le guitariste de la formation. Le bluegrass joué par Nugget est moderne. Malgré des réglages approximatifs (la basse vrombit et le banjo est mixé trop fort), Helmut, Jorda et Ralph montrent leurs qualités de solistes sur plusieurs classiques rapides chantés par Helmut (Highway of Regret, My Old Shoes Don’t Fit Me Anymore) mais c’est Katarina la principale chanteuse. Elle interprète des chansons du répertoire de Valerie Smith (In The Mines), Jaelee Roberts (Something You Didn’t Count On), les Bellamy Brothers (Let Your Love Flow), un swing (que j’ai beaucoup aimé mais pas identifié) et deux titres de Nashville Bluegrass Band (Slow Learner et Boys Are Back In Town) dont Nugget a fait des arrangements très personnels. Helmut, Katarina et Ralph chantent Mr Sandman en trio (avec d’excellents breaks instrumentaux) et Ralph rend hommage à Steve Gulley, venu à La Roche-sur-Foron en 2010 et disparu prématurément il y a trois ans, en interprétant une de ses compositions It Ain’t The Leaving.
Jussi Syren & The Groundbreakers existe depuis 1995. Cette formation finlandaise a tourné plusieurs fois aux Etats-Unis et enregistré douze albums (le treizième vient de paraître). Dommage qu’ils ne soient pas venus plus tôt car la voix du mandoliniste Jussi Syren a un peu vieilli ces dernières années. Il a un timbre nasillard, typique du bluegrass traditionnel, au point qu’après Where Shall I Be interprété en quartet a cappella, ma voisine m’a glissé qu’elle ne savait pas que Donald Duck chantait du gospel. C’est un peu exagéré mais il y a du vrai. Pour forcer le trait, Jussi Syren a aussi le son de mandoline le plus sec qui soit (il joue très près du chevalet). Pour un groupe avec autant d’expérience, le set était loin d’être parfait. Les trios vocaux sont moyens, le contrebassiste est à la ramasse sur certains titres. Jussi n’a plus le coffre pour chanter The Auctionner, un de ses grands succès. Mais il fait bien Across The Morning Tide tiré du dernier album, Morning Has Broken (popularisé par Cat Stevens), Rebel Soldier des Country Gentlemen et Georgia On A Fast Train de Billy Joe Shaver. Comme Helmut Mitteregger avec Professional Deformation, Jussi Syren met de l’humour dans ses présentations (“Jimmy Martin is the King of Bluegrass and the Queen is John Duffey”) et le banjoïste Tauri Oksala est très talentueux. C’est un spécialiste des Keith pegs qu’il utilise dans plusieurs morceaux. Dans The Banjo Song, il passe brillamment en revue les styles de Earl Scruggs, Don Reno, JD Crowe, Raymond Fairchild et Ralph Stanley. Impressionnant. Je suis content de les avoir enfin vus sur scène. Merci La Roche.
The Truffle Valley Boys est un quartet italien également amoureux du bluegrass traditionnel et ils inscrivent leur amour dans les moindres détails. Pantalons qui remontent jusqu’à la poitrine, cravates et chapeaux dans le style des années 40 ou 50 (Eric Allart saurait vous dire exactement). Même la monture de lunettes du guitariste Denny Rocchio semble vintage. Il joue avec un onglet de pouce comme Lester Flatt et place régulièrement des G-runs. Les Truffle Valley Boys jouent évidemment avec un micro central. Matt Ringressi (mandoline) et Germano Clavone (banjo) tiennent leur instrument sous le menton pendant leurs solos, alors que Denny Rocchio joue son instrument tête en bas quand il est au dobro, dans le style de Josh Graves. Pour couronner le tout, avec son chapeau, Ringressi est le portrait craché de Buzz Busby. Les morceaux sont courts, souvent rapides même quand ce sont des gospels (Walk Around Me Jesus, Ain’t No Grave). Des classiques (Honky Tonk Blues, Sophronie de Jimmy Martin, The Bluegrass Song de Bill Monroe) mais aussi des titres moins connus. C’est bien fait, dynamique même si ça manque d’un chanteur qui donne une vraie signature au groupe. Parmi les trois chanteurs, le plus intéressant est Clavone qui a une bonne voix de tenor en plus de jouer un style Scruggs parfaitement punchy.
Basé en Allemagne, Stereo Naked était au départ un duo old time composé de façon très originale d’une banjoïste (Julia Zech) et d’un contrebassiste (Pierce Black). Ils ont étoffé leur formation et s’étaient présentés sur scène en quartet l’an dernier. Malheureusement, presque personne ne les avait entendus car ils avaient joué sous une pluie battante. Une bonne raison pour les accueillir à nouveau en 2023. Cette fois, ils étaient cinq avec un guitariste et deux violonistes/ mandolinistes. Même avec une formation renforcée, la musique de Stereo Naked reste assez intimiste et il n’est pas facile de les apprécier dans un festival comme La Roche où l’ensemble du public n’est pas toujours attentif (et donc bruyant et en mouvement) si on n’est pas collé à la scène ou dans les tout premiers rangs. Ce n’était pas mon cas et je crois que je suis passé un peu à côté de leur prestation. Pas assez pour ne pas remarquer que Julia Zech a une jolie voix, qu’il y a eu une paire de mélodies remarquables (particulièrement Yodel My Name) et que Pierce est un très bon contrebassiste. Certains morceaux m’ont semblé ennuyeux mais je crois simplement que je n’étais pas dans de bonnes conditions pour les apprécier.
Les deniers concerts du dimanche piochent généralement dans des genres voisins s’éloignant un peu du bluegrass afin de rafraichir les oreilles des spectateurs, normalement rassasiés à ce stade de leur musique favorite. C’est ainsi que le public a découvert et fait un triomphe à A Murder In Mississipi, groupe belge qui joue de la country acoustique (de l’americana si on préfère) en tapant aussi un peu dans le blues, le swing et même le tsigane (The Raven & The Oak Branch Tree). Le groupe repose beaucoup sur la voix, les compositions et le charisme de son guitariste Leander Vandereecken, bien soutenu par une percussionniste, une violoniste, une banjoïste, un contrebassiste et un pianiste. Les harmonies vocales et les chœurs sont importants dans les arrangements. Tout le monde chante mais Alexandra (percussions) et Lore (banjo) sont les principales partenaires de Leander et elles interprètent merveilleusement en duo Tennessee River Runs Low des Secret Sisters. Parmi les compositions, j’ai repéré les swings Wrong Side of the Road et Mary Lou, le country Run Brother Run et le blues (joyeux) Don’ t Go To Kentucky. Parmi les reprises, il y a eu Fear of the Dark d’Iron Maiden et Ring of Fire (Johnny Cash). A Murder In Mississipi est une formation enthousiasmante qui a fait danser de nombreux spectateurs. Derrière la voix de Leander, les arrangements sont bien construits. Le pianiste et la violoniste jouent bien mais n’en font pas trop, le contrebassiste a un excellent groove et la banjoïste préfère la pertinence à la démonstration. Elle joue en picking, en frailing ou au mediator selon les titres avec une approche du banjo 5 cordes comparable à celle des Pogues.
The Vanguards est un groupe de jeunes musiciens britanniques qui joue du bluegrass traditionnel en faisant l’effort de proposer ses propres compositions. Les parties instrumentales et les chants en trio sont bien en place mais les chants lead ne sont pas au même niveau. Je leur ai préféré les Suédois de Rookie Riot qui associent deux générations de musiciens à l’instigation du guitariste Anders Ternesten, ancien membre du groupe suédois Dunderhead qui s’est produit à La Roche en 2014. Ce sont les jeunes qui sont sur le devant de la scène. Wilma Ternesten (la fille d’Anders, 17 ans) est la chanteuse principale. Elle est capable d’interpréter avec douceur des ballades et des compositions plutôt modernes et de nous surprendre ensuite par l’énergie qu’elle met dans des titres plus rapides (Tortured, Tangled Hearts des Dixie Chicks, une version speedée de Blowin’ In the Wind). La violoniste Agnes Brogeby a un timbre plus dur qui convient à des titres classiques comme Drinkin’ Up Whisky. Anders Tenersten et le mandoliniste Karl Lagrell Annerhult prennent leur tour au chant. Agnes et le banjoïste Daniel Svensson sont des musiciens talentueux. Encore une agréable découverte.
La petite scène du midi permet de découvrir des groupes en format réduit, pour la plupart orientés vers la musique old time. Le programme étant comme tous les ans copieux, il m’a fallu faire des choix. Tant pis pour les Boatswain Brothers et pour les Slo County Stumblers, j’ai opté pour le trio suédois New Valley String Band. Pas mal d’instrumentaux mais aussi un chant a cappella à trois voix et une version très dynamique du classique Hop High qui fait son effet. Autre trio old time, les Yonder Boys sont basés en Allemagne mais Jason Serious est Américain, D. S. Ingleton Australien et Tomas Peralta Chilien. Encore un groupe old time qui fait bouger les lignes avec des titres à deux banjos et la contrebasse jouée à l’archet sur un autre. Eux aussi chantent en trio, notamment The Eagle Song et Rabbit Song (ils semblent très attirés par nos amis les animaux). Plus que sympa et assez original.
La petite scène a également permis de découvrir Mathis & Benoït, un duo blues acoustique franco-allemand. Deux guitares (flat ou finger picking) et une voix qu’il faut pour chanter le blues, celle de Mathis. Doc Watson les a beaucoup influencés -ils le revendiquent (reprises de Nashville Blues, Walk On Boy et Deep River Blues)- mais ils interprètent aussi Bob Dylan (I Shall Be Released) et des traditionnels (The Cuckoo – Ok, Doc Watson l’a enregistré aussi mais je pense qu’il jouait du banjo et non de la guitare sur ce titre). Malgré le format réduit, c’est varié, bien joué et bien chanté.
Bluegrass In La Roche a pu bénéficier à ses débuts du soutien de l’association européenne de bluegrass alors qu’il n’y avait pas eu de festival de bluegrass en France depuis une vingtaine d’années. A son tour, le festival tient à faire profiter des artistes isolés de sa notoriété (en 2023, Bluegrass In La Roche a été sélectionné pour la 4ème fois comme “événement de l’année” aux récompenses annuelles de IBMA). L’an dernier c’était Country Gongbang qui était venu jouer depuis la Corée. Cette année, Bluegrass In La Roche avait invité un duo indien, Grassy Strings (à leur connaissance, la seule formation bluegrass de ce pays de près d’un milliard et demi d’habitants). C’est un duo mandoline-guitare avec un seul chanteur. Ils jouent beaucoup de standards (Shady Grove, Rollin’ in My Sweet Baby’s Arms) mais apportent de la variété dans l’accompagnement et les solos par leur technique instrumentale. Souvik et Subhankar ont quelques titres qui s’éloignent du bluegrass et deux chansons en bengali qui ont beaucoup de charme. Ils étaient tout heureux d’être à La Roche, couvés par Ben Wright, le banjoïste des Henhouse Prowlers qui joue pleinement son rôle d’ambassadeur du bluegrass et offre (enfin !) une justification au I de IBMA (International Bluegrass Music Association) dont il est membre du bureau.
2023 a encore été une belle édition pour Bluegrass In La Roche avec son lot de grandes formations américaines (Tim O’Brien, Special Consensus, Henhouse Prowlers), de confirmations (Professional Deformation, Johnny & the Yooahoos) et de découvertes (Damn Tall Buildings, A Murder In Mississippi). Le succès ne se dément pas malgré les entrées payantes et la météo maussade (qui, personnellement, me va mieux que le cagnard de l’année 2022). La gestion de la queue à la restauration par les nombreux bénévoles est d’une efficacité toute professionnelle, comme le reste de l’organisation.
En conclusion, un mot sur la disparition du concours. Instauré dès la première édition, le concours a permis au festival de La Roche-sur-Foron d’attirer rapidement des groupes de toute l’Europe et de contribuer ainsi à sa renommée sur le vieux continent. Au tout début, tous les groupes présents à La Roche participaient au concours puis il y a eu une présélection de 12 puis 10 et finalement 8 formations. Cette réduction croissante du nombre de participants en a forcément élevé le niveau moyen. Je constate néanmoins, de mon point de vue, que la disparition du concours depuis deux éditions a entrainé une amélioration de la programmation du festival. Le système de notation du concours faisait qu’un groupe légèrement au-dessus de la moyenne dans tous les domaines (chant, technique instrumentale, répertoire) donc sans grande qualité particulière mais jouant un bluegrass bien orthodoxe, avait toutes les chances d’être régulièrement sélectionné pour participer au concours alors qu’un groupe plus original mais avec quelques défauts ne passait pas la barre. Il y a ainsi eu une année (2014) où aucun groupe du concours ne m’a semblé avoir de qualités vocales particulières (heureusement il y a eu aussi des vainqueurs comme Sons of Navarone ou Le Chat Mort, formidables de ce point de vue). Certains groupes revenaient d’année en année sans jamais s’approcher des meilleurs (Wyrton, Sidlo, Poa Pratensis…) et sans forcément progresser.
Grand merci à Emmanuel Marin, auteur de la plupart des images de cet article (sauf mention spécifique). Le texte étant relativement long, nous avons limité le nombre de photos, mais nous invitons le lecteur à consulter le site d’Emmanuel Marin (https://pixels-live.fr/) et l’intégralité du lien avec le Festival (https://pixels-live.fr/bluegrass-in-la-roche-2023.html). Merci aux autres auteurs de clichés mentionnés (quand nous connaisssons leur nom), certains étant issus de pages Facebook.
Thierry Lecocq fait partie du paysage musical français attaché aux musiques américaines avec de nombreuses “excursions” vers la chanson, le classique, le swing, etc. Sa carrière est donc à la fois riche et diverse. Il est toujours prêt à jouer et à améliorer son expérience dans de nouveaux contextes.
Conséquence directe : il a fait partie de nombreux groupes, certains éphémères, d’autres plus durables qui ont marqué les années “bluegrass/ country/ folk” françaises : Blue Wave, Tiphaine, Sarah Band, Bluegrass Burger, Station, Lucky Nugget Revue, Blue Railroad Train, Stylix, Roots 66, New Step In Grass, Mister Jay’s, François Vola Trio, The Crazy Idea Band, etc. *
Il a également accompagné nombre d’artistes en tous genres, des styles traditionnels américains à la pop musique, en passant par le classique (Gilles Apap) et pas mal d’étrangers en tournée en Europe. Il doit y avoir bien peu de scènes de festivals où il n’a pas apporté sa touche un jour ou l’autre au fil des ans. De même il a œuvré chez Disney à Paris et également à l’étranger dans un nombre impressionnant de pays. Ces occasions lui ont permis de rencontrer des artistes de grand talent, et de partager des jams et/ ou la scène avec la plupart d’entre eux, passant sans difficulté d’un instrument à l’autre, selon les besoins complémentaires du jour.
Après Push et Mandoline, voici Radio Station un “album promotionnel”, sous la conception de Hervé Nicole, qui propose une sorte de programme d’émission de radio par “DJ Cheri” (on a même quelques insertions de la météo :-). Issu d’une famille de mélomanes, Thierry a peu à peu maîtrisé tous les instruments à sa portée et on le retrouve logiquement ici avec sa voix et ses guitares, basse, mandoline, violon, claviers et même une lap steel. Il a signé la plupart des titres, à commencer par une invitation au voyage qui suit son entrée en Fast Train, avec En allant dans la Louisiane. C’est une chanson bien dans le “jus cajun” avec l’aide de l’accordéon de David Rolland. Puis changement d’atmosphère, avec Cherie Blues (sic), une structure classique du genre, mais actualisée en français : ainsi l’absence de l’aimée dans tous les lieux évoqués en “s’égosillant la voix” se décline avec un final souriant (elle était là 😉
Passage exotique avec un pot-pourri de sons “asiatiques” et “des îles” du Cherry Tree à Honolulu Lulu (sic), avec le ukulele de Russ Hoag. Chica To Cheek (jeu de mots assumé), en collaboration avec Emilie Vidrine, offre une sorte de bossa nova à énergie interne de bon aloi.
On revient ensuite à une autre des racines incontournables de la musique américaine (Bob Dylan) avec une version non servile de La Fille du Nord (reprise d’Hugues Aufray sur la traduction de Pierre Delanoë mais avec le dernier couplet en anglais). L’arrangement du traditionnel Red Haired Girl est sophistiqué, avec la guitare dominante sur une base de percussions, puis le violon et la mandoline en échos parallèles, qui jouent autour de la mélodie comme la variété des pas de danse qu’on imagine sans peine, surtout lors de l’accélération du rythme un peu après mi-parcours, et enfin l’entrée de la guitare électrique avant le retour à l’acoustique en lignes jumelles. Autre traditionnel, avec prise de risque, car a cappella, Up Above My Head, donne la touche spirituelle au disque avec la sincérité de cet apport du gospel. On change d’atmosphère encore une fois avec une sorte de rap mi-parlé mi-scandé en déclamation d’indépendance (Je C SQue J’Fais). Puis virevolte un duo violon/ mandoline de bon goût, comme un canon classique où s’emboitent les tonalités sur fond de basses quasi continues, avant une rupture de ton, de rythme dans un concert de voix et de bruits divers pour le moins surprenant. Dans un bon programme de radio, il faut revenir régulièrement aux fondamentaux : ainsi le classique Travailler c’est trop dur reste sur la base de valse lente où le violon fait ses gammes autour des chœurs et où la guitare électrique complète agréablement le tempo et les fioritures. Final au volant (Trucks sur la route) pour retourner au pays et “retrouver les anciens”, un titre à écouter à fond (mais prudemment) en allant au prochain festival. (NB: Le clin d’œil en bonus est pour les plus attentifs).
Vous le connaissez et l’avez souvent entendu, mais vous ignorez peut-être que c’est lui dans les multiples facettes de sa carrière. Il a été le guitariste de Johnny Hallyday durant dix ans, sur scène et en studio comme spécialiste de la pedal-steel. Avant cela il était dans le groupe d’Hugues Auffray (durant dix ans également.) qui le présenta à Bob Dylan. Il joue aussi sur le disque Some Girls des Rolling Stones pour la chanson Far Away Eyes. Il a tourné et enregistré avec Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Vince Taylor, etc.
Albert Lee, Marc Bozonnet, Marcel Dadi
Sa virtuosité country peut se résumer sur la guitare par son jeu rapide et difficile à acquérir, un son très travaillé et un swing naturel qu’il doit à ses rencontres à Nashville avec Albert Lee, Asleep At The Wheel, et tous les grands comme Charlie Daniels, Hank Garland, Lloyd Green, Charley McCoy, Harold Bradley, Chet Atkins ou Merle Travis mais en prenant sa place parmi eux sans jamais les imiter. Marc Bozonnet est l’un de ces rares talents qui ne demandent que éclore là ou il pourra d’avantage étancher sa soif de liberté.
Saga Examinons ce parcours au microscope. Dès le début des 60’s il gagne le premier prix des groupes instrumentaux avec les Thunders, inspirés des Shadows. Marc a déjà cette virtuosité instrumentale qui dans ce cas lui permet d’évoquer Hank Marvin à la perfection. Il est remarqué par les producteurs de disques et devient -autre facette- musicien de studio que l’on convoque pour les solos sans jamais mentionner son nom, ce qui est une pratique courante à l’époque.
On le retrouve sur les disques de Jean Ferrat, Claude François, Serge Gainsbourg, Nana Mouskouri, Il Etait Une Fois. Difficile de jouer “country” avec de tels artistes mais avec Jeane Manson il est le directeur musical du spectacle Country Girl -Une Américaine à Paris- 30 ans de chansons. Inspiré par la musique western et la country-music il joue le tout suivant sa manière personnelle.
Virginia Truckee Il est dans le groupe de Johnny Halliday de 1972 à 1982 et joue de la pedal-steel. Mais il sent qu’il y a une place pour un groupe authentique de country music français. Lorsque Johnny change de musiciens, Marc Bozonnet forme son groupe Virginia Truckee avec le joueur de pedal-steel Jean Yves Lozac’h (toujours vivant !), le regretté guitariste Jean Louis Mangin et lui-même à la guitare et au chant. Ils ne prêtent aucune attention aux hyperboles publicitaires mais enregistrent deux disques devenus des monuments de la musique country française : Virginia Truckee (1981, en français) puis Hey Good Looking’ (1984, en anglais) avec Faded Love de Bob Wills, Six Days On The Road de Dave Dudley, Hey Good Looking et Jambalaya de Hank Williams, Country Polka et Orange Bloom Special.
En 1985 le groupe participe à la Fan Fair de Nashville, Tennessee… et gagne ! Ils reçoivent l’Award 1985 de meilleur groupe étranger, rencontrent Albert Lee et deviennent légendaires. Beaucoup de nos lecteurs se souviennent encore de cette période à travers laquelle ils découvrent Nashville…
M.B. Show A l’issue de cette époque Marc Bozonnet crée le M.B. Show. Il installe un studio dans le sous-sol de sa maison et enregistre constamment au moins un album par an. Il ne cesse d’enchainer les concerts avec des musiciens différents. Il se permet de dire au bassiste classique Pascal Mulot qu’il n’arrivera jamais à jouer country car c’est un concept différent avec des mesures supplémentaires et un langage musical non-académique. Les lecteurs du Cri du Coyote connaissent bien cela : pas de clivage binaire/ ternaire, un instinct difficile à maîtriser…
Bien que le groupe soit déjà venu à plusieurs reprises en Europe, la venue de Special Consensus à Bluegrass In La Roche cet été sera sans doute pour beaucoup l’occasion de découvrir cette formation sur scène. Parmi les groupes de premier plan, Special Consensus est certainement aujourd’hui la plus ancienne formation bluegrass en activité. Greg Cahill, 76 ans, l’a co-fondée en 1975. Sa passion pour le banjo, sa volonté de faire de la musique son métier pendant de longues années de vaches maigres, de maintenir son groupe malgré d’incessants changements de musiciens, son implication dans IBMA (International Bluegrass Music Association) dont il a été membre du bureau de 1998 à 2010 (et Président les cinq dernières années) en font un quasi militant du bluegrass.
Originaire de Chicago -pas tout-à-fait un haut lieu du bluegrass- Greg Cahill ne découvre cette musique (et le banjo) qu’à l’adolescence. L’apprentissage solitaire est difficile mais son service militaire (ça sert donc à ça ?) dans le Missouri et en Géorgie lui permet de fréquenter de bons banjoïstes. De retour chez lui, il réussit à trouver un professeur. Le virus l’a pris, à tel point qu’en 1974, il décide de prendre une année sabbatique pour se consacrer entièrement au banjo. Le groupe qu’il a constitué avec des amis en 1973 devient The Special Consensus Bluegrass Band en 1975 et, en 1976, avec le bassiste Marc Edelstein, Greg décide que le groupe sera professionnel. Sa réputation grandit peu à peu et les incessantes tournées (qui lui coûteront un divorce) s’élargissent au-delà du Midwest en 1978 et à l’Europe à partir de 1991. Certaines années, le groupe qui est devenu Special Consensus à partir de 1985, s’est produit jusqu’à 250 fois. Un chiffre énorme mais une nécessité financière pour un groupe qui a mis du temps à s’imposer sur le devant de la scène. Dans un interview qu’il avait donné au Cri du Coyote en 2003, Greg Cahill confiait qu’il ne remercierait jamais assez les personnes qui l’avaient hébergé lui et son groupe après les concerts, leur permettant de dormir chez eux, même si c’était parfois sur le canapé ou le tapis du salon plutôt que dans leurs voitures. Une vie rude de musicien qui explique le turn over important dans Special Consensus. En 48 années, Greg Cahill a vu défiler 18 mandolinistes, 18 guitaristes, 2 fiddlers et 12 bassistes. Certains d’entre eux ont ensuite fait une belle carrière. Parmi les plus anciens, membres de Special Consensus dans les années 80, Chris Jones a connu un grand succès avec son propre groupe de bluegrass, Dallas Wayne a mené une carrière country en Finlande puis aux Etats-Unis et Robbie Fulks (qui a récemment enregistré un album bluegrass) s’est fait un nom dans le milieu americana. A partir des années 2000, Special Consensus a permis de découvrir Josh Williams, auteur par la suite de plusieurs albums sous son nom, longtemps guitariste de Rhonda Vincent et élu trois fois guitariste de l’année par IBMA, Rick Faris qui mène sa propre carrière de chanteur bluegrass après avoir été membre de Special Consensus pendant douze ans, et les mandolinistes Nick Dumas et Ashby Frank qui ont chacun enregistré un album solo récemment. La signature d’un contrat avec le label Pinecastle en 1996 et le passage dans le groupe de Josh Williams (comme chanteur et mandoliniste) de 1999 à 2004 avaient constitué une évolution importante pour Special Consensus en termes de notoriété. Le passage chez Compass, le label d’Alison Brown, a été encore plus déterminant. Certains titres du groupe ont pu être promus par des clips vidéo scénarisés. Le choix judicieux de quelques contributions extérieures a permis de booster plusieurs morceaux. Ainsi Special Consensus a reçu la récompense du meilleur instrumental de l’année 2014 par IBMA pour Thank God I’m a Country Boy qui a bénéficié de la participation d’Alison Brown, Michael Cleveland et Buddy Spicher. Même succès pour Firefall en 2016 avec Alison Brown, Rob Ickes et Trey Hensley, et en 2018 pour Squirrel Hunters avec Alison Brown et le duo de fiddlers 10 String Symphony. C’est devenu une tradition qu’Alison Brown et Greg Cahill jouent à deux banjos sur un instrumental de chaque album de Special Consensus. Le succès de Special Consensus n’est pas dû qu’aux instrumentaux ni aux collaborateurs extérieurs puisque l’album Rivers & Roads a été élu album de l’année en 2018 et, en 2020, c’est Chicago Barn Dance qui a recueilli le plus de suffrages des membres de IBMA comme chanson de l’année.
La venue de Tim O’Brien à La Roche Bluegrass Festival est un événement à la mesure de celles de Blue Highway, Lonesome River Band ou Molly Tuttle il y a quelques années. A 69 ans, il a derrière lui, en groupe ou en solo, une formidable œuvre, forte de près de quarante albums dans lesquels on ne sait ce qu’il faut admirer le plus : le chanteur, l’auteur-compositeur ou le musicien multi-instrumentiste. Les douze années qu’il a passées comme chanteur, mandoliniste et fiddler de Hot Rize, groupe majeur des années 80, ont définitivement associé son image au bluegrass alors que c‘est une musique qu‘il n‘a que peu abordée dans la bonne quinzaine d‘albums qu‘il a enregistrés par la suite sous son nom. Lui-même s‘en amuse en se définissant comme “une pièce de musée du bluegrass“ (d‘autant qu‘il a été Président de l‘International Bluegrass Music Association -IBMA- de 2001 à 2003). L’article qui suit reprend intégralement le texte paru dans Le Cri du Coyote n° 122, avec de très mineures modifications essentiellement liées à la lecture de Traveler, la biographie récemment consacrée à Tim par Bobbie et Bill Malone. Il a été actualisé pour y inclure la période 2012-2023. C’est tout autant une biographie, une appréciation de l’œuvre de Tim O’Brien que le travail d’un fan : quand je me suis marié en 1996, lors de la soirée, après une partie concert bluegrass et country, quand il a fallu faire la place aux danseurs, renonçant à la traditionnelle valse, Isabelle et moi avons ouvert le bal avec Long Distance, un rock acoustique tiré de Rock In My Shoe, le dernier album de Tim paru à l’époque.
JEUNESSE Timothy O‘Brien est né en 1954 à Wheeling, en Virginie de l‘Ouest. Son père, Frank, est avocat. Tim est le plus jeune enfant de la famille. Les O‘Brien encouragent leurs cinq enfants à participer à des activités sportives et culturelles. Tim est peu doué pour le sport dans un pays où le sport est un important vecteur d‘intégration sociale, surtout pour les garçons. Mais la musique aide l‘adolescent roux et myope à prendre confiance en lui. Ses parents ont des abonnements qui lui permettent d‘assister, parfois à contrecœur, à des concerts d‘Itzhak Perlman, Ray Charles, Duke Ellington et de l‘orchestre symphonique de Wheeling. En 1964, en contrepartie de quelques tâches ménagères, Mme O‘Brien emmène ses plus jeunes enfants assister au concert des Beatles à Pittsburgh. Comme la plupart des 12 500 personnes présentes dans le stade, Tim les verra sans bien les entendre, les cris du public couvrant la sono… Dans cette région des Etats Unis, Tim est également exposé à la country via la radio, notamment The Saturday Night Jamboree. Il découvre que l‘émission est enregistrée dans un théâtre proche de son domicile et il s‘y rend fréquemment : il voit ainsi sur scène Jerry Lee Lewis, Buck Owens, Roger Miller et Merle Haggard.
Sur le plan personnel, Tim s‘est aperçu en chantant à l‘église qu‘il avait des facilités pour trouver des harmonies vocales. En 1966, à 12 ans, il commence à jouer de la guitare. Il est gaucher mais joue sur un instrument de droitier. Il refuse de prendre des cours mais parvient assez rapidement à jouer des titres de Chet Atkins note pour note. Il chante avec sa sœur Mollie des chansons des Beatles et de Peter, Paul & Mary. Dès 1967, ils s‘inscrivent au concours du festival folk d‘Oglebay sous le nom de Hardship & Perseverance et remportent le premier prix. Ils récidivent avec le même succès les années suivantes sous le nom de The Katzenjammer Kids puis The Campbell Soup Kids. Par son frère Trip (son surnom car il se prénomme en fait Frank comme son père et son grand-père), Tim découvre Joan Baez, Odetta, Miles Davis et Sam Cooke. Trip part au Vietnam et échange avec sa famille des cassettes mêlant messages et morceaux de musique. Tim enregistre en retour les progrès qu‘il fait à la guitare (il est devenu fan de Doc Watson qu’il a découvert à la télévision) et son frère lui suggère d‘écouter Segovia et Manitas de Plata. Trip meurt au combat en 1968. Chacun de ses frères et sœurs hérite d‘une somme d‘argent. Tim utilise sa part pour s‘acheter une guitare Martin D-28. Il prend alors quelques cours mais apprend surtout en regardant les autres et en écoutant des disques. La famille de Tim est catholique. On chante moins dans les églises catholiques que dans certaines églises protestantes mais Tim est un adolescent des sixties et, suite à Vatican II, le prêtre de son église convie les jeunes guitaristes de la paroisse à accompagner certaines célébrations. Tim se révèle le musicien le plus doué du groupe et l’équipe d’animation liturgique lui demande de mettre en musique les refrains inspirés des Ecritures qu’ils lui soumettent. C’est ainsi que Tim écrit les musiques de ses premières chansons. Au lycée, Tim chante dans la chorale et joue avec diverses formations musicales dont un groupe de rock, mais depuis sa découverte de Doc Watson, il est surtout attiré par la country et le bluegrass, d‘autant qu‘il a fait la connaissance de Roger Bland, un ami de la famille de sa petite amie de l‘époque. Bland a été banjoïste dans le groupe de Lester Flatt et il apprend à Tim le style de Scruggs au banjo mais aussi le phrasé typique des guitaristes bluegrass (Tim jouait jusqu’alors en fingerpicking avec des onglets). Quand il a 16 ans, une tante lui offre un violon dont elle ne se sert plus. Il n‘apprendra à en jouer sérieusement que plusieurs années plus tard, après qu‘on lui aura prêté une mandoline. C‘est au lycée que Tim joue dans son premier groupe bluegrass, The West Virginia Grass Band. Il part ensuite étudier la littérature anglaise à l‘université dans le Maine. Malgré de bons résultats, il abandonne ses études en deuxième année et part à Jackson Hole dans le Wyoming où il passe beaucoup de temps à skier, jouant le soir dans une pizzeria pour subvenir à ses besoins. En 1974, à l‘invitation d‘un ami, il s‘établit à Boulder dans le Colorado où il vit en donnant des cours au Folk Arts Music. Il prend également lui-même quelques cours de guitare jazz et d‘harmonie avec Dale Bruning, un guitariste de jazz et pédagogue qui a enseigné à plus de mille étudiants dont Bill Frisell et Pat Donohue. Ces cours apprennent beaucoup à Tim, notamment sur la connaissance du manche et il transposera plus tard ce savoir à la mandoline et au fiddle.
THE OPHELiA SWiNG BAND Tim s‘immerge dans la scène musicale locale et devient membre de The Ophelia Swing Band. Le groupe joue du swing avec une formule atypique qui tient à la fois de Bob Wills (pour le répertoire), du Hot Club de France (guitare et fiddle solistes) et du jug band (présence d’un washboard). C‘est la première fois que Tim est musicien professionnel. Il prend le surnom de Howdy Skies qui deviendra plus tard le nom de sa maison d‘édition. Le groupe enregistre deux albums, Spreadin‘ Rhythm Around et Swing Tunes of the 30‘s & 40‘s. Tim y joue principalement de la mandoline mais aussi de la guitare et du violon, et il chante un titre de Bob Wills sur le second album, Mean Woman With Green Eyes. C‘est à cette époque que Tim rencontre Kit. Il l‘épouse en 1977 (ils ont deux fils, Jackson et Joel), année où il quitte The Ophelia Swing Band et enregistre son premier disque solo Guess Who‘s In Town (Biscuit City Records), sorti l‘année suivante.
Guess Who‘s In Town n‘a jamais été réédité en CD et il est parfois omis dans les discographies de Tim O‘Brien. Une face du disque est instrumentale, l‘autre est chantée. La dominante est plutôt swing. On retrouve les musiciens de The Ophelia Swing Band mais aussi Pete Wernick, banjoïste new yorkais qui s‘est fait connaître avec le groupe bluegrass Country Cooking et s‘est établi depuis 1976 dans le Colorado.
HOT RIZE A son tour, Wernick invite O’Brien à jouer sur son album Dr Banjo Steps Out (Flying Fish). C’est particulièrement le style de mandoline rythmique de Tim qui a séduit Wernick. Ce dernier développe à l’époque le Niwot style (du nom du village où il réside dans le Colorado) se définissant grossièrement comme du bluegrass sans guitare. Wernick a élaboré ce concept en jouant avec Andy Statman, l’iconoclaste mandoliniste de Country Cooking. Comme Statman, O’Brien a la faculté de jouer une rythmique de mandoline qui remplit l’espace et sur laquelle Wernick trouve très confortable de jouer du banjo. L’accompagnement est plus complexe qu’en bluegrass traditionnel. Le mandoliniste laisse sonner ses cordes au lieu de les étouffer pour jouer les fameux mandolin chops qui caractérisent la rythmique de mandoline bluegrass. Pete a également été impressionné par la voix de Tim et il lui a demandé d’interpréter quatre chansons sur Dr Banjo Steps Out. L’idée de monter un groupe prend forme. Depuis son arrivée dans le Colorado, Wernick joue plus ou moins régulièrement dans un groupe informel réuni sous des appellations mouvantes, Rambling Drifters et Drifting Ramblers principalement. L’autre pilier de cette formation est Charles Sawtelle. Tim les accompagne parfois au fiddle. Pour former le groupe, ils s’adjoignent le guitariste Mike Scap (Sawtelle est à la basse) qui avait participé aux enregistrements de The Ophelia Swing Band. Sur proposition de Wernick, ils décident de s’appeler Hot Rize, nom de “l’ingrédient magique” de la farine Martha White. Malgré ce clin d’œil à Flatt & Scruggs (Martha White était le sponsor des Foggy Mountain Boys), Hot Rize est surtout influencé à ses débuts par le bluegrass moderne, notamment New Grass Revival, et la new acoustic music de David Grisman. Ce n’est guère étonnant puisque ses membres ont des expériences sans rapport avec le bluegrass classique : Tim vient de passer trois ans dans un groupe de swing, Wernick a fait partie de Country Cooking qui a révolutionné le bluegrass instrumental, et Sawtelle d’un groupe newgrass ironiquement appelé Monroe Doctrine. Au bout de trois mois, il s’avère que Scap ne fait pas l’affaire (notamment, il n’aime pas voyager). Sawtelle passe à la guitare et le trio propose le 1er mai 1978 la place de bassiste à Nick Forster. Forster n’a jamais joué de basse précédemment mais il lui est arrivé d’intervenir ponctuellement avec les Drifting Ramblers comme dobroïste, mandoliniste ou caller pour les square dances.
Le groupe dure douze ans, le temps de cinq albums studio. Les influences modernes qui existaient à la création de Hot Rize s’estompent rapidement et le style du quartet se révèle plutôt classique. D’autant que sous l’influence de Sawtelle et à contre-courant de la mode jean-T-shirt des années 70, les musiciens décident d’adopter costumes et cravates fifties sur scène. Mais comme ils sont quand même du Colorado, bien loin du berceau du bluegrass, que Wernick branche une pédale de phasing sur son banjo pendant certains titres, que Sawtelle délivre des solos de guitare peu académiques et que Forster joue de la basse électrique (mais il la fait sonner autant que possible comme une contrebasse), Hot Rize est souvent considéré comme moderne à l’Est du Mississippi alors qu’il est perçu comme traditionnel à l’Ouest.
Tim a souvent chanté en solo, principalement quand il se produisait dans des bars et des restaurants mais il n’a jamais été le chanteur principal d’un groupe. Sa voix fait pourtant merveille avec Hot Rize. Il a un phrasé fluide, même quand le rythme est soutenu. Son timbre doux est unique, souvent chaleureux et il véhicule cependant la tension nécessaire au chant bluegrass. Sa diction est limpide, rendant les paroles aisément compréhensibles. De ses duos avec sa sœur Mollie, il a pris l’habitude de chanter aigu, dans le registre tenor des grands chanteurs bluegrass. Cela lui permet de délivrer dès le premier album (Hot Rize sur Flying Fish Records) de splendides versions de Blue Night, tiré du répertoire de Bill Monroe et High On A Mountain d’Ola Belle Reed qui deviendra un classique du groupe en concert (avec le phasing sur le banjo). Dans la même veine traditionnelle, il enregistra plus tard les classiques Working On A Building, John Henry, Lost John, Rocky Road Blues et I Should Wander Back Tonight de Flatt & Scruggs. Hot Rize explore les diverses formes du bluegrass. La plupart des instrumentaux sont de Pete Wernick (Pow Wow The Indian Boy, Gone Fishing) mais O’Brien signe également Bluegrass Part 3 en hommage à Bill Monroe (qui avait composé Bluegrass Part 2) et le groupe enregistre aussi des classiques comme Leather Britches et Durham’s Reel. Bien Pete Wernick, athée issu d’une famille juive, rechigne à chanter des gospels, il y en a un ou deux par album choisis parce qu’ils ne sont consacrés ni à Jésus ni à la Vierge (Standing In The Need Of Prayer, Hear Jerusalem Moan, Climb The Ladder notamment). Ils sont interprétés en quartet ou en trio mais c’est surtout le duo de Tim et Nick qui marque vocalement le son de Hot Rize. Parmi les plus remarquables, on peut citer Life’s Too Short des Delmore Brothers, Are You Tired Of Me My Darling ou Footsteps So Near, une composition du duo qui sera reprise par Ralph Stanley.
Dès leurs débuts, les membres du groupe comprennent que pour marquer leur différence, il leur faut un répertoire original. Wernick est déjà connu pour ses compositions instrumentales, Forster compose un peu. Wernick encourage O’Brien à se consacrer à l’écriture, exercice qu’il pratique en fait depuis qu’il a commencé à jouer de la guitare. Dans le premier LP, Hot Rize en 1979, on remarque le formidable Nellie Kane. Il y aura ensuite notamment This Here Bottle (écrit avec Wernick), Midnight On The Highway et Hard Pressed qui ouvre l’album Traditional Ties (1985) et sonne comme un indémodable classique. D’autres compositions d’O’Brien témoignent de ses influences non bluegrass. Bending Blades au rythme décontracté a des sonorités country folk. Il y a une légère influence swing dans Untold Stories. La mandoline et le banjo à l’unisson donnent à Nellie Kane des consonnances irlandaises. Même s’il est peu prolifique pour Hot Rize (en cinq albums, le groupe n’a enregistré qu’une douzaine de ses compositions), la réputation de songwriter de Tim grandit. New Grass Revival enregistre deux de ses titres et, surtout, Kathy Mattea connait le succès dans les charts country avec Walk Away The Wind Blows et Untold Stories, signés Tim.
Dans son spectacle, à l’initiative de Tim qui ne voulait pas jouer uniquement du bluegrass, Hot Rize a développé au cours des années une partie country à l’ancienne avec guitare électrique (Forster) et lap steel (Wernick). Sawtelle est à la basse et O’Brien à la guitare acoustique et au chant. Rapidement leur vient l’idée de s’affubler de tenues vintage, de lunettes noires et de changer d’identité. Hot Rize devient ainsi Red Knuckles & The Trailblazers avec Tim en Red Knuckes. Pete, Nick et Charles deviennent Waldo Otto, Wendell Mercantile et Slade. Ils jouent de la country des années 40 et 50 (Hank Williams, Ernest Tubb, Johnny Horton, Lefty Frizzell) et un peu de western swing. Ils y mettent beaucoup d’humour. Dans la partie Red Remembers The 60s, ils transforment des passages de chansons pop et rock (Beatles, Stones) en chansons country. Ils sont parfois rejoints sur scène par Elmo Otto (Sam Bush ou Darol Anger) ou Polly Rhythm (Mollie O’Brien). Le succès des Trailblazers est presque aussi important que celui de Hot Rize, notamment en France, au point qu’un nom devient nécessaire pour désigner leurs fans : les Knucleheads.
En 1984, Tim enregistre son deuxième album solo Hard Year‘s Blues chez Flying Fish, un très beau disque dont l‘éclectisme est déjà représentatif de sa future carrière personnelle. Les instrumentaux abordent aussi bien le bluegrass (le classique Back Up And Push), la new acoustic (Land‘s End, belle composition de Tim ou il triple mandoline, mandole et fiddle) et jazz (Cotton Tail de Duke Ellington avec Darol Anger au second violon et le guitariste Pat Donohue). Parmi les trois chansons écrites par Tim, on remarque surtout The High Road, une très jolie mélodie qui annonce ses albums celtiques. Sur ce titre, il chante, joue de la guitare, de la mandoline et interprète une double ligne de fiddle envoutante. Hard Year Blues est un bon newgrass propulsé par la basse de Nick Forster qui est aussi à la Telecaster. Plus conventionnelle, Queen Of Hearts est une chanson country interprétée en duo avec Emily Cantrell (du duo folk The Cantrells). Les reprises élargissent encore ce vaste panorama musical. Il y a deux gospels (un avec Hot Rize, un avec The Whites), un très joli blues jazzy (Evening), du western swing (Good Deal Lucille avec Tim à la Telecaster et Jerry Douglas à la lap steel), du boogie honky tonk (Honky Tonk Hardwood Floor avec la même distribution) et un classique old time (Cora Is Gone).
LA “CARRiÈRE COUNTRY“ A la fin des années 80, Tim est contacté par des grandes maisons de disques qui projettent de le “lancer“ comme chanteur country. Les succès de Kathy Mattea avec ses compositions y sont bien entendu pour beaucoup (Walk Away The Wind Blows est n° 10 des charts en 1986 et Untold Stories n° 4 en 1988). Après une audition, RCA lui fait signer un contrat. Tim décide donc de quitter Hot Rize. Wernick, Forster et Sawtelle qui étaient au courant des approches des maisons de disques et savaient que Tim tenterait probablement un jour sa chance en solo, décident de ne pas le remplacer et d‘arrêter le groupe en pleine gloire. Hot Rize continue de se produire encore une année entière jusqu’au 30 avril 1990, veille du treizième anniversaire de l’entrée de Nick Forster dans le groupe. Ils enregistrent un dernier album, Take It Home. La chanson Colleen Malone reste plusieurs mois en tête des charts bluegrass dans lesquels figurent aussi Money To Run et Bending Blades. Hot Rize est élu groupe de scène de l‘année 90 aux awards de IBMA (Colleen Malone est élue chanson de l’année) et Take It Home est nommé aux Grammy Awards.
Evénement rarissime, RCA et Mercury (le label de Kathy Mattea) se mettent d‘accord pour promouvoir ensemble Battle Hymn Of Love, un duo de Tim et Kathy qui est alors une star de la musique country puisqu‘elle a été élue chanteuse de l‘année aux CMA awards en 1989. Un clip est tourné et la chanson parvient en neuvième place des charts. Tim enregistre son album country avec Nick Forster, Mark Schatz, Jerry Douglas, un batteur et un pianiste. L‘album achevé, des changements à la direction de RCA Nashville remettent en cause la politique artistique de la branche country. Les nouveaux responsables ne savent que faire du nouveau venu, sans références de ventes et dont l‘album à dominante acoustique est atypique. Ils décident donc de ne pas sortir Odd Man In. S‘ensuit une période de doute (heureusement assez courte) pendant laquelle on craint que le contrat avec RCA empêche définitivement le disque d‘être commercialisé, et même Tim d‘enregistrer à nouveau pendant quelques temps. Tim ne se démonte pas, il reste confiant et un accord est trouvé avec Sugar Hill Records qui avait publié les derniers albums de Hot Rize. Sans surprise, Odd Man In reste à ce jour le disque le plus commercial d‘O‘Brien. Sur douze des quatorze chansons, la batterie renforce le style country, de même que le piano sur la moitié des titres. Neuf ont été écrits par Tim. Les arrangements sont à dominante acoustique. Le dobro de Jerry Douglas est l‘instrument le plus en vue. L‘ensemble est efficace mais manque néanmoins de charme. Ressortent Like I Used To Do coécrit par Tim avec Pat Alger (chanson que Seldom Scene reprendra sur l‘album Like We Used To Be dont le titre est dérivé de celui de la chanson), une jolie mélodie très bien interprétée par Tim en slow country, Love On Hold avec une dynamique presque rock, Hold To A Dream déjà enregistré par New Grass Revival (tout comme One Way Street également repris ici) et Flora The Lily Of The West, très jolie murder ballad traditionnelle, arrangée avec mandole et sans batterie. C‘est le seul titre vraiment représentatif de ce que Tim fera par la suite, dès l‘album suivant, Oh Boy! O‘ Boy! (1993). Entre temps, échaudé par sa carrière country avortée, Tim tourne dans les lieux et les festivals bluegrass qui lui font un excellent accueil.
O‘ BOY Nick Forster, le parfait sideman pour Tim (multi-instrumentiste et partenaire vocal idéal) choisit d‘autres horizons. Pour le remplacer aux côtés de Mark Schatz (contrebasse, banjo old time), Tim O‘Brien recrute Scott Nygaard, connu comme guitariste virtuose (il jouait précédemment avec Laurie Lewis) et qui se révèle aussi être un bon chanteur. Oh Boy! O‘ Boy! sort comme un album de Tim O‘Brien & The O‘ Boys (Schatz et Nygaard). Jerry Douglas qui les accompagne à chaque fois que son emploi du temps chargé le lui permet se voit gratifié du titre de Honorary O‘ Boy. Une bonne moitié des chansons de Oh Boy! O‘ Boy! est marquée par l‘accompagnement de Tim à la mandoline qui tant en punch qu‘en inventivité n‘a rien à envier à celui de Sam Bush. Le premier titre, The Church Steeple, une des plus formidables compositions de Tim est joué en trio avec Schatz et Nygaard, O‘Brien doublant la mandoline d‘un très bel accompagnement de fiddle. Un couplet est consacré à l‘enterrement de son frère Trip mort au Vietnam. La mort est encore le sujet de Time To Learn. Les parents de Tim avaient également perdu une fille, la sœur ainée de Mollie et Tim. C‘est ce qui a inspiré cette chanson. Les chansons de Tim O‘Brien sont souvent basées sur des faits réels sur lesquels il brode. The Perfect Place To Hide écrite avec Keith Little sur le même album est inspirée par des personnes alcooliques de leur entourage. Musicalement, l‘album est éclectique. Il y a deux bons bluegrass (Wernick et Ron Block au banjo). When I Paint My Masterpiece de Dylan est chanté avec Del McCoury sur un rythme reggae. Schatz passe au banjo clawhammer sur deux chansons et un instrumental old time. He Had A Long Chain On est un blues jazzifié. Quant à Shadows To Light, il est construit sur une pulsation rock.
TiM & MOLLiE L‘année suivante, en 1994, Tim sort un autre monument de sa discographie, Away Out In The Mountain, en duo avec sa soeur Mollie. C‘est en fait le troisième album de Tim et Mollie et les deux premiers étaient déjà des réussites. En 1988, alors que Tim était encore membre de Hot Rize, ils avaient enregistré Take Me Back. Leurs timbres s‘associent très bien. Leur apprentissage en commun pendant leur adolescence leur a insufflé le même phrasé. Leur large registre leur permet de chanter indifféremment le lead ou l‘harmonie sans forcer leur tessiture. Ils proposent un mélange de douceur et d‘énergie et, comme ils sont frère et sœur, ils s‘épargnent les mièvreries et les roucoulades des chansons d‘amour (relativement peu nombreuses dans leur répertoire). Ils chantent généralement les couplets alternativement et les refrains ensemble. Plus exceptionnellement, ils interprètent toute la chanson en duo, notamment dans Down In The Valley To Pray sur ce premier album. Il a été enregistré en petit comité puisque Tim et Nick Forster se sont chargés seuls de tout l‘accompagnement. Sur la moitié des titres, il n‘y a d‘ailleurs qu‘une guitare pour soutenir les voix. Parmi la majorité de traditionnels composant le répertoire, figurent les plus belles réussites : le swingant Papa‘s On The Housetop, une belle version du classique Dream Of A Miner‘s Child et Sweet Sunny South qui met particulièrement bien en valeur la voix de Mollie. Les deux voix se répondent joliment sur Leave That Liar Alone et Wave The Ocean, Wave The Sea.
Malgré le bon accueil du public, ils mettront quatre ans à récidiver avec Remember Me. Les arrangements sont un peu plus fournis. La base est assurée par Tim (guitare, fiddle, mandoline, bouzouki) avec selon les titres Mark Graham (hatmonoca), John Magnie (accodéon) et un bassiste. Remember Me n‘est pas tout à fait aussi bon que Take Me Back, malgré les signatures prestigieuses de Dylan et Greg Brown (reprises de Do Right To Me Baby et Out In The Country). Il y a une jolie performance vocale sur le boogie jazzifié de Gary Davis If I Had My Way. Somebody Told The Blues est un bon blues acoustique de Mike Dowling qui avait déjà signé un titre de Old Man Inn. Le reste est agréable mais peu marquant. Away Out On The Mountain qui sort donc en 1994 est d‘une toute autre envergure. Ce sont cette fois les O‘Boys au complet (Schatz et Nygaard) qui accompagnent Mollie et Tim. Ce dernier ajoute l‘orgue à sa panoplie d‘instruments (Orphan Girl). John Magnie est à nouveau parmi les musiciens invités. L‘accordéon apporte beaucoup d‘originalité à l‘arrangement de Away Out In The Mountain, chanson tirée du répertoire de Jimmie Rodgers. Tim et Mollie enregistrent aussi deux titres de Gillian Welch, deux ans avant qu‘elle ne sorte son premier disque, Orphan Girl (déjà gravé par Emmylou Harris) et le superbe Wichita magnifiquement interprété tout en duo. Bel arrangement vocal de When I Was A Cow Boy. Le gospel swing He Lifts Me est remarquable. Il y a beaucoup d‘émotion dans l‘interprétation de la ballade Don‘t Let Me Become A Stranger et du génial That‘s How I Learned To Sing The Blues. Le rock acoustique Bad Day que le fiddle fait sonner cajun et la reprise de Price To Pay de Lucinda Williams sont d‘autres belles réussites. En résumé : un chef d’œuvre !
ROCK iN MY SHOE L’accordéon, présent depuis plusieurs albums, prend de l‘importance dans Rock In My Shoe, l‘album sorti par Tim en 1995 mais au lieu de John Magnie, c‘est l‘artiste cajun Dirk Powell (du groupe Balfa Toujours) qui en joue, notamment sur la chanson qui donne son titre au disque, et dont l‘arrangement est typiquement cajun, mais aussi dans le blues newgrass Deep In The Woods et surtout Long Distance, l‘excellent rock acoustique qui ouvre l’album. Un autre grand moment est Melancholy Moon, un swing dont le texte ironise gentiment sur quelques classiques de la country en prenant leur titre au pied de la lettre. La musique old time commence à creuser son sillon dans l‘œuvre d‘O‘Brien avec Climbin‘ Up The Mountain (banjo clawhammer et percussions par Schatz) et Jonah The Whale qui sonnerait complètement old time si le rôle habituellement dévolu au banjo n‘était tenu par le mandoloncelle d‘un O‘Brien qui se place décidément au carrefour des genres musicaux. Il y a une interprétation festive de Small Up & Down, un des deux seuls titres qu‘O‘Brien n‘a pas composés sur cet album. On y retrouve Chaz Leary de The Ophelia Swing Quartet au washboard. La mandoline et le bouzouki proposent toujours des rythmiques aussi originales que percutantes (le newgrass Out In The Darkness) avec l‘excellent soutien des O‘Boys (les fidèles Nygaard et Schatz). Côté chant, il y a deux interprétations chargées d‘émotion, celle de la jolie ballade One Girl Cried (Powell au piano) et celle du bluesy She‘s Running Away dont la tension est accentuée par le registre aigu choisi par O‘Brien pour chanter ce titre.
TiM PLAYS DYLAN Après cet album presque entièrement consacré à des compositions, Tim enregistre un disque de reprises de Bob Dylan. Il dit ne pas être un grand spécialiste de Dylan. Il ne l‘a vu pour la première fois sur scène qu‘en 1991 et encore était-ce à la cérémonie de remise des Grammies où ils étaient tous deux invités. Mais on sait aussi que Charles Sawtelle lui a fait écouter beaucoup de ses chansons pendant les tournées de Hot Rize. L‘album Red On Blonde (parodie de Blonde On Blonde de Dylan, titre du premier double album de l‘histoire du rock) est un autre chef d‘oeuvre d‘O‘Brien. Dans son album bluegrass, Up On The Ridge, Dierks Bentley a repris avec le groupe The Punch Brothers le formidable arrangement créé par O‘Brien pour la chanson Senor, avec notamment la performance de Charlie Cushman au banjo. Il a été suivi par beaucoup d’autres artistes moins réputés. L‘atmosphère particulière de la chanson est due à son accompagnement en mode mineur inhabituel en bluegrass. Red On Blonde est l‘album solo d‘O‘Brien qui contient le plus de titres bluegrass depuis le début de sa carrière solo et il a d’ailleurs été nommé aux Grammy Awards en tant qu’album bluegrass. Tombstone Blues sonne comme un classique du bluegrass et les solos de banjo (Cushman encore) placent The Wicked Messenger dans la catégorie newgrass. L‘arrangement de dobro de Jerry Douglas sur Father Of Night est royal, bien porté par une rythmique de mandoline newgrass elle aussi. La mandoline est encore à la base de la réussite de Man Gave Names To All The Animals (joué en reggae comme l‘original) et elle vient en enluminures sur Subterranean Homesick Blues chanté quasiment a capella façon rap sur fond de percussions corporelles (une des nombreuses spécialités de Mark Schatz). La fin de l‘album est largement d‘influence old time : le banjo de Schatz, le fiddle (O‘Brien) et l‘harmonica constituent l‘essentiel de l‘arrangement de Oxford Town, Maggie‘s Farm et Masters Of War.
COUNTRY & OLD TiME En 1997, la discographie de Tim connaît une résurgence d‘un style plus country. When No One‘s Around marque aussi une rupture. Mark Schatz et Scott Nygaard ont laissé la place à Darrell Scott (gtr) et Mark Prentice (bss). La batterie, présente sur tous les titres, mixée en avant, et le répertoire rapprochent ce disque de Odd Man In. L‘ambiance générale est country. Il y a de la steel sur How Come I Ain‘t Dead. Kick Me When I‘m Down, un des meilleurs titres est légèrement honky tonk. Malgré la signature conjointe de Tim et Hal Ketchum, One Drop Of Rain est décevant. Par contre, When No One’s Around scelle la collaboration de Tim avec Darrell Scott comme partenaire d’écriture. Ils avaient déjà signé ensemble Daddy’s On The Roof Again sur Rock In My Shoe. Cette fois, ils ont coécrit la chanson qui donne son titre à l‘album. Elle est suffisamment marquante pour que Garth Brooks, alors en pleine gloire, la reprenne sur son album Seven. La steel de Jerry Douglas sonne par moments comme une guitare électrique. Un habillage plus rock aurait également convenu à d‘autres titres, Don‘t Be Surprised notamment. Une seule chanson est dans la lignée des enregistrements précédents, Think About Last Night. La mélodie et la façon de chanter sont typiques du style O‘Brien. Le jeu de guitare qui rappelle celui de Scott Nygaard et le dobro de Jerry Douglas accentuent cette filiation.
Les arrangements proches de la country de When No One‘s Around tranchent avec la musique de Songs From The Mountain que Tim enregistre ensuite avec Dirk Powell et John Herrmann. C‘est la lecture du roman de Charles Frazier, Cold Mountain qui a inspiré à Tim et Dirk ce projet musical. Le roman raconte le retour d‘un soldat après la guerre de Sécession. Songs From The Mountain est un disque de musique old time composé d‘instrumentaux et de chansons cités dans le roman ou contemporains de ce dernier, auxquels le trio a ajouté quelques compositions inspirées par ce récit. Tim est l‘auteur de la valse Claire Dechutes qu‘il joue au violon. Sur le reste de l‘album, il est essentiellement à la guitare et la mandoline, Powell se concentrant sur le fiddle et Herrmann sur le banjo. Tim interprète toutes les chansons sauf Wayfaring Stranger chanté par Powell. Contrairement aux précédents disques de Tim, Songs From The Mountain n‘est consacré qu‘à un seul genre musical. Il a été très bien reçu par les spécialistes du old time, mais son retentissement a été bien moindre que ce qu’espéraient O’Brien et Powell au départ. Ils avaient imaginé une édition conjointe du roman et de l’album. Ils se sont rapidement heurtés à des problèmes de droits, malgré l’adoubement de Charles Frazier. Faute de trouver un label qui accepte de sortir le disque, Tim se résolut à créer le sien, Howdy Skies Records. Il a ensuite signé un accord de distribution avec Sugar Hill Records, sa maison de disque depuis 1985. Fin 2003, un film a été tiré du roman (intitulé Retour à Cold Mountain dans sa version française) avec Jude Law, Nicole Kidman et Renee Zellwegger. La bande originale, produite par T-Bone Burnett, est constituée de musique old time mais elle a complètement ignoré l‘œuvre d‘O‘Brien, Powell et Herrmann. Tim figure cependant sur un titre de la B.O, la chanson I Wish My Baby Was Born (et Powell est au banjo sur plusieurs autres).
NEWGRANGE En 1998, la carrière solo de Tim connait une parenthèse de six mois, le temps de l‘aventure NewGrange. Au départ, Darol Anger et Mike Marshall avaient un projet de disque de Noël, une tradition bien implantée aux Etats-Unis. Ils ont réuni autour d‘eux le contrebassiste Todd Phillips, Alison Brown, Philip Aaberg et Tim O‘Brien. Avec trois anciens membres du David Grisman Quintet (Anger, Marshall et Phillips), une banjoïste dont la carrière alterne ou mélange jazz et bluegrass, un pianiste de jazz et un multi-instrumentiste-chanteur touche à tout, le résultat promettait d‘être original. Le groupe tourna environ six mois et enregistra non pas le disque de Noël prévu mais l‘album NewGrange mariant différentes influences. Le piano d‘Aaberg s‘intègre parfaitement aux instruments bluegrass/ new acoustic. Sa complémentarité avec le banjo notamment témoigne d‘un profond travail d‘arrangement. Anger étant le violoniste du groupe et Mike Marshall le guitariste et principal mandoliniste (Brown, Phillips et O‘Brien sont également crédités à la mandoline dans le livret), la contribution musicale majeure de Tim est essentiellement au bouzouki. On l‘entend notamment en solo dans Weetabix et Under The Hood, deux bons instrumentaux typiquement new acoustic signés respectivement par Brown et Aaberg, et sur Land‘s End, une de ses propres compositions déjà enregistrée avec Hot Rize et reprise ici en duo avec un mandoliniste (probablement Marshall) en public. Tim est au banjo old time sur Music Tree, chanson coécrite avec Darrell Scott.
En 2006 est sorti un second album, le disque de Noël initialement prévu, intitulé A Christmas Heritage. On y retrouve le même mélange new acoustic/ newgrass, avec cependant moins de cohérence, ne serait-ce que parce que certains titres sont joués en solo (par Aaberg et Marshall). Beaux arrangements de Shalom Aleichem et Pat-a-pan (en trio mandoline-mandole-mandoloncelle). On n‘échappe pas évidemment à quelques grands classiques de Noël, parmi lesquelles Greensleeves chanté par Tim. In The Bleak Winter est un autre traditionnel, moins connu. La meilleure chanson est un titre écrit par Tim intitulé New Grange, à l‘arrangement assez bluegrass et que Tim accompagne au bouzouki.
TiM L‘iRLANDAiS Tim O‘Brien a découvert la musique irlandaise en entendant le fiddler Kevin Burke interpréter My Sailor‘s Bonnet sur un disque d‘Arlo Guthrie datant de 1973. Il n‘a cessé ensuite de s‘intéresser à cette musique dans laquelle le bluegrass et la musique old time ont de profondes racines. Il a joué de la musique irlandaise à chaque fois que l’occasion s’est présentée, à Boulder avant la formation de Hot Rize, et à Minneapolis juste avant de se marier avec Kit. Arrivé à la quarantaine, il a également commencé à se passionner pour ses origines irlandaises. Son arrière-grand-père, Thomas O‘Brien, est arrivé aux Etats Unis en 1851. Plusieurs tournées ont mené Tim en Irlande, un pays qu’il avait visité dès 1976. Plutôt que de consacrer un album à la musique irlandaise (ce que, en toute modestie, il se considérerait probablement incapable de réussir), Tim O‘Brien a voulu avec The Crossing paru en 1999 mélanger musique irlandaise et américaine. Le répertoire comprend donc des chansons et instrumentaux traditionnels et folk venant des deux côtés de l‘Atlantique et des compositions inspirées par l‘Irlande. Lost Little Children est une belle chanson sur l‘immigration irlandaise. John Riley, co-écrit avec Guy Clark traite d‘un déserteur de l‘armée américaine d‘origine irlandaise lors de la guerre contre le Mexique. Talkin‘ Cavan conte l‘arrivée de Tim dans la contrée de ses ancêtres. Dans la même démarche de mélange des cultures, The Crossing associe musiciens américains et spécialistes de la musique celtique. Certains sont irlandais : le groupe Altan au grand complet, Ronan Browne du groupe Cian et Frankie Gavin (De Dannan). Seamus Egan est membre du groupe américain Solas, spécialisé dans la musique irlandaise. Si beaucoup de titres sonnent irlandais grâce à la flute, aux uileann pipes et au bodhran, les musiciens américains s‘intègrent parfaitement à cet univers. Darrell Scott est à la guitare sur la majorité des titres. Edgar Meyer, Stuart Duncan, Dirk Powell sont également présents. Tim se partage entre mandoline, guitare, fiddle et bouzouki. Son instrumental, The Crossing, est magnifique.
Two Journeys en 2002 approfondit la quête des racines irlandaises, trouvant des prolongements chez les Beatles (Norwegian Wood arrangé avec cornemuse et pipeau mais malheureusement pas idéal pour la voix de Tim) et dans la musique cajun avec la chanson Two Journeys de et avec les membres du groupe Balfa Toujours. Le thème de l‘émigration fait le lien entre les descendants des pionniers irlandais et français, renforcé par l‘arrangement qui utilise bien entendu l‘accordéon (Powell) et le fiddle commun aux deux cultures mais aussi le low whistle, instrument typiquement irlandais. C‘est la chanson la plus émouvante de l‘album, peut-être pour nous à cause des paroles en français, mais surtout grâce à l‘interprétation de Courtney Granger, vingt ans à peine lors de l‘enregistrement mais deux siècles de mélancolie dans la voix. Turning Around, dédié à John Hartford qui venait de décéder, For The Fallen inspiré par la guerre du Kosovo mais qui pourrait s‘appliquer au conflit irlandais, la jolie mélodie de The Holy Well, le festif et autobiographique Me and Dirk‘s Trip To Ireland sont de nouvelles manifestations du talent de songwriter de Tim. Accordéon, flutes, fiddles, cornemuse et mandole y trouvent naturellement leur place grâce à de nouveaux musiciens talentueux. Aux côtés du fidèle Darrell Scott, ce sont d‘éminents spécialistes de la musique irlandaise qui accompagnent O‘Brien sur scène : John Williams (Solas), Kevin Burke (Bothy Band, Patrick Street), Michael McGoldrick (Capercaillie et Lunasa) et Karan Casey. L‘ancienne chanteuse de Solas interprète, avec Tim, Demon Lover, une variante du classique House Carpenter et What Does The Deep Sea Say ? tiré du répertoire des Monroe Brothers. Le léger vibrato de sa voix porte en elle tout l‘âme irlandaise. Par la suite, Tim a participé aux Transatlantic Sessions qui ont réuni des artistes bluegrass/ country américains et des spécialistes de la musique irlandaise et écossaise, dirigés par Jerry Douglas et le fiddler écossais Aly Bain. Tim a notamment chanté et joué avec Eddi Reader, Aly Bain et Paul Brady.
DARRELL SCOTT Comme s‘il fallait absolument changer de formule à chaque album, Tim enregistre ensuite un album avec Darrell Scott. Tim et Darrell se sont rencontrés fin 1995, à l’initiative de leurs maisons d’édition, dans la grande tradition nashvillienne du cowriting. Ils se sont découverts à la fois des affinités et des qualités complémentaires, Darrell montrant notamment à Tim comment se servir davantage de détails biographiques dans l’écriture. De là est née une véritable amitié. Leur premier disque, Real Time, sorti en 2000, est joué et chanté intégralement en duo, formule qu‘ils ont utilisée sur scène pendant trois années. A part la reprise de Little Sadie, sur laquelle Kenny Malone est aux percussions, il n‘y a que Tim et Darrell sur chacun des morceaux. Rétrospectivement, ce qui est marquant dans Real Time, c‘est la destinée de deux titres, More Love écrit par Tim et Long Time Gone de Darrell qui figurent deux ans plus tard sur Home, l‘album des Dixie Chicks qui a fait d‘elles le groupe féminin le plus vendeur au monde. Long Time Gone est monté jusqu‘en seconde place dans les charts et a remporté en 2003 le Grammy Award comme « Best Performance By A Duo Or A Group With Vocal ». Les Dixie Chicks en ont remporté trois autres cette année-là et Darrell Scott a été nommé pour l‘award du meilleur songwriter. Les Dixie Chicks avaient fait de bons choix mais, parmi les chansons de Real Time, elles auraient tout aussi bien pu opter pour les formidables With A Memory Like Mine ou There‘s No Easy Way de Darrell Scott, Five Rooms, blues écrit par Tim avec Robin et Linda Williams, ou encore Walk Beside Me, la belle chanson cosignée Scott-O‘Brien qui ouvre l‘album. Malgré la formule réduite du duo, l‘album est varié, grâce aux qualités de multi-instrumentistes des deux compères. Sur le quasi instrumental The Second Mouse, ils s‘amusent chacun son tour à des citations musicales pendant que l‘autre change d‘instrument. Les voix de Tim et Scott s‘harmonisent bien, que ce soit sur des compositions originales ou des reprises comme le traditionnel Little Sadie ou le gospel Keep Your Lamp Trimmed And Burning, déjà enregistré avec Hot Rize. La collaboration de Tim et Darrell s’est prolongée puisque, en 2012, est sorti We’re Usually Better Than This, composé d’extraits de concerts du duo enregistrés en 2005 et 2006, témoignage de la complicité des deux artistes. Ils reprennent quatre titres de Real Time, des morceaux de leur répertoires respectifs dont le beau Mick Ryan’s Lament datant de la période irlandaise de Tim et When There’s No One Around du début de sa carrière solo. Ils s’offrent quelques reprises gourmandes, Early Morning Rain de Gordon Lightfoot joliment chanté par Tim, une version de White Freightliner Blues (Townes van Zandt) pleine d’énergie et un Will The Circle Be Unbroken magnifiquement bluesy. We’re Usually Better Than This annonçait en fait leur second disque studio paru l’année suivante en 2013, Moments and Memories. Scott et O’Brien y montrent une belle complémentarité vocale, notamment dans le mélancolique The Well, une des quatre compositions de Tim et dans le prenant Angel’s Blue Eyes signé par Darrell. Time To Talk To Joseph et You Don’t Own Me sont deux chansons uptempo typiques de l’écriture de Tim, accompagnées banjo-guitare. Plusieurs autres morceaux sont arrangés guitare-bouzouki. O’Brien et Scott reprennent Brother Wind dans une version dépouillée que j’ai préféré à l’original paru dans Rock In My Shoe.
LE VOYAGEUR Paru en 2003, Traveler est sans doute à cette date l’album le plus autobiographique de Tim O’Brien. Lui-même, constamment sur les routes depuis la formation de Hot Rize en 1978 (environ 1400 concerts en treize années d’existence) se définit comme un voyageur. Plusieurs textes sont narrés à la 1ère personne du singulier ou du pluriel (Kelly Joe’s Shoes, Travelers) et semblent réellement liés à la vie de l’auteur. Tim a écrit onze des douze chansons de Traveler. I‘ve Endured d‘Ola Belle Reed est la seule reprise et elle est magnifiquement chantée par Tim. Le disque a été enregistré avec le groupe de tournée, soit Dennis Crouch (contrebasse), Casey Driessen (fiddle), Dirk Powell (basse, banjo, accordéon) et John Doyle, autre ancien de Solas, qui a remplacé Darrell Scott à la guitare. La présence d‘un fiddler concentre Tim dans le rôle de mandoliniste mais il alterne aussi guitare et bouzouki avec Doyle. Le voyage, bien évidemment, mais aussi la vie de couple et la mort sont les principaux thèmes des chansons. Il y a une belle collection de très jolies mélodies : Restless Spirit Wandering, On The Outside Looking In, Travelers, Kelly Joe‘s Shoes notamment. Et quand la mélodie est un peu moins accrocheuse, c‘est l‘arrangement qui fait l‘intérêt de la chanson (le newgrass Family History) avec l‘apport de Jerry Douglas, Bélà Fleck ou de l‘harmoniciste Ray Bonneville. Partout, les percussions subtiles et originales de Kenny Malone brouillent les pistes pour nous empêcher d‘étiqueter les chansons dans un genre musical particulier.
Le titre Traveler est donc emblématique de la personnalité de Tim O‘Brien. Ce dernier donne beaucoup de concerts à travers le monde, changeant souvent de formule. Très gourmand et fin gourmet (s‘il n‘avait pas été chanteur et musicien, il aurait aimé être cuisinier), il en profite pour découvrir la cuisine des quatre coins du monde, avec une prédilection pour les fruits de mer. Tim s‘est souvent produit en duo avec sa sœur Mollie et plus tard avec Darrell Scott, avec Arty McGlynn, avec Bryan Sutton et plus récemment avec Jan Fabricius. A la fin des années 90, après la formule en trio des O‘ Boys, Tim a tourné avec Jeff White, Charlie Cushman, Mark Schatz et Jerry Douglas sous le nom des Flattheads. Sa période celtique l‘a vu accompagné par de prestigieux spécialistes de cette musique, comme l‘ancienne chanteuse du groupe Solas, Caran Casey et le guitariste John Doyle entre autres. En 2009, deux autres spécialistes de la musique irlandaise, Gerry Paul du groupe Grada et Trevor Hutchinson, membre de Lunasa, l‘ont accompagné en Nouvelle-Zélande. Il existe un témoignage discographique de cette tournée, Two Oceans Trio. Tim a également utilisé une formule proche du bluegrass comprenant Bryan Sutton, Stuart Duncan et Mike Bub. Il lui est aussi arrivé de partager la scène avec l‘ex-Blasters Dave Alvin et le songwriter Chris Smither. Il est souvent venu en Europe, parfois en solo (chez Maria & Heri à Barcelone) ou avec des partenaires occasionnels comme le groupe Turquoise à Vichy. Tim a également accompagné un temps Steve Earle. En 1999, Earle avait enregistré un album avec le groupe de Del McCoury mais des mésententes apparurent après deux mois de tournée et le manager de Earle s’adressa à Tim pour monter un groupe bluegrass qui permette d’achever la tournée selon la volonté de Steve Earle. Tim contacta Dennis Crouch (basse), Darrell Scott (banjo) et Casey Driessen (fiddle) jouant dans des festivals bluegrass comme country. Plus prestigieuse encore est sa participation au groupe de Mark Knopfler. Pendant plusieurs semaines, il a joué de la mandoline sur Brothers In Arms, du bouzouki sur Telegraph Road, du banjo clawhammer sur Marbletown et chanté Sailing To Philadelphia avec Knopfler.
TiM LE MUSiCiEN Mais l‘une des formules scéniques les plus utilisées par Tim O‘Brien est la prestation en solo. A tel point qu‘il a ainsi conçu Chameleon, son album sorti en 2008. Tim chante les seize titres, tous écrits par lui-même, en s‘accompagnant seul à la guitare, à la mandoline, à la mandole, au bouzouki, au banjo old time et même sur deux titres au fiddle. Les swingants Where Love Comes From (pourtant écrit à la suite du décès de sa mère) et Father Forgive Me, le joyeux This Love Was Made For Everyone, le boogie When In Rome, le mélancolique The Only Way To Never Hurt et Nothing To Say ressortent d‘un ensemble réussi. Tim indique l‘instrument utilisé pour chaque titre. Sans surprise, il joue les titres en fingerpicking sur une Gibson J-45 (fabriquée en 1943) et les chansons en flatpicking sur une Martin, un modèle 00-18 datant de 1937. Martin a sorti une série limitée (100 exemplaires) sur le modèle de la guitare de Tim. Tim a revendu à un ami, il y a déjà plusieurs années, la D-28 acquise avec l‘héritage de Trip et avec laquelle il a effectué de nombreux enregistrements mais qui avait beaucoup souffert. Cinq titres de Chameleon sont interprétés au bouzouki (même nombre à la guitare), un instrument que Tim a commencé à utiliser pour Oh Boy O’Boy en 1993 et qui n‘a cessé de prendre de l‘importance dans sa carrière, particulièrement pendant la période où ses albums ont été fortement influencés par la musique irlandaise. Il utilise également deux modèles différents, des marques Nugget et Davidson, de fabrication récente. De façon surprenante, alors que ça reste son instrument de prédilection, il n‘y a que le swing Get Out There And Dance que Tim joue à la mandoline sur Chameleon. Il est un des rares mandolinistes bluegrass à utiliser un instrument de type A (sans volute). Il joue le même instrument depuis ses débuts avec Hot Rize, une Nugget A-5. Il s‘agissait pour lui à l‘origine d‘acquérir un instrument de qualité qui soit moins onéreux que les Gibson qui font autorité parmi les mandolinistes bluegrass (mais qui coûtent le prix d’une maison). C‘est aussi le signe chez O‘Brien d‘une belle assurance, les mandolines en forme de poire étant parfois moquées dans le milieu bluegrass parce que assimilées à la mandoline italienne. Les maîtres de la mandoline bluegrass (Monroe, Grisman, Jesse McReynolds, Bobby Osborne, Sam Bush) ont tous utilisé des instruments de forme F. La marque Collings commercialise une mandoline Tim O‘Brien basée sur le modèle de Tim, mais avec un manche moins large et une touche incurvée. Le plus gros du travail de lutherie est en fait effectué par Nugget qui envoie ensuite les pièces à Bill Collings pour l‘assemblage et la finition. Comme ses guitares, la mandole et le fiddle de Tim sont des instruments anciens. Sa mandole est une prestigieuse Gibson Lloyd Loar de 1924 et son violon un Carlo Micelli de fabrication allemande datant de 1922. L‘album Chameleon permet plus qu‘aucun autre d‘apprécier les qualités d‘accompagnateur de Tim. De ses débuts en fingerpicking, il a gardé l‘habitude de jouer avec la main droite ouverte, laissant les doigts qui ne tiennent pas le médiator brosser les cordes lors de l‘accompagnement, ce qui lui donne un son particulier.
FiDDLER‘S GREEN/ CORNBREAD NATION Avant Chameleon, en 2005, étaient sortis simultanément Fiddler‘s Green et Cornbread Nation. Fiddler‘s Green a remporté en 2006 le Grammy Award du meilleur album folk. Il présente un large éventail des influences de Tim. On passe d‘une ballade à un quasi bluegrass puis à une très belle chanson aux relents celtiques (Fiddler‘s Green de Pete Goble). On persiste dans l‘irlandais mais on met aussi un pied dans la musique new acoustic avec une suite instrumentale comprenant Land‘s End, composition de Tim dont c‘est la troisième version après celles de Hot Rize et New Grange. Fair Flowers Of The Valley avec Mollie évoque leurs albums en duo. Buffalo Skinners et A Few More Years que Tim chante seul en solo en s‘accompagnant à la guitare ou au violon annoncent l‘album Chameleon. Tim interprète deux classiques de la musique nord-américaine, Long Black Veil et Early Morning Rain de Gordon Lightfoot où la mandoline de Chris Thile se fait latine. Look Down That Lonesome Road bénéficie de l’arrangement le plus bluegrass (avec Dan Tyminski, Charlie Cushman et Jerry Douglas) et a été élu chanson de l’année 2006 par IBMA
Plus varié que Fiddler‘s Green, Cornbread Nation est aussi à cette date le disque le plus électrique de Tim O‘Brien, sans cependant jamais être rock, à peine country rockabilly sur Hold On et boogie avec légèreté sur Cornbread Nation, deux des meilleurs titres du disque. Kenny Vaughan est à la guitare électrique sur sept morceaux et Tim sur un huitième. Il y aussi de la steel et de la lap steel. Pour la première fois dans la discographie de Tim, le saxophone fait son apparition (Cornbread Nation et une version jazzy du traditionnel Foggy Foggy Dew). Le répertoire est d‘ailleurs composé de traditionnels à l‘exception de deux compositions de Tim et les reprises de California Blues (Jimmie Rodgers) et Busted (en blues désabusé). On trouve aussi dans cet album du bluegrass, parfois mâtiné d‘old time, du cajun en anglais, du blues et de l‘inclassable (Boat Up The River, autre réussite de ce disque).
TiM SiDEMAN BLUEGRASS En 2006, treize ans après sa première récompense, Tim O‘Brien a été pour la seconde fois élu chanteur de l‘année par IBMA, ce qui peut paraître surprenant pour un artiste qui enregistre très peu de bluegrass sur ses propres albums, même si cette année-là, il y en avait un peu plus sur Fiddler‘s Green. C‘est que la carrière bluegrass de Tim continue en dehors de sa discographie personnelle. Sans qu‘il puisse être considéré comme un musicien de studio, on le demande comme fiddler, mandoliniste ou chanteur. On lui réclame des chansons et on l‘appelle pour produire des albums. Dès 1986, il produit le premier album de Laurie Lewis, Restless Rambling Heart où il apparait sur presque tous les titres et, l’année suivante, il produit le premier LP de sa sœur Mollie. On a pu entendre Tim sur des disques en hommage à Butch Baldassari, Bill Monroe et Tut Taylor. Sur celui consacré à John Hartford, il interprète une émouvante version de Gentle On My Mind, le grand succès d‘Hartford, en duo avec Kathy Mattea. Il s‘est fait une semi-spécialité de reprises de titres rock en version bluegrass/ acoustic. Sa splendide version de Hey Joe (connue par Jimi Hendrix) sur l‘album Slide Rule de Jerry Douglas a fait sensation à sa sortie, d‘autant qu‘elle est parue à peu près à la même époque que celle, tout aussi originale et décalée de Willy DeVille. Tim a aussi interprété Can‘t Find My Way Home de Blind Faith sur un disque de Rob Ickes et pas moins de trois titres sur Moody Bluegrass, album consacré à des reprises bluegrass de titres des Moody Blues.
Mais la plupart des chansons interprétées par Tim sur les albums des autres sont typiquement bluegrass. La version de Dan Tyminski de Man Of Constant Sorrow a fait le tour du monde grâce au film O Brother, mais celle de Tim sur un disque de Tony Furtado mériterait pour le moins pareille renommée. Parmi les plus remarquables interprétations bluegrass de Tim, on citera le traditionnel Cindy sur un album de Peter Wernick, le magnifique Butcher Boy aux côtés d‘Aubrey Haynie et une merveille de duo avec Valerie Smith intitulée Oh Mandolin. La liste de ses interventions en harmonies vocales, à la mandoline ou au fiddle pourrait remplir une, voire plusieurs, pages du Cri. Il a enregistré avec des dizaines d’artistes bluegrass aussi divers que Ralph Stanley, Peter Rowan, Béla Fleck, les jamgrasseux de Yonder Mountain String Band ou de jeunes chanteuses et musiciennes comme Sarah Jarosz et Sara Watkins. Pendant le confinement, il a a fait une escapade pour enregistrer quelques prises sur l’album bluegrass de Sturgill Simpson, Cuttin’ Grass. La musique de Tim ayant un pied dans le old time, il figure également sur des albums de Riley Baugus (dont il a produit l’album Long Steel Rail), Art Stamper et Adrienne Young. Sa plongée dans la musique irlandaise l‘a amené à enregistrer avec The Chieftains (Shady Grove, Brother Wind), John Doyle et même à produire un album du groupe Grada. Les interventions de Tim s‘étendent aussi à la country (Kathy Mattea, Dwight Yoakam, Trisha Yearwood), à la new acoustic music (Wayfaring Strangers, Darol Anger), au folk (producteur de Migrations de The Duhks), à l’americana (producteur d’albums de Ranch Romance et Rust Farm), aux songwriters (Guy Clark, Jim Lauderdale, Stan Ridgway) et au blues (Mary Flower).
LE SONGWRITER Chicken & Egg, paru en juillet 2010, a été enregistré en quatre jours avec Bryan Sutton, Stuart Duncan, Mike Bub et Dennis Crouch. On y retrouve une large proportion de compositions personnelles. Depuis ses débuts avec Hot Rize, O‘Brien a montré sa capacité à écrire des chansons intemporelles (à commencer par Nellie Kane) dont les textes s‘inscrivent parfaitement dans l‘esthétique bluegrass. Ses influences en matière de songwriting sont cependant très variées, allant des piliers de la musique country (Jimmie Rodgers, Hank Williams) aux songwriters issus de la mouvance folk (Dylan, Tom Paxton, Joni Mitchell, Gordon Lightfoot) en passant par les Beatles, George Gershwin et Cole Porter. Au fur et à mesure des années, et notamment suite à sa collaboration avec Darrell Scott, il a personnalisé ses chansons, s‘inspirant d‘éléments biographiques pour écrire des textes à la portée plus générale, tels Graveyard et I‘m Not Afraid Of Dyin‘ dans le présent album, suite au décès récent de son père. Avec le temps, Tim a aussi insufflé de l‘humour à ses textes comme dans You Ate The Apple qui raconte l‘histoire d‘Adam et Eve du point de vue de leur créateur. Melancholy Moon, Talkin‘ Cavan sur de précédents albums maniaient déjà l‘humour. Il y a aussi sur Chicken & Egg Le magnifique Sun Jumped Up, un texte de Woody Guthrie qui apparait tout à fait moderne, mis en musique par Tim. Guthrie (comme John Prine avec lequel il a chanté Paradise dans un de ses albums en duo avec Darrell Scott) est un modèle pour O‘Brien concernant l‘écriture de chansons porteuses d’un message en filigrane, comme Nothing To Say sur l‘album Chameleon. On note aussi dans Chicken & Egg que la chanson Mother Mary, une des meilleures du disque, a été coécrite avec Martie McGuire des Dixie Chicks. L‘écriture en commun est très courante à Nashville. Tim l‘a largement pratiquée au cours de sa carrière. En plus de Darrell Scott, Tim a composé avec des songwriters renommés comme Pat Alger et Chris Stapleton des Steeldrivers et d‘autres beaucoup plus obscurs comme Danny Sheerin, musicien bluegrass irlandais rencontré sur un bateau. Sheerin ayant demandé à O‘Brien comment il s‘y prenait pour écrire des chansons, Tim lui a proposé d‘en écrire une à partir d‘un bon titre qu‘il avait trouvé, The Only Way To Never Hurt, qui a été enregistrée sur l‘album Chameleon. Outre les Dixie Chicks et Garth Brooks, les compositions de Tim ont été reprises par de nombreux artistes aussi divers que Nickel Creek (When You Come Back Down), Phish (Nellie Kane), Maura O’Connell (Time To Learn), Dan Tyminski avec Union Station (On The Outside Looking In), Darin Aldridge (Late In The Day) ou Greensky Bluegrass (Climbin’ Up A Mountain).
RETOUR AU BLUEGRASS On a vu que dans la discographie personnelle de Tim O’Brien, le bluegrass était peu présent (un peu dans Red On Blonde, un peu plus dans Fiddler’s Green), sinon comme une de ses nombreuses influences. La période 2014-2019 a été marquée par un retour en force du bluegrass dans la carrière de Tim O’Brien. Depuis la séparation de Hot Rize en 1991, le groupe s‘est retrouvé pour jouer à diverses occasions et même pour une série de concerts en 1996. Leur enregistrement a donné naissance au CD So Long A Journey paru en 2002 et dédié à Charles Sawtelle, décédé entre temps d‘une leucémie. En 2007, le groupe s’est réuni à l‘occasion du mariage de l‘acteur (et banjoïste) Steve Martin, avec Bryan Sutton à la guitare (et Swaid à la place de Slade comme bassiste des Trailblazers). Hot Rize s‘est ensuite produit à plusieurs reprises avec cette formation. Sutton, le plus brillant guitariste bluegrass du début des années 2000, était fan de Hot Rize pendant son adolescence et c‘est le seul groupe dont il ait jamais rêvé de faire partie. C’est avec lui que Hot Rize enregistre When I’m Free en 2014. Le groupe ne reprend pas tout-à-fait le bluegrass là où il l’a laissé 23 ans plus tôt. Trois compositions de Tim, le blues Blue Is Fallin’, You Were On My Mind This Morning avec une introduction voix-mandoline et Clary Mae, sont à mi-chemin entre son style personnel et celui de Hot Rize. L’instrumental Glory In The Meeting House avec Sutton au banjo clawhammer n’est pas non plus typique du groupe. Mais on retrouve bien Hot Rize dans Western Skies (écrit par O’Brien et Forster) et I Never Met A One Like You, très bonne adaptation bluegrass d’un titre de Mark Knopfler. Ils reprennent aussi une chanson de Los Lobos, Burn It Down, interprétée par Nick Forster. Hot Rize enregistra ensuite en 2018 40th Anniversary Bash pour son quarantième anniversaire. La présence du public semble doper plusieurs classiques du groupe (Hard Pressed, Wichita Lineman, The High Road, Radio Boogie). D’autres ne valent pas (vocalement surtout) les versions studio (Blue Night, Nellie Kane) mais les quatre chansons issues de l’album When I’m Free sont bien meilleures en public, sans doute bonifiées par le rodage de la scène.
Le bluegrass rattrape également Tim avec la formation de The Earls of Leicester (prononcez Earls of Lester pour apprécier le jeu de mots). Le groupe a été monté par Jerry Douglas pour jouer la musique de Flatt & Scruggs après qu’il a été invité sur l’album que Charlie Cushman (banjo) et Johnny Warren (fiddle) ont consacré à Paul Warren, père de Johnny, qui fut pendant 15 ans le fiddler de Flatt & Scruggs. Le projet est de jouer le répertoire de Flatt & Scruggs & The Foggy Mountain Boys le plus fidèlement possible. Avec Cushman dans le rôle de Scruggs, Johnny Warren dans celui de son père et lui-même en Josh Graves, Jerry Douglas fait appel à Barry Bales à la contrebasse, Shawn Camp pour prendre la place de Lester Flatt et Tim O’Brien pour celle de Curly Seckler. Pour se démarquer de Bill Monroe & The Bluegrass Boys, Flatt & Scruggs avaient quasiment limité la mandoline à un rôle rythmique et, dans le premier album des Earls Of Leicester qui comprend quatorze titres, Tim se contente judicieusement d’un unique et court solo dans Some Old Day. Son rôle principal est de chanter l’harmonie tenor. Il interprète néanmoins en lead Dig A Hole In The Meadow. L’album remporta le Grammy Award comme album bluegrass de l’année en 2015 mais Tim laissa rapidement sa place à Jeff White car le succès des Earls Of Leicester et le plaisir qu’ils prennent sur scène amène la formation à tourner, ce qui est incompatible avec la promotion de l’album de Hot Rize.
Il faut se transporter en 2019 pour entendre le dernier volet de ce retour au bluegrass. L’album s’appelle tout simplement Tim O’Brien Band et le groupe en question est composé de Shad Cobb (fiddle), Mike Bub (contrebsse), Patrick Sauber (banjo, mandoline) et Jan Fabricius (mandoline). Tim est pour la première fois de sa carrière (à 65 ans) le guitariste du groupe. Un choix sans doute imposé par sa volonté de laisser la place de mandoliniste à Jan, sa compagne depuis 2012. Il est même vraisemblable que Tim ait formé le groupe dans le but de jouer avec elle. Jan était déjà présente mais seulement en harmonie vocale dans les deux précédents albums de Tim, Pompadour et Where The River Meets The Road.
TIM & JAN Tim et Jan s’étaient rencontré plusieurs fois au festival de Winfield et avaient eu une brève liaison bien des années auparavant. Tim avait continué de donner de ses nouvelles à Jan sans que cette dernière lui réponde. Kit O’Brien étant tombée par hasard sur un de ces messages, Tim lui a tout avoué, ce qui a précipité la fin d’un mariage qui battait déjà de l’aile. Tim et Jan ont entamé une vie commune un an plus tard, en 2010, et Tim a rapidement trouvé du plaisir à partager des moments musicaux avec sa nouvelle compagne. Elle avait donc participé aux albums Pompadour en 2015 et Where The River Meets The Road en 2017.
Pompadour est marqué par le changement de vie de Tim O’Brien. C’est son premier disque solo depuis qu’il a quitté Kit et s’est installé avec Jan. Les chansons parlent de rupture (The Tulips On The Table, I Gotta Move), de volonté d’oublier (Gimme Little Somethin’ Take Her Off My Mind), mais aussi de son nouvel amour bien que ça ne semble pas aller tout seul (I’m A Mess For You). Malgré les thèmes, comme souvent chez Tim O’Brien, l’ensemble est plutôt allègre, sinon gai, et sa mélancolie est toujours sereine (le très beau Whatever Happened To Me). Musicalement, Pompadour ressemble à un défouloir et les arrangements sont encore plus inhabituels dans l’œuvre de Tim que ceux de Cornbread Nation. Il y a beaucoup de guitare électrique, de batterie, de claviers et de steel. Le jazzy Pompadour est dominé par la trompette et le vibraphone. Tim finit la chanson dans un mélange de yodle et de scat. Il se défoule sur sa mandoline dans Ditty Boy Twang. Il joue formidablement le fiddle tune Snake Basket sur une batterie syncopée avec des guitares électriques au fond de l’arrangement. L’effet est superbe. Il reprend Get Up Offa That Thing de James Brown dans une version newgrass-funk rythmée par son banjo old time, sans batterie ni percussion ! Quant à Gimme Little Something…, c’est le titre le plus rock du répertoire de Tim, avec piano, solo de guitare électrique (Tim) et fond de cuivres.
Where The River Meets The Road, en 2017, est le seizième solo album de Tim. Cet album a un concept. Les douze chansons, par leur origine, se rapportent à son état natal, la Virginie Occidentale. Il n’y a que deux compositions personnelles, toutes deux liées à l’histoire familiale des O’Brien. Where The River Meets The Road raconte l’arrivée et l’installation de son arrière-grand-père à Wheeling. Guardian Angel est une des chansons les plus émouvantes qu’a écrites Tim. Les biographies qui lui sont consacrées mentionnent toutes le décès de son frère Trip au Vietnam. On savait moins jusqu’à l’écriture de Guardian Angel que la famille O’Brien avait eu la douleur de perdre une petite fille, Brigid, à l’âge de six ans quand Tim n’en avait que deux, même si ce dernier avait déjà évoqué cet épisode tragique dans Time To Learn sur l’album Oh Boy ! O’ Boy ! Il n’en a aucun souvenir mais il décrit dans la chanson comment elle a existé dans sa vie et il en fait son ange gardien. Le texte est simple mais il touche profondément l’auditeur. La participation de Mollie rend la chanson encore plus émouvante. Les autres chansons ont été écrites par des auteurs originaires de Virginie Occidentale. Il y a trois arrangements bluegrass -avec Noam Pikelny, Mike Bub et Stuart Duncan- dont High Flying Bird qu’avait interprété Jefferson Airplane, chanté avec Chris Stapleton. Un autre titre fort est le swing Friday, Sunday’s Coming emprunté aux Lilly Brothers, avec une autre magnifique intervention de Molly
Dans Pompadour et Where The River Meets The Road, Jan Fabricius chante en harmonie avec Tim sur la moitié des chansons avec de jolies réussites (Whatever Happened To Me notamment). Tim aime beaucoup chanter et jouer des fiddle tunes avec elle. Jan se met sérieusement à la mandoline, ce qui amène donc Tim à jouer de plus en plus de guitare et c’est donc principalement avec cet instrument qu’il enregistre en 2019 The Tim O’Brien Band. Ce n’est pas un chef d’œuvre mais il y a trois chansons typiques du style de Tim interprétées dans un contexte bluegrass : Crooked Road, Beyond (deux compositions personnelles) et My Love Lies In The Ground de Dirk Powell. Pour Crooked Road, j’avais préféré la version voix-guitare sur l’album Chameleon qui était plus dynamique. Le groupe fait une excellente adaptation de Pastures Of Plenty de Woody Guthrie. Il y a un joli duo de fiddles (O’Brien et Cobb) dans un medley celtique et Tim passe à la mandoline pour La Gringa Renee, instrumental original entre Balkans, Moyen-Orient et Espagne (Bryan Sutton est à la guitare sur ce morceau). Le titre de cette composition de Tim parait bizarre mais l’écoute attentive des paroles de I’m A Mess For You (sur l’album Pompadour) semble indiquer que Renee est le second prénom de Jan. C’est sur Doney Gal et Amazing Love que Tim et Jan chantent le mieux ensemble. Jan a coécrit The Other Woman avec Tim.
Pour He Walked On Tim O’Brien revient à sa formule habituelle, associant compositions et reprises arrangées dans une large variété de styles. He Walked On a été enregistré entre octobre 2020 et janvier 2021 et c’est thématiquement un album post-Covid. La longue période de confinement avec l’annulation des concerts et des festivals n’a pas été facile pour les musiciens. Tim en a souffert et, en même temps, il s’est rendu compte qu’il n’était pas le plus mal loti. Nervous traite du mal être et des nouvelles technologies dans nos sociétés modernes, mais à la manière de Tim O’Brien, c’est-à-dire sur un air de swing égayé par le fiddle virevoltant de Shad Cobb. The Same Boat Brother, léger et jazzy, superbement chanté, constate avec le même décalage entre paroles et musique que nous sommes tous embarqués sur le même bateau. Pushing The Buttons est une valse blues avec fiddle et steel sur l’informatique qui rend nos vies étriquées. La responsabilité individuelle est le thème de That’s How Every Empire Falls. Le reggae When You Pray (Move Your Feet) est musicalement cousin de la période Slow Train Coming de Bob Dylan, avec l’orgue et les chœurs féminins (Odetta Settles et Jan Fabricius). On retrouve ces très beaux chœurs dans plusieurs chansons dont He Walked On où Tim joue de la guitare (acoustique et électrique), du bouzouki, du fiddle et de la mandole. La balade Can You See Me Sister est un beau texte sur le destin lié à la couleur de peau que font vibrer la guitare de Tim et le piano de Mike Rojas. Ce dernier est à l’accordéon, en soutien de la mandole et du mandocello de Tim dans El Comedor, chanson prenante sur l’immigration mexicaine. Pas de bluegrass dans He Walked On mais du old time (I Breathe In avec Tim au banjo) et du square dance (Sod Buster). C’est le plus engagé des disques de Tim O’Brien, le plus à l’écoute du monde qui entoure la petite communauté bluegrass et americana. Une ouverture, un engagement confirmés par la collaboration de Tim à Borrowed Time, album de Joe Troop, banjoïste préoccupé de questions environnementales et sociales, sorti la même année que He Walked On, en 2021. Tim joue ou chante dans Hermano Migrante, (autre titre sur les migrants) et deux chansons critiquant la société américaine, Love Along The Way et Red, White & Blues.
Signe que l’écriture des chansons a pris une place prépondérante dans la carrière de Tim O’Brien, il a écrit les treize chansons de Cup Of Sugar, paru en juin 2023. Elles sont dans l’ensemble moins engagées que celles de He Walked On. On retrouve des préoccupations écologistes dans Bear, qui pose la question de la place que nous laissons à la nature dans nos sociétés modernes. The Anchor aborde la fiabilité des infos dans les medias. Cup Of Sugar est surtout marqué par trois chansons parmi les plus humoristiques du répertoire de Tim O’Brien. Il pratique à la fois le second degré qui lui est coutumier et l’autodérision dans Cup Of Sugar, savoureux morceau de philosophie du quotidien sur ses relations avec un voisin avec lequel il partage peu de points communs. Le refrain de The Pay’s A Lot Better Too vaut d’être cité en entier (“The weather is better than six feet under and the pay’s a lot better too”). Dans Shout Lulu, un chien devenu millionnaire urine sur la statue du fondateur du Ku Klux Klan. Les autres chansons traitent plus classiquement de l’amour, souvent décevant (She Can’t, He Won’t and They’ll Never interprété par Jan, Stuck In The Middle)- et l’amitié (Goodbye Old Friend). Cup Of Sugar marque aussi le retour à des arrangements centrés sur les instruments du bluegrass et du old time. Il y a bien une steel (Russ Pahl) dans The Anchor et Stuck In The Middle. The Pay’s A Lot Better fait la part belle au piano de Mike Rojas et le blues Thinkin’ Like A Fish à son orgue mais les neuf autres chansons mettent en avant le banjo old time et la guitare de Tim, la mandoline de Jan (celle de Tim sur deux chansons), le fiddle de Shad Cobb et le banjo de Cory Walker (avec le bon soutien de Mike Bub ou Dennis Crouch à la contrebasse).
“Le champion cycliste ou le banjo ?” Avec son disque Banjo, le bluesman du Colorado revient avec un son nouveau en haute résolution et des thèmes originaux entourés d’une instrumentation non-conventionnelle. Interview par satellite sur la ligne Colorado-Paris…
Otis Taylor a passé une longue partie de sa vie à créer le style Trance Blues qui est devenu sa signature musicale, basée sur le blues mais explorant des grooves hypnotiques et de profondes improvisations. Il en a rapporté des W.C. Handy Awards et de nombreuses autres récompenses décernées par les magazines Downbeat et Living Blues. Son nouveau disque Banjo, n’est absolument pas dédié à cet instrument, mais à des événements en rapport avec sa vie et ses amis ou avec sa passion pour l’histoire des Blacks. La couverture du disque représente d’ailleurs des soldats afro-américains du début du 20ème siècle et Otis Taylor sait s’attarder comme il l’a fait sur un de ses disques précédents sur des personnages surprenants tels que Marshall Major Taylor, un afro-américain qui fut champion du monde de cyclisme en France en 1901, quand le cyclisme était plus populaire que le baseball aux USA. Enregistré à Boulder, Colorado, Banjo n’est pas un disque standard de blues en 12 mesures. Otis Taylor n’hésite pas à développer un groove à un seul accord, dans le style de John Lee Hooker ou à utiliser des violoncelles sur Little Willie. (Otis Taylor me reconnait sur l’écran vidéo et se souvient m’avoir accueilli à Denver et à Boulder, il y a deux ou trois lustres…).
Ce disque n’a PAS pour thème le banjo. Pouvez vous expliquer ? Banjo n’est que le titre. C’est un symbole général sur le sort des Blacks américains depuis les bateaux d’esclaves qui arrivaient d’Afrique, souvent achetés à des esclavagistes arabes, d’ailleurs. C’est un fait qui est généralement passé sous silence aujourd’hui. Mais si l’on suit l’évolution du banjo, on suit l’histoire des africains-américains.
Qui sont les soldats de la couverture du disque, avec un X sur les yeux ? Ce sont des Buffalo Soldiers de 1902. Ils jouent au baseball et on les appelait Buffalo Soldiers en raison de leur cheveux qui les faisaient ressembler à des bisons. Cette photo fait partie de ma collection de Blacks américains du Far West, avant 1930. Je l’ai réunie pour un projet de film sur les coureurs cyclistes blacks de Boulder, au Colorado, où je vis.
Où avez-vous enregistré ce nouveau disque ? Au Octave Studio à Boulder. Nous avons enregistré en DSD 256 Haute Définition. Je suis entré en contact avec eux par Gus Skinas qui s’occupe du mastering à Octave Records. Il m’a dit qu’ils avaient ce nouveau système d’enregistrement, une workstation Pyramix Digital Audio à très haute résolution. J’ai produit le disque avec Joe Kessler. Jay Elliott a mixé et c’est David Glasser qui l’a masterisé.
Comment avez-vous choisi les titres ? Il y a six originaux et six titres de mon répertoire que je voulais entendre avec ce son et avec le feeling que nous avions pour ces séances. 12 Feet Under est un duo avec moi-même : Fender à gauche et acoustique à droite. Ça sonnait un peu trop clair pour moi, mais au mixage c’était parfait. 1964 est autobiographique, un de mes amis Billy Hilliard, un beatnik, est parti comme ça, au Maroc en 1964. Write a Book About It est un conseil que ma grand-mère m’avait donné, j’ai décidé d’ajouter une prise de kazoo pour le feeling. J’aime ajouter des surprises, pour la musique autant que dans les textes.
Comme les violoncelles dans Nasty Letter ? Cette chanson a été dans la bande-son de deux films différents : Public Enemies avec Johnny Depp et Shooter. Il fallait que je fasse quelque chose de complètement différent de la version des films. J’ai fait venir les violoncellistes Beth Rosbach et Joseph Howe. Resurrection Blues est aussi un remake. L’original a eu plus de 10 millions d’utilisateurs sur Youtube dans sa version originale. Le message est clair : “Je n’ai pas mangé, pas dormi. J’ai découvert que j’étais Jesus”.
Hit FromThe Left est une référence à la boxe ? Presque… Je regardais la série TV Kung Fu où David Carradine est toujours pied nus, il a un chapeau et démolit tout ses adversaires (rires). J’ai inclu toutes ces références bizarres, difficile à décrypter. En raison de cela, je voulais que le dernier titre, Live Sur Life, soit plus léger et up tempo après l’intensité du reste du disque.
Qui sont les musiciens ? J.P. Johnson est un guitariste que je connais depuis longtemps. Nick Amodeo tourne aussi avec moi depuis longtemps, il tient la basse électrique et la mandoline. Brian Juan est l’organiste et Chuck Louden est le batteur. Les violoncellistes sont Beth Rosbach et Joseph Howe, et Sally Gutierrezy a fait des percus et du hand-clapping. Ma méthode est simple : je tracke avec batterie, basse et guitares. Tout le reste est rajouté en overdubs. Je me produis moi-même. Je ne fais que deux prises au maximum. La première donne à l’auditeur la compréhension du titre, pour la seconde je veux que ce soit acquis. Je fais rarement une troisième prise. Il faut que ce soit rapide, pour ne pas perdre l’émotion. Même l’ingénieur du son est plus excité quand il entend la chanson pour la première fois.
Vous avez joué quels instruments sur le disque ? Une Santa Cruz Otis Taylor Model, une Fender Stratocaster. Un banjo électrique Bluestar et une mandoline électrique Bluestar. Un Harmonica et un banjo acoustique Ome.
Lorsque vous m’avez accueilli à Boulder, vous aviez une collection importante… Il me reste mes Santa Cruz modèles Chicago ou Otis Taylor. Des Telecaster et des Stratocaster. Mes amplis sont les Fender Deluxe Reverb et Music Man.
Comment avez-vous commencé ? J’avais 15 ans quand j’ai commencé à jouer. J’allais au Folklore Center de Denver pas loin de chez moi. Je t’y ai emmené quand tu es venu, c’était le domaine d’Harry Tuft.
Ce jour là j’avais pu voir de près la guitare acoustique de Mississippi John Hurt… Oui, Harry avait toujours des instruments incroyables. Il n’y avait que deux Folklore Centers aux USA, celui de Denver et celui de la Californie. J’ai beaucoup appris en voyant des artistes comme Taj Mahal et Ry Cooder de passage au Folklore Center. Dans les années 60, je suis allé à Londres et j’ai signé un contrat d’enregistrement qui n’a pas marché, mais j’ai beaucoup appris avec les chanteurs de folk locaux. Je suis revenu à Boulder et j’ai quitté le business musical vers la fin des seventies… Je me suis occupé pendant dix ans d’une équipe de cyclistes blacks, critériums, courses de vitesse, etc.. Je suis revenu sur scène dans les nineties, enregistré plus de 15 disques, reçu toutes sortes d’Awards et mes chansons ont été utilisées dans les b.o. de films…
L’un des plus grands songwriters du folk et de la country music est décédé récemment (17 novembre 1938 – 1er mai 2023). Il est juste de revenir sur la carrière monumentale d’un authentique géant qui a vu ses chansons reprises par Johnny Cash, Bob Dylan, Elvis Presley, Marty Robbins, Georges Hamilton IV, Leroy Van Dykes, Judy Collins et bien d’autres…
Gordon Meredith Lightfoot Jr avait déjà une longue expérience lorsqu’il entra dans la vision du public avec son premier album :
LIGHTFOOT ! (1966, United Artists) Face 1 : Rich Man’s Spiritual, Long River, The Way I Feel, (That’s What You Get) For Loving Me, The First Time I ever Saw your Face (d’Ewan MacColll), Changes (de Phil Ochs), Early Morning Rain. Face 2 : Steel Rail Blues, Sixteen Miles (To Seven Lakes), I’m Not Sayin’, Pride Of Man (d’Hamilton Camp), Ribbon Of Darkness, Oh, Linda, Peaceful Waters. Personnel : John Court-Producteur, Gordon Lightfoot – Guitar, Piano, Vocaux, David Rea et Bruce Langhorne – secondes guitares , Bill Lee (père de Spike Lee) – contrebasse.
SONGWRITER Bien que ce premier disque ait été enregistré en décembre 1964 et qu’il sortit seulement en janvier 1966, Gordon Lightfoot était déjà un songwriter connu. Le duo canadien Ian & Sylvia Tyson avaient obtenu des hits avec ses chansons et l’avaient recommandé au manager Albert Grossman. Des artistes folk comme Peter, Paul & Mary avaient connu le succès en reprenant Early Morning Rain et For Loving Me’. Lightfoot réussit même à entrer dans le cercle nashvillien lorsque Marty Robbins reprit, tel quel, son Ribbon Of Darkness n°1 en 1965, ce qui lui ouvrit les portes des légendaires studios Bradley’s Barn où il enregistra par la suite avec Owen et Harold Bradley. D’autres artistes reprenaient ses chansons, Leroy Van Dyke (I’m Not Sayin’), The Kingston Trio, Judy Collins, Richie Havens et Harry Belafonte. En 1966, Albert Grossman le fit signer sur le label United Artists où Gordon Lightfoot sortit quatre autres albums : The Way I Feel (1967), Did She Mention My Name (1968), Back Here on Earth (1968) et le Live Sunday Concert (1969). Le nombre d’artistes qu’il influença est immense, du jeune Neil Young à Joni Mitchell, Bob Dylan, Tom Rush, Johnny Cash, jusqu’à Elvis Presley qui reprit Early Morning Rain. Mais avec les disques chez United Artists, il fut également reconnu comme chanteur et guitariste, plutôt que simple compositeur.
DEBUTS Il avait une solide expérience dès le début. Gordon Meredith Lightfoot Jr était né le 17 novembre 1938 à Orillia, Ontario. Sa mère, Jessica Lightfoot savait qu’il était sensible à la musique et le fit entrer dans la chorale de l’United Church de St Paul sous la direction de Ray Williams qui lui apprit à chanter avec émotion et confiance en sa voix. Sa mère l’encouragea encore à se préparer à une carrière professionnelle : il apprit le piano, la guitare et les percussions quand il était adolescent. A 19 ans, il partit pour la Californie en 1957 où il étudia la composition et l’orchestration au Hollywood’s Westlake College Of Music. Ses Influences profondes étaient Stephen Foster (auteur du 19ème siècle, entre autres de O Suzannah) et Woody Guthrie. En même temps, il enregistrait en studio pour les maquettes d’autres chanteurs et s’occupait aussi de jingles publicitaires pour les radios. Mais le manque total de moralité du showbiz de Los Angeles était difficile à surmonter et il rentra au Canada en 1958.
Gordon Lightfoot joignit alors les Swinging Eight qui jouaient dans l’émission de TV Country Hoedown sur la chaîne CBC. Il joua en solo dans les Coffee Houses de Toronto en 1961. Il enregistra un disque en duo avec Terry Whelan sous le nom des Two Tones. Le disque sortit en 1962 sous le titre Two Tones At The Village Corner. En 1963, grande année folk, il part pour l’Europe, et présente durant un an le Country & Western TV Show sur la BBC. En 1964 il revient au Canada et obtient un grand succès au Mariposa Folk Festival. Il enregistre à New York, fin 1964 son album Lightfoot ! qui inclut Early Morning Rain, For Lovin’ Me, Ribbon Of Darkness et Steel Rail Blues, un premier salut aux trains canadiens. Car il a appris à rendre hommage aux hommes qui font tourner les USA et le Canada : les marins et les employés de chemin de fer, aussi humbles qu’ils soient. Il resta toujours attaché à cette vision sociale. C’est une différence impossible à réaliser aujourd’hui. Dans quels metavers pourrait-on imaginer un groupe célébrant les employés d’Elon Musk ou Google ? Autres temps, autres moeurs… Sur la force de cet album, Lightfoot devint l’un des premiers chanteurs canadiens à devenir célèbre au Canada, sans avoir à s’installer aux USA, comme l’avait fait Hank Snow en 1950.
GUITARES Gordon Lightfoot partit pour sa première tournée en 1967 avec des shows au Massey Hall de Toronto et à New York. Entre 1967 et 1971 il tourna au Canada, aux USA, en Europe, et deux fois en Australie. C’est pendant cette période qu’il mit au point son jeu de guitare sur 6-cordes et 12-cordes pour accompagner sa voix de baryton. Son style de jeu était partagé entre le strumming et le flat picking, pour lesquels il utilisait un mediator sur ses 12-cordes. Le finger picking avec les doigts nus était réservé à sa guitare originale, une Martin D-28 surnommée Old Blue. Dès sa première grande tournée de 1967, il utilisa sur scène deux 12-cordes Gibson B-45 12 Sunburst. L’une était en accordage standard pour le strumming, l’autre était accordée en Dropped D (corde de Mi en Ré) qu’il jouait avec un capo à la 3ème case. Il ajouta par la suite une Martin D-18 Vintage des années 30 et une D-18 Signature customisée. En électrique on le voit parfois avec une Stratocaster 12-cordes, trois micros Fender et une large tête spéciale, avec 6 mécaniques de chaque côté et son nom inscrit au milieu à la place du logo Fender. Mais le plus souvent c’était avec sa 6-cordes Martin D-28 et ses deux 12 cordes Gibson B-45 12 Sunburst qu’il était le plus à l’aise. Gordon Lightfoot travaillait directement avec les luthiers et ingénieurs Gibson. Dès 1967, il conçut un système d’amplification de ses guitares acoustiques qu’il sonorisait jusqu’alors en reprenant le son avec des micros Shure. Il fit monter sur ses instruments des micros Fishman Acoustic Matrix II qu’il mixait dans un boitier de direct avec le son d’un micro Shure externe. Le tout entrait dans la console de façade puis dans un ampli Fender Twin Reverb qu’il utilisait comme retour sur scène. On peut ajouter des détails qui semblent sans importance aujourd’hui mais qui influencèrent des guitaristes comme Tony Rice ou Glen Campbell : mediator Yamaha, capo Shubb Deluxe, cordes Ernie Ball Earthwood Bronze, la substitution d’une corde de Sol grave Phosphore Bronze sur ses 12 cordes “parce que ça sonne mieux”. Son groupe eut d’abord le guitariste Red Shea, puis Terry Clements qui jouait sur deux Martin D-18 de 1964 et deux Gretsch -une Tennessean de 1964 et une Country Gentleman de 1976- sur un Roland JC 120 pour l’électrique et Deluxe Reverb pour l’acoustique. Le groupe incluait Terry Clements, Rick Haynes à la basse, Pee Wee Charles à la pedal-steel et le clavier Mark Heffernan.
CHANGES En 1970 Gordon Lightfoot se sépara d’Albert Grossman et signa sur le label Reprise. If You Could Read My Mind, inspiré par son divorce d’avec sa première épouse suédoise Brita Olaisson, fut un hit majeur, vendu à un million d’exemplaires début 1971. Mais en 1972, Lightfoot fut atteint du syndrome de la paralysie de Bell, une condition qui rend impossible le contrôle des muscles faciaux. Il dut temporairement arrêter de tourner. Il revint en studio dès qu’il le put avec les disques Summer Side Of Life, Old Dan’s Records, Sundown, explorant beaucoup de sujets différents : Don Quichotte, la chasse insensée aux baleines, Protocol (sur la futilité de la guerre) ou Alberta Bound, une ode à une teenager qu’il rencontra sur un bus allant à Calgary. Le syndrome de Bell s’éloignait mais il lui fallait cependant trouver une inspiration épique et poètique. Vers la fin 1975 il entendit parler du naufrage de l’Edmund Fitzgerald, un cargo géant qui transportait du minerai de fer sur le Lac Supérieur et avait coulé avec 29 marins pendant une tempête. Lightfoot écrivit alors la chanson The Wreck Of The Edmund Fitzgerald. Ce fut un immense succès, n°2 aux Usa et n°1 au Canada. Lightfoot apparut aux services mémoriaux et resta personnellement en contact avec les familles des 29 disparus. Il fut toujours attentionné, défendant la mémoire et le respect des marins. C’était à double sens, à tel point que le jour suivant son décès, le 2 mai 2023, la Mariner’s Church de Detroit fit sonner sa cloche 29 fois pour chaque marin, ajoutant une 30ème fois pour Gordon Lightfoot.
Précision : le dernier enregistrement de Gordon Lightfoot a été Harmony paru en 2004 et enregistré essentiellement en 2003. Solo consiste en 10 maquettes enregistrées en 2001 et 2002 que Gordon avait l’intention de réenregistrer. Il les laissa finalement en l’état. (Sam Pierre)